Ils s’étaient donné rendez-vous devant le commissariat. Répondant à l’appel de l’Institut de défense des étrangers (IDE) et après des signalements de situations de violence au sein du service, le député Girondin Loïc Prud’homme a effectué une visite du centre de rétention administrative (CRA) de Bordeaux ce vendredi dans la matinée.
Gérés par la police de l’air et des frontières (PAF), les centres de rétention administrative accueillent des personnes étrangères en situation irrégulière sur le territoire. À Bordeaux ses locaux se trouvent au milieu d’un dédale de couloirs et de portes blindées, au sous-sol de l’hôtel de police de Bordeaux. Impossible d’y accéder sans escorte donc. Contraint de laisser les avocats dans la salle d’attente, seul le député, accompagné de deux journalistes pourra y entrer, non sans avoir attendu une demi-heure.
Derrière les lourdes portes
C’est la deuxième visite de Loïc Prud’homme depuis le début de sa législature. La première avait eu lieu en août 2017, un an avant le vote de la loi dite asile immigration qui avait porté à 90 jours la durée maximale de rétention. Depuis aucun parlementaire n’est venu pousser ces portes. Une occasion donc pour l’élu d’évaluer les conséquences de ce texte sur les conditions d’accueil des retenus.
Entre le portique sécurisé, les espaces exigus, les cinq dortoirs de lits superposés et une cour grillagée, l’atmosphère est étouffante dans ces locaux qui peuvent accueillir jusqu’à vingt personnes.
Et dès son entrée dans le réfectoire, plusieurs retenus se précipitent vers l’élu pour faire part de leur vécu. Chacun y va de son bout d’histoire et de ses blessures. Plusieurs retenus évoqueront la séparation des proches, l’attente interminable, l’incertitude face à l’avenir et l’incompréhension.
Des retenus à l’épreuve de la loi Asile et Immigration
La plupart des retenus déclarent être là depuis plus d’un mois, plusieurs depuis plus de 45 jours dont un depuis plus de 60, ce qui n’aurait pas été possible avant la promulgation de la loi.
« Ma famille est en Espagne. Ils ne peuvent même pas venir me voir… » raconte Djerbali, un frêle tunisien d’un vingtaine d’années au regard triste.
Des situations exceptionnelles selon les membres de la PAF venus ouvrir les portes ce vendredi. Ici pas de surpopulation et la durée moyenne de rétention est de 13 jours, affirme-t-on.
Mais selon la Cimade, une association de défense des migrants qui assure une permanence dans ces lieux, ce chiffre est tiré à la baisse par les passages des « dublinés ». Les sans papiers entrés en Europe par un autre pays de la communauté européenne et soumis à la procédure de Dublin sont généralement renvoyés vers cette destination dans les 48h.
Malaise
Du côté des avocats de l’IDE on s’inquiète donc du rôle du juge des libertés et de la détention.
« Il suit de plus en plus souvent les demandes de prolongation de la préfecture ce qui est une “source de stress majeure” pour les retenus. Après le délai initial de 48 jours, la première prolongation est de 28 jours. C’est long mais les personnes arrivent à relativiser. Mais 30 jours de plus de privation de liberté pour des gens qui ne sont pas des délinquants, c’est très compliqué! »
Dans le service, chacun égraine alors le nombre de jours passés entre les murs, le nombre de séjours en CRA parfois, quand subitement un homme s’effondre à l’autre bout de la pièce. Allongé au sol, les policiers présents lui portent assistance. Ses compagnons d’infortune craignent une crise d’épilepsie tandis que les témoignages de souffrances se multiplient.
« Renvoyez-moi dans mon pays d’origine ou même en prison, mais faites-moi sortir de là. On devient fou ! », implore Derbali, qui ne pèse plus que 45kg à peine.
Des cas de douleurs chroniques, d’anxiété et d’insomnies nous seront confirmées par l’équipe médicale détachée du CHU, présente chaque jour dans la structure… Plusieurs retenus encore choqués évoquent aussi la tentative de suicide de l’un d’entre le week-end dernier.
Une violence à mots couverts
A l’entrée du service, une porte sécurisée à œilleton est marquée d’une signalétique « chambre de mise l’écart« . Un résumé sommaire pour une pièce dont l’équipement ne l’est pas moins : un banc bétonné avec un fin matelas en guise de lit et un WC pour tout décor.
Officiellement cette chambre doit servir de « mise à l’abri » des personnes présentant un risque pour elles mêmes ou pour la sécurité du groupe et dont la procédure d’utilisation est stricte. Un certificat de non contre-indication au placement en isolement est obligatoire.
Mais c’est dans ces conditions qu’aurait été placé le retenu après une tentative de suicide, la semaine dernière. Selon les témoignages recueillis sur place, pour s’être « agité » quand les policiers sont intervenus, il y aurait passé 12 heures, attaché et casqué, avant d’être placé en garde à vue. Et s’il a vu un médecin, aucune évaluation psychiatrique n’aurait été effectuée.
« Même à Gradignan les surveillants ont plus de respect pour nous ! » évoquera en soupirant Nordin, la trentaine, le dos courbé et la tête repliée dans sa capuche.
D’autres retenus confirment aussi des provocations verbales de la part de certains agents, des refus de leur donner accès à leurs effets personnels ou à des produits d’hygiène, des « bagarres » en particulier avec une des deux équipes. Autant de situations qui les « poussent à bout ».
Quant à la Cimade, ils constatent une augmentation du recours à cette chambre d’isolement. Quasiment jamais utilisée jusqu’en 2018, les passages bien qu’inférieurs à une dizaine, y seraient de plus en plus fréquents.
Un dispositif inefficace
A la sortie de la visite, Loïc Prud’homme interroge, au-delà des aspects humains, l’inefficacité du dispositif. Parmi les retenus seuls 43% font l’objet d’une reconduite à la frontière.
La majorité d’entre eux bénéficie d’une libération ordonnée par le juge des libertés et de la détention en raison d’un vice de procédure, pour raisons médicales, ou encore parce que l’administration n’obtient pas de laissez-passer de leur pays d’origine. 57% d’entre eux subissent donc ces conditions de privation de liberté inutilement.
Lors d’une prise de parole sur le parvis du commissariat, le député insoumis a donc enjoint l’ensemble des parlementaires girondins, et en particulier ceux qui ont voté la loi asile immigration à oser pousser les lourdes portes du CRA pour « venir voir humainement ce que ça représente de doubler la durée de la rétention administrative ».
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