Né en 1978 à Pessac, Benoît Maire est diplômé de la Villa Arson, Nice et de la Sorbonne, Paris I. Il présente au CAPC musée d’art contemporain, « Thèbes », une exposition visible jusqu’au 2 septembre 2018.
Il y a quelque mois, il est le lauréat du 1% artistique de la future Méca (Maison de l’économie créative et de la culture en Nouvelle-Aquitaine), pour laquelle il réalisera une sculpture monumentale extérieure, représentant une demi-tête d’Hermès en bronze.
Montrer son travail dans sa ville natale procure à l’artiste une émotion particulière, celle de partager ce moment avec ses proches et ses amis. Entretien.
Après avoir eu une exposition personnelle au Frac en 2010, vous voici 8 ans plus tard au CAPC. Est-ce une consécration de la part de votre ville d’origine ?
Consécration !? C’est un peut fort… et dans « consécration », il y a « sacre » et je ne trouve pas ça adapté. Je dirais plutôt qu’il s’agit d’un « moment bordelais ». Maria Inés Rodriguez [directrice du Capc, NDLR] m’a invité à la fois pour mon parcours international et le fait que je sois de la région. Beaucoup de personnes suivent mon travail ici, des collectionneurs et des connaisseurs, ça fait donc sens d’exposer à Bordeaux.
Est-ce qu’il a un apport particulier quand on fait une exposition dans sa ville ?
Oui, très particulier. J’aime bien être de quelque part. Je suis né à Pessac, j’ai vécu à Bordeaux et je viens me réinstaller à Talence. C’est émouvant parce que ma famille et mes amis sont venus au vernissage, c’est important. C’est aussi émouvant de revoir ces personnes et de pouvoir partager avec elles. Le vernissage n’est plus un événement mondain, mais bien un moment de partage avec beaucoup de gens familiers. Parmi eux, certains connaissent l’art contemporain et d’autres pas très bien – ils ont même quelques a priori à son sujet -, mais ils viennent quand même voir ce que je fais, c’est chouette. Il n’y a pas de ce genre d’échanges quand j’expose au Mexique ou à New-York.
Ensuite par rapport au CAPC, c’est un lieu avec une vraie exigence, et une haute qualité muséale. À tous points de vues, concernant l’accompagnement de mon exposition, de sa conception et discussion avec Maria Inés Rodriguez et Alice Motard, à son installation avec une équipe bienveillante et experte menée par Christophe Oudent et François Poisay, jusqu’au processus de communication et de médiation, j’ai profité de la meilleure qualité d’accompagnement que j’ai jamais eue ! C’est important et d’une certaine façon c’est ma ville qui me l’offre, c’est cool.
Concernant « le détail » de la Méca, je n’ai jamais réalisée une sculpture de cette dimension ! Certes, je suis de Bordeaux, mais j’ai gagné le projet sur concours international. Ces deux choses réunies, et aussi le catalogue que l’on sort avec le CAPC, me permet de franchir une étape.
Est-ce qu’il s’agit de rétrospective ?
Ah… on me parle souvent de rétrospective pour cette exposition. C’est une facilité de langage. On aime bien les mots forts. Si c’était une rétrospective, je ne m’y serais pas pris de la même manière. J’ai vraiment construit cette exposition comme un présentation d’étape qui articule les enjeux de mon travail récent. Mais j’ai disposé quelques pièces anciennes pour montrer comment se tracent les lignes problématiques depuis le début.
Votre exposition s’intitule Thèbes, votre sculpture qui sera installée à la Méca représente un Hermès… pourquoi toutes ces références grecques ?
« Hermès » est la racine grecque du terme « herméneutique » qui est la science de l’interprétation. En fait hermeneuien signifie d’abord « parler », s’ « exprimer », et vient du nom grec Hermès car il était messager et interprète des Dieux, le terme s’est ensuite couplé à la théorie de la lecture et à l’interprétation des textes. La sculpture de la Méca représente donc une moitié d’un buste d’Hermès, afin de suggérer que l’autre moitié est laissée à l’interprétation. Quand on vient dans ce lieu culturel, on a une « moitié de chose » à disposition et c’est à nous de constituer la partie manquante. Dans mon travail je me sers de la mythologie mais aussi du langage et de l’origine des mots.
