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La Méca n’emballe pas tout le milieu artistique local

La « ferme des mille vaches de la culture », « bunker mégalo », « reflet d’un système ancien »… les mots durs ne manquent pas pour qualifier le nouveau bâtiment qui réunit l’ALCA, l’OARA et le FRAC, agences culturelles de la région Nouvelle-Aquitaine.

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La Méca n’emballe pas tout le milieu artistique local

Il fallait s’y attendre. La Méca inaugurée vendredi dernier ne plait pas à tout le monde, notamment à certains artistes et acteurs culturels du territoire. Ils y voient une dépense qu’ils auraient voulue partagée entre les nombreuses structures de la plus grande région française, la Nouvelle-Aquitaine.

Si certains rejettent totalement un « système obsolète », d’autres affichent une prudence quant à l’avenir, rappelant entre autres que la présentation de la Méca a fait l’impasse des droits culturels.

« Une honte »

Sur les réseaux sociaux, les premiers commentaires sont assassins. Le plasticien bordelais Isidore Krapo dit avoir « la nausée » :

« Je suis radicalement opposé à ce genre d’avenir que nous imposent ces politiques ministérielles, écrit celui qui signe ”européen écologiste Vert très attaché aux vertus de l’écologie durable”. […] 60 millions d’euros pour des opportunistes de la subvention, c’est une honte. Je suis révolté. L’art est un comportement avant d’être une production… »

Un autre plasticien travaillant à Bordeaux écrit sur sa page Facebook :

« [La Méca] est le reflet local d’un système ancien, d’un modèle obsolète, pour une poignée. Bon à se détériorer dans le temps en engouffrant des millions d’euros d’entretien dans son sillage. »

Il dresse une liste de ses priorités :

« Garder des galeries d’art dans une ville ; respecter les collectionneurs ; donner des ateliers aux artistes ; respecter les lieux alternatifs ; proposer à la presse de faire son véritable travail d’investigation ; respecter les démarches individuelles tournées pour le plus grand nombre ; payer normalement les artistes qui interviennent partout dans les prisons, écoles, hôpitaux, etc. »

« Ferme des mille vaches de la culture »

Marie (pseudonyme) travaille depuis plus de trente ans dans le milieu artistique et culturel. Pour elle, « ce bâtiment était déjà obsolète avant même que sa construction ait commencé ». Dans un long texte, elle détaille :

« On sait qu’une autre politique était possible, on sait que 42 millions sur les 60 millions du budget total sont allés dans les travaux là où ils auraient pu arroser la multitude de petites structures associatives culturelles et artistiques portées par des acteurs de terrains qui irriguent les territoires d’expositions, de résidences, d’actions culturelles et sociales et génèrent de l’emploi.
Le « où va l’argent ? » se pose avec la Méca. Plutôt que de donner le budget aux entreprises de BTP, on aurait pu arroser l’ensemble de la nouvelle aquitaine et ses petits acteurs sur un territoire qui va de Saix dans la Vienne à Urdos dans les Pyrénées Atlantiques.
C’est cette désertification culturelle qui est en route au même moment où l’on nous parle d’écologie, d’écosystèmes et de diversité.
Car oui, comme l’agriculture intensive et comme les exploitations industrielles, la concentration des industries culturelles tuent la diversité. Pour la santé de tous, il vaut mieux 10000 petites fermes qu’une grosse exploitation, la Méca est la ferme des mille vaches de la culture. »

De son côté, Pierre (pseudonyme), ancien responsable d’une structure culturelle régionale estime que « la Méca est un beau bâtiment construit dans le premier quart du XXIe siècle pour abriter des politiques culturelles nées dans la deuxième moitié du XXe siècle… »

Un beau bâtiment ?

« On voulait des coquelicots en liberté, on nous a donné du béton armé » regrette Marie. Elle rejette « le geste architectural » et appelle à « en finir avec la modernité » :

« L’affirmation revendiquée de ”la modernité sur les bords de la Garonne” signe l’échec politique d’une volonté écologique de la nouvelle aquitaine. Qu’elle soit esthétique ou économique, la modernité désigne des modes de production qui imposent une organisation sociale apparue en Europe vers le XVIIe siècle. L’inverse d’un modèle juste, innovant, écologiquement viable, où les les richesses sont réparties équitablement.

Sur le parvis de la Méca (SB/Rue89 Bordeaux)

François Mary, chargé de production de spectacles vivants n’est « pas convaincu par la pertinence du lieu » qu’il qualifie de « gros bâtiment massif et administratif » même s’il estime que les structures qu’il abrite continueront à remplir leur mission.

