Il ressemble fort au tonneau des Danaïdes, le combat de Fabienne Buccio contre l’ « appel d’air » que représenteraient pour les migrants les squats et bidonvilles de la métropole. La préfète de la Gironde a eu beau faire évacuer plus de 50 squats sur les 150 recensés lors de son arrivée à Bordeaux, elle en dénombre actuellement toujours 130.
Et pas des moindres : 400 Bulgares ont par exemple investi une friche industrielle à Brazza, après avoir été évacués d’autres squats de la métropole, devenus pour certains très dangereux pour leurs occupants ; plus de 200 personnes campent au bord du lac ; et 300 autres squattent encore dans la zone d’activité des Rives d’Arcins, à Bègles.
Pour mieux comprendre le parcours de leurs habitants et proposer des solutions de logement à ceux qui sont en situation régulière, la préfète a annoncé ce mardi la création d’une plateforme de diagnostic et d’orientation.
Informations sensibles
Portée par une association – tout comme le 115 est géré par le COS -, ce nouvel outil sera financé au moins à 50% pour l’État, qui applique ainsi une circulaire gouvernementale sur la résorption des bidonvilles.
Fabienne Buccio affirme avoir obtenu l’accord verbal de deux partenaires, le conseil départemental de la Gironde et de Bordeaux Métropole, ce que confirme le vice-président en charge de l’habitat de cette dernière collectivité, Jean Touzeau :
« C’est important que les collectivités État puissent travailler ensemble. Cette plateforme sera un lieu de regroupement des informations sur les squats, et nous donnera une vision plus claire des informations méritant d’être partagées. »
Concrètement, les services de l’État pourront en effet communiquer dans ce cadre des données personnelles sur le parcours résidentiel ou scolaire des personnes dans d’autres territoires, leur dossier de santé ou encore leur casier judiciaire.
« Avec la Mission Squat de la métropole, nous pourrons ensuite travailler sur l’amélioration des conditions de vie, l’accès à l’eau, la scolarisation ou l’entrée dans un ETI (espaces temporaires d’insertion), poursuit Jean Touzeau. Et le département pourra lui œuvrer dans ses domaines de compétence, les mineurs non accompagnés et l’aide sociale à l’enfance. »
« Mieux vaut vivre à la rue »
Si elle tique sur le fait que les collectivités doivent à nouveau financer des missions relevant des compétences étatiques, Alexandra Siarri, adjointe au maire de Bordeaux en charge de la cohésion sociale, voit plutôt positivement cette plateforme.
« Cela va rajouter un échelon de plus à la Mission squat, dont une des tâches sera de nous donner une visibilité sur les bâtiments libres dans la métropole, car aucun endroit ne centralise tout ça. Mettre toutes nos informations en commun sera objectivement assez long, c’est une usine à gaz, mais cela pourrait permettra j’espère à un réfugié vivant dans un squat de passer rapidement en DALO (droit au logement opposable), ou à un demandeur d’asile d’obtenir une place en CADA (centre d’accueil pour les demandeurs d’asile. Ce sera en revanche hyper compliqué pour les déboutés du droit d’asile. »
Car la préfète qui a démantelé la « jungle » de Calais tient toujours un discours de fermeté envers les étrangers qui se retrouverait en situation irrégulière, justifiant ainsi la rafale d’expulsions :
« Parfois mieux vaut vivre dans la rue que dans un squat. Les gens ne vivent pas là par hasard, ils sont dans des filières et payent pour être dans ces squats. En les expulsant, j’ai une solution pour chaque personne même si certains n’en veulent pas [4000 places d’hébergement en Gironde, dont 2400 pour les demandeurs d’asile, NDLR]. Et je passe un message très clair aux filières de passeurs. C’est particulièrement efficace. L’augmentation du nombre de primo-demandeurs d’asile est de 4% en 2019 contre 28% l’an passé. »
Table ronde
Les reconductions à la frontière ont par ailleurs augmenté de 16% sur les premiers mois de l’année, indique Fabienne Buccio. Alors que les associations et plusieurs élus locaux, émues par sa politique d’expulsions, ont demandé la tenue d’une table ronde, la préfète donne une fin de non recevoir, tout en leur assurant que « [sa] porte n’est pas fermée ».
Pour Morgan Garcia, responsable de la mission squats à Médecins du Monde, la préfète a « une vision parcellaire et sécuritaire de l‘instruction gouvernementale du 25 janvier 2018 » :
« Ce que ce texte demande c’est de résorber les squats et les bidonvilles, pas nécessairement de les expulser. Ce n’est pas une solution en soi. En plus, Fabienne Buccio engueule les élus quand ils se bougent, créent une mission squat ou donnent l’accès à l’eau. »
Sur ce dernier point Alexandra Siarri souligne une profonde divergence entre les élus locaux et la préfète :
« Fabienne Buccio ne s’est pas cachée pour dire que l’accès à l’eau constituait un appel d’air, quand Patrick Bobet et les 28 maires de la métropole ont une vraie convergence de pensée que le fait de droit à l’eau est fondamental. »
Douche froide
Interrogée par Rue89 Bordeaux, la préfecture invoque un malentendu sur ce sujet. Elle assure que Fabienne Buccio ne parlait pas d’eau potable, mais d’installation de douches, estimant que la métropole disposait d’assez de lieux pour l’hygiène.
Confirmant la version des élus locaux, Clément Rossignol-Puech, le maire de Bègles, fait état d’un « véritable désaccord avec la préfète » :
« Je réitère ma demande d’organisation d’une réunion sur ce problème humanitaire urgent, on ne peut pas accepter que de véritables bidonvilles prolifèrent. Je suis favorable à ce que les squats sur Bègles soient démantelés, mais il faut que soit fait avec des solutions pérennes à la clé. La seule solution, c’est d’interpeller les ministres sur la situation de Bordeaux et de la Gironde, 4e département le plus concerné de France. »
Les récentes déclarations d’Emmanuel Macron sur l’immigration laissent pourtant penser qu’au sommet de l’État, on penche plutôt vers les positions de la préfète que pour celles du Défenseur des droits, Jacques Toubon, selon lequel la théorie de l’appel d’air ne tient pas la route.
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