C’est à une étrange expérience oulipiennne que se livre Bruce Bégout dans le livre qu’il consacre aux aéroports, En escale : Chroniques aéroportuaires : « Je prendrai l’avion d’aéroport en aéroport sans franchir leurs portes, passant là tout le temps de mon étrange tour du monde. »
Je n’aurais jamais pensé que l’aéroport puisse devenir un objet d’étude – sans doute n’ai-je pas suffisamment le goût des voyages – Bégout en cite plusieurs dont une qui m’a fait particulièrement rêvé, celle de Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon, Psychanalyse de l’aéroport international.
Son propos est de nous donner « une suite décousue et sans prétention épiphanique d’impressions et de méditations, de fragments littéraires et philosophique » sur ce « non-lieu » qu’est l’aéroport. Et le résultat de ce protocole expérimental inattendu est à proprement parler jubilatoire.
Les mouvements des voyageurs en marche vers les terminaux d’embarquement, qui se soumettent sans presque jamais rechigner au passage des portiques, de ceux qui ne résistent pas à la tentation des boutiques duty-free, de ceux qui attendent de récupérer leurs valises, de ceux qui se trompent de bagages ou qui découvrent que les dits bagages ont été perdus, sont dépeints avec un sacré sens de l’humour. La psychologie du voyageur est ambiguë ; il rêve de liberté et se soumet volontiers à toute une série de contraintes pour y accéder.
Micropolis
L’aéroport apparaît comme une micropolis, où l’on peut trouver tout le nécessaire et le superflu. Il y a des passages passionnants sur l’architecture des aéroports. Mais, en même temps, il entraîne une anonymisation, une solitude de ces « monades nomades », comme dit joliment Bégout, que l’on retrouve dans certains quartiers des villes contemporaines.
L’aéroport « emblème de la mondialisation technique et économique est comme obligé de réduire la diversité des cultures et des lieux à une monoforme fonctionnelle. » (p. 47) « Ces lieux représentent de manière emblématique l’espace vital de l’homme sans qualités et sans attaches de l’hypermodernité » (p. 116).
Personnellement cela me fait froid dans le dos, mais Bégout avoue son « faible pour tous les lieux de passage et de partance ». Il avait, dans Zéropolis, donné une description de Las Vegas, partagée entre fascination et répulsion qui m’avait conforté dans mon refus absolu de mettre un jour un pied dans ce pays et, dans Lieu commun, il s’était intéressé aux motels, ce lieu si caractéristique d’une certaine Amérique, lié à une sorte de mythologie de pacotille. Ces livres sont résolument modernes qui dessinent les nouveaux espaces dans lesquels nos contemporains aspirent ou redoutent de vivre.
J’aime aussi qu’un philosophe ait l’audace d’aller chercher, dans des lieux supposés n’avoir pas d’intérêt ni d’histoire, matière à réflexion sur les rapports nouveaux qui s’établissent entre l’homme et le monde dans lequel il vit. Un monde où il n’y a plus de place pour le flâneur, – la flânerie, cette « technique humaine de subversion par sa manière de se faufiler partout où il n’est pas le bienvenu » – mais pour une errance qui n’est plus vraiment à la recherche de sens .
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