Une gelée hydratante, un mini fond de teint, un petit dentifrice de voyage… On en a plein la salle de bains, de ces échantillons distribués gratuitement dans les magazines, en parfumerie ou à la pharmacie. Des mini cadeaux que l’on oublie souvent au fond d’un sac ou d’un tiroir et qu’on jette une fois percés ou périmés.
« Comme tout le monde, je suis souvent sollicitée pour soutenir des associations sans en avoir forcément les moyens, alors que les échantillons non seulement on ne les paye pas mais en plus on ne s’en sert pas », balaye modestement Lucie Sanchez.
Fin 2015, la réflexologue résidant à Illats (Sud Gironde) se retrousse les manches. Elle veut mettre en pratique l’idée qui lui trotte dans la tête et ouvre une page sur Facebook baptisée Féminité sans Abri.
«Ça rassemblait tous mes combats : féminisme, écologie, lutte contre la société de conso et le gaspillage, mais aussi l’entraide et le besoin de garder une estime de soi ».
Entre les boîtes de collecte d’Illats et de Libourne et les tournées de ramassage des bénévoles réparties sur le département, les cartons d’échantillons ont depuis longtemps débordé du garage de Lucie Sanchez pour atteindre son salon. Elle salue ce vendredi sur la page un don de 236 kilos de produits et accessoires envoyés par une société de cosmétiques…
Un réseau devenu national en un an
Sans s’arrêter de discuter, elle prépare des pochettes, qui seront distribuées dans un foyer mère-enfant, à l’occasion de la fête des mères.
«On nous avait donné aussi de jolis petits sacs à main et du maquillage, ça fera un joli cadeau ».
Dans ces pochettes colorées, elle glissera le petit mot d’une des bénévoles qui a répondu à son appel sur Facebook pour écrire des cartes pour les mamans. Un coup de fil et Véronique Marrot, une bénévole de la première heure, vient aider au remplissage des trousses. Amie depuis quinze ans, elle a pris en charge les collectes sur Bordeaux, participe à des distributions organisées par l’association Partage dans le camp de Sahraouis. Elle se rend aussi dans des squats une fois par mois, à la Ruche et au Bootleg.
« On apporte un petit peu de bien-être pour des gens dont c’est la dernière préoccupation », sourit la bénévole.
Le petit collectif d’une poignée d’amies est devenu association, un an plus tard, en janvier 2017 et couvre aujourd’hui treize secteurs en France. Landes, Montpellier, Paris, Toulouse, Montauban, Charentes-Maritimes, Nantes-Guérande, Lille, Le Havre, Strasbourg, Lyon, Grenoble… « Et c’est pas près de s’arrêter car les besoins augmentent malheureusement », déplore Lucie Sanchez qui reçoit régulièrement des coups de fil pour implanter l’association ailleurs dans l’Hexagone.
Dignité et coquetterie
En Gironde, Féminité Sans Abri travaille un peu comme la Banque Alimentaire, elle effectue peu de distributions elle-même mais travaille plutôt avec les réseaux de solidarité implantés à Bordeaux, Libourne, Langon, Villenave d’Ornon ou Coutras. À eux ensuite de répartir les kits. Certains viennent gonfler les colis alimentaires du CCAS, d’autres sont donnés dans les foyers d’urgence, durant les maraudes de la Croix-Rouge ou à des particuliers. Jour après jour, Lucie Sanchez a appris à s’adapter aux besoins :
« On ne fournit pas forcément les mêmes produits pour les locataires du foyer de femmes battues que pour des réfugiés qui arrivent sans rien. »
Parfois l’association permet d’apporter juste un peu de coquetterie :
« Une petite crème hydratante, un peu de parfum, des choses qui font du bien mais que tu n’achètes pas quand ça fait trois mois que tu ne touches plus les allocations de la CAF », évoque Lucie Sanchez.
« La galère, je l’ai bien connue »
La militante associative d’une quarantaine d’années sait de quoi elle parle :
« La galère je l’ai bien connue. J’ai perdu mon boulot d’aide-soignante en CDI à cause de problèmes de santé. Je me suis retrouvée d’un seule coup inactive et au RSA. J’ai fait de la résistance pendant un an pour ne pas appeler à l’aide. Finalement j’ai poussé la porte du Secours Populaire de Saint-Sulpice-et-Cameyrac. Une semaine après j’étais non seulement bénéficiaire mais aussi bénévole !»
Pudiquement elle ne s’étend pas sur le sujet mais revendique son leitmotiv : s’entraider sans faire de différence.
« On va dans les squats, les foyers, on rencontre des réfugiés, des Roms, des personnes séropositives, d’autres en situation de handicap, la précarité touche tout le monde. »
Si chers tampons
Entre le petit savon et le flacon de shampoing Lucie glisse quelques tampons.
« Précaires ou pas, les femmes ont toutes besoin de protections hygiéniques, mais ça coûte un bras ».
Elle en fournit notamment à l’association Femmes villenavaises solidaires et citoyennes.
« Les adhérentes n’osent pas demander de protections, certaines se débrouillent avec des tissus », constate Anita Norena Sans.
« D’autres gardent leur tampon trop longtemps pour en utiliser moins. Avec tous les risques que ça peut entraîner » souligne Lucie.
L’épicerie solidaire, l’asso voisine, en distribue aussi ainsi que des kits beauté.
« Les femmes qui viennent ici sont souvent surprises de cette attention. Prendre soin d’elle passe en 10e position sur leur liste des priorités, pour elles le plus important est de nourrir leur famille », évoque Anaïs Mancois, conseillère en économie sociale et familiale à l’épicerie solidaire.
Depuis quelques mois, l’association Féminité sans abri réalise aussi des kits pour les bébés, les enfants et pour les hommes afin de répondre à la demande. Mais elle peine à créer un réseau pour les distribuer.
« Contrairement à Paris où l’association s’est implantée plus récemment, les associations girondines collaborent peu entre elles. Certains soirs il y a trois maraudes dans la rue Sainte Catherine à Bordeaux, puis aucune pendant deux jours », pointe Lucie Sanchez.
Elle déplore le manque de communication et de transversalité des associations :
«Ce n’est pas parce qu’on distribue des repas chauds qu’on ne pas aussi fournir un petit savon et une brosse à dent. »
Faire participer tout le monde
Modeste, Lucie n’oublie pas de citer le formidable travail des « lutins » qui émaillent le territoire pour garnir leurs hottes des dons des amis, collègues, des pharmacies ou des instituts de beauté. Elle se réjouit lorsque les bénéficiaires deviennent aussi acteurs du mouvement : une socioesthéticienne qui intervient à Handivillage 33 a monté un atelier solidaire.
« A Camblanes, les personnes handicapées récupèrent, trient, cousent des pochettes, les garnissent, chacun va à son rythme. Ce qui compte pour elles c’est de dire que même handicapées, elles n’ignorent pas les problèmes de la société et font leur part. C’est presque devenu un atelier thérapeutique ! »
Les yeux pétillants ne cachent pas une certaine fatigue mais Lucie Sanchez tient bon. « Je me réveille encore parfois en me disant que j’ai rêvé tout ça ! ». Elle remplira encore quelques pochettes avant d’aller se coucher car s’il y a bien une chose qu’elle ne donne pas en échantillon, c’est sa détermination.
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