S’attaquer autant que possible aux « poches de pauvreté importante » qui jalonnent le nord de la Gironde. C’est l’objectif de l’expérimentation que lance le conseil départemental socialiste : permettre aux bénéficiaires du RSA de cumuler leur allocation avec des revenus tirés d’une activité saisonnière.
« Souvent, les populations locales du Médoc, de Haute-Gironde, du Libournais ou du Castillonnaisne ne vont pas chercher ces travaux saisonniers, explique Denise Greslard-Nédélec, vice-présidente du conseil départemental de Gironde en charge de l’insertion. Des gens nous ont dit : « Je ne vais pas faire les vendanges car cela va faire tomber mon RSA et je ne sais pas ce qui va se passer après ». »
En effet, le calcul du montant du RSA se fonde sur des déclarations de revenus trimestrielles, et peut donc baisser, voire être supprimé. Conséquence, poursuit Denise Greslard-Nédélec :
« Si vous travaillez un mois, vous pouvez perdre non seulement l’ensemble des ressources du RSA sur 3 mois, mais aussi les supports annexes comme les aides pour les enfants ou les transports. Cela met donc ces personnes dans l’inquiétude de ne pas savoir quelles seront leurs ressources pour ce trimestre et le suivant si elles travaillent. »
Open bar
Afin de lutter contre cet effet désincitatif, la Gironde va donc autoriser les allocataires acceptant un travail saisonnier déclaré à continuer à toucher le RSA. Une cinquantaine de personnes se sont déjà manifestées auprès du département.
« Mais ce ne sera pas de l’open bar, prévient d’emblée l’élue départementale. Ce ne sera pas pour l’ensemble du secteur agricole, mais pour des travaux de type vendange ou récolte maraîchère, pour un nombre d’heures limité dans l’année (300) ».
La prudence est de mise, du fait notamment du nombre de bénéficiaires du RSA, bien plus important en Gironde que dans les autres territoires testant le cumul : 40700 (lire notre encadré), contre 24000 dans le Bas-Rhin, 18000 dans le Haut-Rhin ou 15000 environ en Charente-Maritime.
Ces départements ont ainsi ouvert ce droit à plusieurs secteurs économique – le tourisme, l’agriculture et l’ostréiculture en Charente-Maritime, le tourisme et l’agriculture en Dordogne, et même tous les emplois saisonniers dans le Bas-Rhin. Ils mettent en avant les problèmes de recrutement de saisonniers, tout comme Jacques Breillat, maire de Castillon-la-Bataille et président du groupe Gironde Avenir au conseil départemental.
Emplois non pourvus
Réclamant une telle expérimentation dans le département, il a salué l’adoption de la motion en ce sens présentée par l’opposition le 24 juin :
« Il y a 150000 demandeurs d’emplois en Gironde mais paradoxalement de nombreux emplois restent non pourvus, et les difficultés de recrutement sont prégnantes notamment dans les postes saisonniers », souligne Jacques Breillat.
L‘enquête BMO (besoin de main d’oeuvre) 2019 de Pôle Emploi prévoyait 26604 projets de recrutement saisonniers en Gironde, dont 10594 dans l’agriculture. L’édile (Les Républicains) de Castillon estime que le cumul RSA-revenus des saisonniers est une « solution pragmatique » qui « favorise la reprise d’activité de personnes désinsérées, et « apporte en outre un soutien aux filières professionnelles concernées ».
« Le résultat est plus que probant, se réjouissait l’an dernier l’Assemblée des départements de France : plus de 95 % des postes proposés dans les vignobles alsaciens ont été pourvus cette année ! »
Non chiffrée précisément, la pénurie de saisonniers représenterait « plusieurs milliers d’emplois » en Gironde, à en croire le CIVB (conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux).
Réticences
Mais cet argument n’a pas dicté la décision du conseil départemental, assure Denise Greslard-Nédélec :
« Je peux l’entendre venant des stations balnéaires où les saisonniers ont du mal à se loger. Et dans la viticulture, il y a un problème de mobilité des salariés qu’on essaye de résoudre avec l’ensemble des plateformes qui proposent des locations de voitures ou de deux-roues à des prix très bas. Mais je dis souvent ceci aux employeurs : « Si vous aviez une fille de 18 ou 20 ans, est-ce que vous lui proposeriez cet emploi souvent mal payé, exercé dans conditions presque illégales avec un nombre d’heures énormes ? » Ce sont plus les conditions de travail ou de paiement qui font que ces offres ne sont pas pourvues. Je fréquente beaucoup d’allocataires du RSA et je n’en ai jamais rencontré qui refuse un emploi correct, digne et pas sous-payé quand on lui en propose un. »
Aussi, la vice-présidente du département était elle « réticente personnellement » au cumul – « Il ne s’agit pas de faire porter sur la solidarité nationale les salaires d’employés agricoles que de grands propriétaires peuvent s’offrir seuls ». Elle souligne que les effets de cette mesure seront observés « de manière fine », avant reconduction éventuelle l’année prochaine.
Travailleurs pauvres et grands propriétaires
Stéphane Obé, de l’union départementale de la CGT, affirme quant à lui que son syndicat sera « très vigilant » :
« Dans les vignes, une partie du patronat a recours à beaucoup de contrats précaires et se retrouve en difficulté pour trouver du personnel. Et voila qu’ils sont aidés par le conseil départemental ! Les politiques locaux sont un peu désemparés, et en sont réduits à accompagner la misère générée par les politiques patronales en ajoutant 300 euros à un temps partiel au SMIC… Cela ne sortira pas les salariés de la pauvreté. »
La CGT a ainsi calculé que dans les départements où le cumul RSA-emploi saisonnier est déjà en vigueur, celui-ci permet en effet d’atteindre 1089 euros par mois.
« Un peu au dessus du seuil officiel de pauvreté à 1015 euros, mais cela reste des travailleurs pauvres », déplore Stéphane Obé, qui réclame un cadre strict et davantage de contrôle pour l’emploi saisonnier.
Il souligne que dans le Médoc, par exemple, « le vignoble emploie 14500 saisonniers pour 5000 CDI, et abuse de la sous-traitance ». Comme certains élus locaux, dont le député Benoît Simian, la CGT réclame la fin de l’exonération de contribution économique territoriale (ex taxe professionnelle) dont bénéficient les propriétaires, y compris les grands groupes financiers, et de conditionner cet impôt à l’application de certaines conditions sociales.
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