Quand à Thèbes, oui ça fait référence à la ville grecque qui fut un temps prise au piège d’une question posée par un Sphinx qui terrorisait ses habitants. Je me sers de l’allégorie de la ville devant répondre à une question, pour suggérer qu’une exposition peut fonctionner de la même manière. Mon exposition est un agencement construit, comme une ville, et repose également sur des énigmes. Dans la philosophie, j’aime les concepts, mais aussi les histoires, la caverne de Platon et ce genre de choses. En Grèce, il y a 2500 ans, la pensée savait que les histoires allégoriques (le règne des images), le mythos, était inséparable du travail de la raison, le logos.
De quelle manière faut-il voir la philosophie dans votre travail ? C’est un art conceptuel ou c’est une façon de théoriser l’art ?
Mon enjeu est plutôt de faire une esthétique. C’est clair depuis le début. C’est une entreprise esthétique qui convoque aussi bien des idées, des objets que des images et des situations… Et le mode d’articulation préféré est le collage, par exemple avec le papillon épinglé au mur en dessous duquel j’ai écrit « MATHEMATICS », il y a un collage entre un objet et un texte, pour moi c’est de la philosophie brute. Elle n’est pas taillée pour dire quel est le rapport entre le papillon et les maths, mais elle pose par l’affect de ce rapprochement l’origine de l’action humaine vis à vis des objets qui l’entoure, arraisonnement et analyse.
L’esthétique est censée réconcilier, or on parle souvent de différend dans vos travaux. Dans le sens de mésentente ou d’opposition ?
Le différend, tel qu’il est théorisé par Jean-François Lyotard, est un cas de désaccord qui ne peut pas être résolu parce que deux types de langages sont en présence. Du coup, il y a deux langages qui ne peuvent transmettre le sens, il n’y a donc aucun substrat permettant de résoudre le conflit. La théorie du « différend » me semble alors un bon moteur pour penser l’art actuel, car il présente des problèmes de compréhension, liés à des langages hétérogènes en présence et qui engendre des conflits.
Mais j’ai laissé un peu de côté le travail sur le différend que j’ai entamé en 2008, car ce qui m’intéresse, c’est la réconciliation, ce qui réunit. D’une certaine manière avec le différend et la réconciliation, on a le principe du « couper/coller ». En sculpture, quand je coupe, je sépare les choses et je les désunis, c’est le mouvement analytique qui consiste à mettre en petits morceaux, puis le collage refait une unité de ces morceaux, c’est la réconciliation.
Est-ce qu’il y a de l’absurde dans votre travail ?
Oui ! Notamment dans le film présenté au CAPC. C’est le portrait d’un homme en 2018. On ne sait pas trop d’où il sort. Il est dans des histoires financières, il doit faire avancer des projets, mais subit une domination. Il n’est plus en capacité de se poser la question de l’origine. Il consomme. Il ne se pose pas la question de la génération, pourquoi il est là, quels sont les raisons des causes sur les effets. C’est un homme triste qui n’a plus cette faculté à s’étonner ou à se questionner sur les questions sans réponses. Le film le présente dans sa vie de tous les jours, à un moment il mange un œuf, à un autre moment il mange un morceau de poule. De manière allégorique, la question du déterminisme et de l’origine – qui est premier ? L’œuf ou la poule ? – est oubliée par ce consommateur, qui ne fait que manger les deux possibles origines. De la disjonction ou « de l’œuf ou la poule » il fait une conjonction « l’œuf et la poule » !
Vous mettez beaucoup de bonne volonté à réconcilier les choses, mais vous agacez la critique et le public qui vous reprochent votre travail hermétique…
C’est moins vrai maintenant. Au début, oui. Mon travail était intellectuel et crypté. J’avais une pratique dure et sèche. Maintenant, j’ai de plus en plus une pratique d’atelier, où je fabrique les objets, les sculptures et les peintures notamment. En ce sens je m’intéresse beaucoup plus à la matérialité et la sensualité des objets. Mais il reste toujours des gens qui sont énervés par ce que je propose, et c’est ainsi.
La première monographie de référence consacrée à l’artiste est publiée à l’occasion de l’exposition de Benoît Maire au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux. Elle revient sur près de quinze ans de carrière de l’artiste et sera mise en vente ce samedi.
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