Guy Lenoir, responsable de MC2A – qui dit être « ni pour, ni contre, plutôt pour l’outil de travail dont devraient bien s’emparer les opérateurs du site » –, partage l’opinion d’un ouvrage « un peu massif » :

« Le blanc dominant n’est pas ma tasse de thé, mais bon. L’agora fait un peu trop nef d’aéroport mais il faut bien décoller de quelque part. J’aime les salles de cinéma et de spectacle, et les bureaux administratifs. Je n’aime pas les marches, nous ne sommes pas à Cannes. »

« Mussolinienne »

Laurence de la Fuente, artiste multi-disciplinaire (littérature, théâtre, cinéma…), évoque aussi « cette montée des marches qui rappelle le bunker de Cannes en plus mégalo ».

« Je ne suis pas sûre que l’accessibilité de l’art en soit facilité et je ne trouve pas non plus le ”geste” architectural très audacieux. »

« Des kilomètres de marches empilées » regrette avec véhémence Isidore Krapo :

« [L’architecture n’est] ni cosmique, ni onirique, ni poétique. C’est le contraire d’un symbole. Ça devrait être quelque chose d’humain. C’est finalement la représentation même d’un pouvoir qui rabaisse l’individu à sa petite taille merdique. C’est une insulte ! »

« [C’est] une architecture mussolinienne, à l’image de celle de l’hôtel de Région, une forteresse pour abriter l’art officiel » peut-on lire dans un commentaire.

Guillaume Mangier, chargé de production et d’accompagnement artistique dans le secteur musical, ne boude pas « l’œuvre architecturale » qu’il qualifie de « réussite » dans un « quartier en pleine réhabilitation » pour que « celui-ci ne soit pas qu’un quartier d’affaires ». Cependant, il attend que la Méca soit « un lien avec tous les territoires de la Nouvelle-Aquitaine » :

« … [premier enjeu] comment cet équipement va être un outil pour les acteurs de la Culture et de l’Economie creative de l’ensemble des territoires de notre région […] Le deuxième enjeu est pour moi la transversalité entre les disciplines et les champs artistiques. La vision sectorielle est dépassée. J’espère que la Méca servira le décloisonnement. La production musicale, en soi mais aussi par son apport aux autres industries créatives (audiovisuel, spectacle vivant, multimédia et toutes les formes hybrides) pourrait être un beau champs d’action. »

« Syndrome Méca »

Thomas Desmaison, chargé de développement culturel territorial pour la Communauté d’agglomération bergeracoise, parle d’ « une politique culturelle sur une jambe » :

« 10 ans déjà que l’on attendait. Que l’on espérait aussi. Un espoir de prise en compte non pas seulement du versant ”économie créative” de la volonté politique régionale, mais aussi des droits humains culturels fondamentaux. Alors, en 2017, quand Jean-Michel Lucas et Aline Rossard lancent la démarche régionale, on se dit que ça y est, le ”syndrome Méca” est vaincu : le Conseil Régional a saisi l’opportunité de marcher sur ses deux jambes. Une jambe pour l’effet d’entraînement centralisé ; une jambe pour la prise en compte de chaque personne. »

Dans les salles du Frac Nouvelle-Aquitaine (SB/Rue89 Bordeaux)

L’ex-bordelais ne s’est pas rendu à l’inauguration du bâtiment. Pour y mettre les pieds, il attend « que l’on donne à cette ”maison” un vrai projet de centre de ressources à disposition de toute personne. Et pas un lieu totem d’une politique publique de prestige. De prestidigitation ».

« J’attends de voir si la première étape engagée sur les droits culturels va être suivie pour que la politique de droits humains l’emporte sur la politique de développement économique, poursuit-il. J’attends d’être rassuré sur la qualité de la relation que l’on souhaite intégrer au sein d’un bâtiment qui donne le vertige au niveau architectural et financier. Mais le vertige ne créé pas le lien, bien au contraire. Comment faire pour que des totems s’incarnent dans le faire humanité ensemble, plutôt que dans les exploits techniques et architecturaux ? Comment faire pour que la Maison de l’Economie Créative devienne la Maison des Droits de chaque personne à prendre part à la vie culturelle de son territoire ? Et dans prendre part, non pas juste s’assoir sur les probablement très confortables nouveaux fauteuils du Quai de Paludate, mais prendre SA part, faire valoir SES envies, SA manière de voir le monde et de la mettre en partage. »

« Il n’y aura pas de dialogue, il n’y aura pas de partage, il n’y aura qu’un monstre » conclut Marie.

Et vous, qu’en pensez-vous ?


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