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Au tribunal, les occupants du squat La Zone Libre espèrent gagner… du temps

En novembre, près de 280 personnes, jusqu’ici à la rue, ont été relogées dans les locaux réquisitionnés d’un ancien foyer pour personnes âgées à Cenon. Ses occupants, parmi lesquels 80 familles et de nombreux demandeurs d’asile, comparaissaient ce vendredi devant le tribunal d’instance après assignation du bailleur social Logévie, propriétaire des lieux.

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Au tribunal, les occupants du squat La Zone Libre espèrent gagner… du temps

Le phénomène n’épargne aucune métropole dans un pays qui n’héberge pas plus d’un demandeur d’asile sur deux. A Cenon, dans l’agglomération bordelaise, des personnes migrantes ont trouvé refuge, en novembre dernier, dans un EHPAD laissé à l’abandon aux abords du centre commercial à l’allure défraichie de la Morlette. Leur expulsion était jugée ce vendredi au tribunal judiciaire (ex tribunal d’instance) de Bordeaux.

Depuis la « réquisition solidaire » de l’ancien foyer pour personnes âgées, les choses ont bien changé. Ce jeudi soir, veille de procès, dans la salle de la résidence Paul-Ramadier, renommée La Zone Libre, des enfants s’agitent autour d’un gâteau d’anniversaire dont la découpe se fait attendre. Ils courent, se chamaillent en riant, puis viennent questionner leur mère qui s’inquiète.

Kujtiné est Albanaise. Arrivée à Bordeaux avec ses deux enfants en 2015, elle a d’abord été logée par le 115 dans une chambre d’hôtel avant d’échouer à Bordeaux-Lac à l’automne dernier lorsqu’une fuite d’eau les a contraints à quitter les lieux. Elle se souvient des pillages, des menaces qui pesaient sur son mari, jusqu’à les forcer à l’exil.

Les soutiens des habitants de La Zone Libre devant le tribunal judiciaire (AC/Rue 89 Bordeaux)

Faire place nette au promoteur

De l’Albanie à la Syrie, en passant par l’Afrique Subsaharienne, c’est autant d’histoires et de destins brisés qui se retrouvaient vendredi dans l’enceinte du tribunal judiciaire de Bordeaux. Le bailleur social propriétaire des lieux, Logévie, demande l’évacuation de la parcelle.

Son avocate, Marie-Christine Ribeiro, a fait usage d’une procédure de référé d’heure à heure qui permet d’obtenir une décision provisoire dans un délai de 48 heures à une semaine. Une méthode réservée aux situations de crise et d’extrême urgence.

Le terrain, laissé à l’abandon pendant 6 mois, est promis au groupe immobilier Pichet Investissement, mandaté par la ville pour construire un ensemble de 250 logements neufs et des commerces afin de redynamiser la zone commerciale. Le permis de démolir de la résidence a été déposé le 22 novembre dernier. Le permis de construire a suivi dans la foulée, le 20 décembre.

« Les lieux sont inoccupés depuis mars 2019. C’est étonnant qu’il n’y ait pas eu de permis déposé en plusieurs mois, plaide maître Romain Foucard, l’avocat qui défend les familles, accompagné de maître Réaude, à la barre. Il n’existe pas de calendrier prévisionnel des travaux à ce jour et la maison du projet, chargée de l’ordonnance des constructions à Cenon, indique qu’ils ne seraient pas prévus avant 2 ou 3 ans. »

2 ans de vacances

Dans leurs plaidoiries, les deux avocats demandent au juge d’octroyer un délai de 24 mois avant l’expulsion du squat dans le meilleur des cas et, a minima, d’accorder au habitants le bénéfice de la trêve hivernale qui limite les évacuations de logements entre le 1er novembre et le 31 mars.

Ils requièrent également que les trente dossiers qu’ils défendent, concernant près de 60 personnes, soient étudiés au cas par cas pour apprécier la proportionnalité des mesures qui seront décidées.

« Il y a un dossier par famille, mais, si le juge décide d’un délai avant l’expulsion, celui-ci sera valable pour tout le monde », précisent-ils.

La salle d’audience est comble et de nombreux demandeurs d’asile, assignés à comparaitre, suivent le procès debout, sans forcément comprendre la tonalité du débat, faute de comprendre le français.

« Carence des pouvoirs publics »

Aïm, 13 ans, est venu assurer la traduction, en arabe, pour une vingtaine de réfugiés syriens qui vivent dans l’ancien foyer Paul-Ramadier. Accompagné par sa mère, il a quitté Homs en 2012 pour fuir les combats de rues et les bombardements. La ville, bastion du soulèvement contre le président Bachar el-Assad, était alors assiégée par le régime. Il n’avait que 5 ans, mais se souvient encore « des pistolets et des bombes ».

Devant le juge, maître Ribeiro défend les droits de propriété du bailleur social, « sans pour autant vouloir faire le procès des squatteurs » :

« L’octroi d’un délai supplémentaire pourrait pénaliser la société, pour qui les fonds récoltés des suites de la vente de la parcelle pourraient permettre d’investir dans de nouveaux logements sociaux dans la commune. Je suis consciente des défaillances des pouvoirs publics mais les risques de cette occupation ne doivent pas être supportés par un bailleur privé. »

Maitre Foucard, l’avocat des habitants de la Zone Libre devant le tribunal (AC/Rue 89 Bordeaux)

Soutiens et mise en demeure

Les soutiens de la Zone Libre sont venus en nombre. Tous font état de leur préoccupation concernant l’accélération des procédures d’expulsion des squats de la métropole suite à l’arrivée d’une nouvelle préfète, Fabienne Buccio, l’an passé. Raymond Blet, avocat honoraire des occupants du squat, s’indigne :

« La préfecture ne réagit pas tant que ça l’arrange. C’est une carence de l’État de ne pas loger les sans-abris, les demandeurs d’asile et les réfugiés. Elle pourrait très bien réquisitionner ce squat pour prendre en charge l’hébergement des demandeurs d’asile mais elle serait alors dans l’obligation d’indemniser le propriétaire des lieux. Laisser les associations s’en charger, c’est donc de l’argent économisé. La préfète sait également qu’en hiver, les sans-abris sont plus visibles et qu’il est donc compliqué d’organiser une expulsion. »

Il y aurait aujourd’hui 1900 personnes à la rue dans la métropole selon Brigitte Lopez, du Réseau éducation sans frontières. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter alors que 22 473 logements sont aujourd’hui vacants à Bordeaux Métropole.

« Une mise en demeure de la préfète a été déposée en novembre pour lui demander d’appliquer la loi de réquisition et pallier les carences de l’État en matière d’hébergement d’urgence », explique-t-elle.

Le délibéré du procès des habitants de la Zone Libre sera rendu le 31 janvier prochain.

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#Justice

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