C’est rare, en passant devant le café l’Apollo, qu’on soit interpelé par la musique qu’on y diffuse. D’abord, parce que le brouhaha de la place Fernand-Lafargue prend souvent le dessus, et aussi parce que celle qu’on entend en ce mardi pluvieux, humide et froid, avait quelque chose d’une chaleur moite que l’on situerait du côté de Hawthorne en Californie, pays du surf et des happy days.
Pourquoi pas prendre un café ? A peine la porte franchie, tout s’explique. A côté du Eight billard, Francis d’Allez les Filles fait face à l’entrée du bar. Les bras croisés, il a déplié toute sa carcasse façon transat sur une minuscule chaise bistrot. Installé à l’aise, on devine que le taulier a cédé à une de ses requêtes musicales.
Assis en face de lui, celui qu’il appelle son « poulain ». Pantalon velours noir au pli impeccable, pull jacquard, blouson campus blanc, casquette béret style Peaky Blinders, moustache pencil bien taillée. Le gars, il a une tête à pochette de disque avec une guitare genre Guild Starfire. C’est Alexis Evans. Comment ne pas le reconnaître ? Il était à l’affiche du concert Rue89 Bordeaux au Rocher de Palmer en 2016.
« Dithyrambique »
A 27 ans, Alexis Evans respire la classe. Assis sagement comme un élève, il écoute le gourou bordelais lui rapporter les dernières critiques qui font l’éloge de son dernier disque « I’ve Come a Long Way ». Deuxième production tout juste sortie et qui embaume l’Apollo d’une fraicheur printanière. C’est le délicieux « I Make a Deal with Myself » qui s’achève. L’occasion de les rejoindre.
« Dithyrambique », répète Francis en citant une chronique d’un blog espagnole, Arcadia Negra, qui n’hésite pas à parler de « meilleur chanteur européen ». Et il explique n’y être pour rien quand son pote de Rolling Stone France écrit à propos de l’album : « La claque soul de l’année. » « C’est rare qu’un journaliste s’engage sur un groupe nouveau », précise-t-il. Alexis Evans s’éclipse comme par pudeur jusqu’au comptoir. Je souffle au patron de Relâche : « Ça tombe bien, je vais pouvoir lui poser quelques questions sur son disque ! »
« C’est un mec simple et sincère, croit-il bien dire en se recalant sur sa chaise. Il ne te fera pas un grand discours. Ceux qui ont besoin de faire des grands discours, c’est qu’ils mentent. »
Bien ! Il va falloir la jouer encore plus fine. De retour avec trois cafés, le jeune chanteur fringant et surdoué déploie sa moustache dans un large sourire et reprend sa place. Perturbé par la consigne de Francis, une première question me traverse l’esprit et ensuite la bouche : « Alexis Evans, c’est un nom de scène ? » Raté !
« Non ! C’est mon vrai nom, répond-il le plus poliment possible. Je suis d’origine anglaise. Mon père est venu à l’âge de 15 ans dans la région dans les années soixante-dix et il y est resté. »
Mods
Défilent les paysages de l’Angleterre sous mes yeux (et aussi la lamentable défaite du XV de France dans le dernier tournoi des Six Nations). Des terrains de rugby à XV, à XIII, ou à VII, mais aussi des verdoyants parcours de golf. Et en dehors de tout ce qui fait gazon anglais entretenu au crachin, j’ai aussi une tendre pensée pour les pubs et leurs immenses snookers. Alexis Evans vient de là avec une voix gorgée de soleil. Va comprendre !
« C’est la culture Mods, balance Francis avant de lâcher une confidence. Si j’aime ce qu’il fait, c’est parce qu’il me fait penser au premier groupe dont j’ai été fan : Spencer Davis Group, et son album Autumn ’66. »
Sur le coup, perplexe, je me dis que les mods c’est les Who, les Kinks, les Birds, les Small Faces…
« Mods c’est l’abréviation de modernists, il rectifie. Ça vient du jazz moderne. C’est aussi la soul de Tamla Motown, le jazz, le R’n’B, le Ska, le Reggae, le Rocksteady… »
L’infini savoir de Francis est lancé. Tout un recadrage pour rappeler que les amateurs des ballrooms et du style chic étaient aussi amateurs de musique noire. Alexis Evans approuve, hoche la tête et rappelle qu’il écoutait du reggae, « plein de reggae ».
Le groovy « Come home with me » arrive à ce moment. Un coup monté ! Du vrai Tamla Motown, il a raison le bougre. Si on continue dans la théorie, le vieux Vidal va prendre de la place. Il faut trouver une pirouette. « Vous répétez quand ? », je demande à Alexis Evans. « Dans une heure ! Venez voir… », il répond. Pas mieux !
International
Au premier abord, on imagine l’esprit anglo-saxon hyper à cheval sur les heures de rendez-vous. Que dalle. Au rythme où on fait le chemin, on comprend vite que la carrière d’un musicien ne tient pas à la ponctualité.
Rue du Mirail jusqu’à la rue de Pessac, on est chez Eric le batteur. Olivier, le bassiste est là aussi. Sur une platine vinyle, leur dernier album, et au fond d’une cave aménagée maison, le trio ne va pas tarder à dérouler ses dernières compos, ficelées à merveille avec précision, charme et sensualité.
Les trois musiciens débriefent le graphisme de la pochette teintée d’une couleur bordeaux délavée vintage totalement voulue par leur nouveau label, Record Kiks, un label italien. Alors que les onze morceaux sont enregistrés entre la région nantaise et la région toulousaine, ils ont été ensuite mixés à Syndey et mastérisés à Los Angeles.
Avec ces dimensions internationales, Francis Vidal voit l’avenir de la formation Alexis Evans en rose. Quoiqu’il en soit, l’ « esthète et dandy » bordelo-anglais a parcouru « un long chemin » depuis ses premiers bœufs à l’âge de 13 ans au bar Le Congo, barrière de Bègles. Qu’en dit-il ? « C’est énorme ! » On lui souhaite que ça continue, parce qu’il le mérite.
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