
Après deux mois de confinement, les élèves de grande section de maternelle, de CP et CM2 feront leur retour en classe le 12 mai, et leurs enseignants la veille. Si l’académie de Bordeaux évoque la « sérénité » dans la préparation de l’échéance, ce n’est pas le sentiment des représentants des professeurs, inquiets des risques de contagion par le Covid-19, et de certains maires de Gironde qui laisseront leurs écoles fermées.
La mairie de Pauillac (4861 habitants) a annoncé ce mardi que les trois écoles de la commune resteront closes jusqu’au 29 mai, le temps de « mettre en œuvre le protocole sanitaire adéquat » – signifiant par là que les consignes actuelles ne le sont pas… Prise après concertation avec les personnels enseignants et communaux, cette fermeture pourrait être prolongée si l’évaluation des risques n’est pas concluante.
Interrogé lors d’un point presse ce mardi, avant que le choix de Pauillac ne soit connu, François Coux, directeur académique (Dasen) de la Gironde, a fait état de « deux ou trois » cas de communes ayant décidé de ne pas ouvrir leurs écoles, dont Belvès-de-Castillon et le groupe scolaire de quatre communes du Médoc.
« Comment vous allez nettoyer les fesses d’un gamin en se tenant à un mètre cinquante de distance pour les ATSEM qui font ce travail ? », justifiait par exemple le maire de Saint-Yzans, Segundo Cimbron.
Enjeux sociaux
Mais le Dasen assure que les discussions continuent avec les élus locaux, et que « la rentrée va s’opérer dans la sérénité et la concertation » :
« Les maires jouent en grande majorité le jeu car ils ont compris les enjeux sociaux et pédagogiques, la rentrée se fera très largement en Gironde », estime-t-il.
La préfète de la Gironde avait jugé le refus des maires « ni responsable, ni adapté, quand on sait le lien social que représentent les écoles, notamment dans une zone rurale ». Ce mardi, Fabienne Buccio n’a pas indiqué si elle contesterait ces arrêtes municipaux, misant plutôt sur « la démonstration » que la rentrée se passera bien le 12 mai, et sur la nécessité d’offrir une solution aux élèves risquant de décrocher du système.
François Coux se veut rassurant sur les conditions matérielles selon lui réunies pour respecter les règles de distanciation physique, avec moins de 20% des effectifs concernés « si tous les parents nous confient leurs enfants » (soit plus de 30000 élèves), la scolarisation étant sur la base du volontariat. Les classes seront par ailleurs limitées à 15 élèves en élémentaire et 10 en maternelle.

Les enfants d’abord
Les demi-groupes qui n’iront pas à l’école seront « soit en continuité pédagogique à la maison, soit pris en charge dans l’accueil parascolaire organisé par les mairies », précise-t-il. Selon les écoles, l’alternance entre les groupes se fera un jour sur deux, ou tous les deux jours. Seuls certains élèves prioritaires (enfants de soignants, d’enseignants, de policiers, etc.) bénéficieront d’un accueil quotidien.
Le 25 mai, les autres niveaux du primaire sont appelés à retourner en classe, tandis que dans le second degré, seuls les 6e et les 5e ont pour l’heure une date de rentrée arrêtée, le 18 mai.
« Mais pourquoi remettre la scolarité pour plus petits dans une temporalité si serrée ? » s’interroge Guillaume Larroche, secrétaire départemental en Gironde du SNUipp. Il dénonce un protocole sanitaire « clairement inapplicable, surtout en maternelle » :
« Les enfants en cours de récréation devront rester à un mètre les uns des autre, ne pas échanger d’objet, se laver les mains dix fois par jour… Ce sera de la garderie en milieu carcéral. »
« On veut plus de temps »
Le SNUIpp estime également ne pas avoir encore obtenu de réponses aux questions concrètes posées à la direction d’académie – que faire quand un élève est malade et qu’on n’arrive pas à joindre ses parents ? qui assure les remplacements quand plusieurs enseignants doivent télétravailler ?…. Le syndicat demande donc à l’éducation nationale de temporiser, comme le souhaitent de nombreuses communes de France :
« Hors confinement les enseignants n’auront qu’un seul jour pour organiser tout ça, reprend Guillaume Larroche. On veut simplement plus de temps, a minima une semaine, pour mettre en place un protocole qui devra probablement se prolonger à la rentrée de septembre. Mais on a l’impression qu’une date a été annoncée, et que tout le monde essuie les plâtres pour la respecter. Le 11 mai met tout le monde et à tous les échelons en difficulté – les chefs d’établissements sont dans un état de stress pas possible, ont travaillé pendant leurs congés et week-ends. »
Et ce stress serait généralisé chez les enseignants comme chez les parents d’élèves, estime Alain Reiller, de la FSU Gironde :
« On a pas envie d’être mis en pâture devant un risque de reprise de la pandémie, tout ça pour un gain pédagogique nul. Certes il faut qu’on reprenne un semblant de vie mais dans de bonnes conditions. Or on ne sait pas encore s’il y aura assez de masques et de dépistage. Coment l’école peut se permettre d’avoir des procédures plus light ?
Grève en dernier recours
Première organisation syndicale dans les écoles, le SNUIpp a déposé un préavis de grève pour le 12 mai, « pour les collègues qui se verraient acculés et refuseraient de reprendre le travail », précise le secrétaire départemental.
« Ce n’est pas un mouvement massif, mais une solution de dernier recours. On invite les collègues à questionner d’abord le protocole, à étudier sa faisabilité, et envoyer leurs questions à l’administration. Si par exemple ils constatent qu’il n’y a pas de gel hydroalcoolique, ils doivent faire jouer leur droit d’alerte, et s’ils ne sont pas entendus, exercer leur droit de retrait. C’est aussi valable pour des enseignants de plus de 55 ans se considérant à risque. »
Une pétition intersyndicale (SNUipp-Sgen-Unsa) réclamant davantage de garanties sanitaires a obtenu plus de 50000 signatures.
Mais quand il s'agit de remettre les parents au boulot rapidement pour faire tourner la sacro-sainte économie, tous les arguments sont bons...
Bravo aux maires qui se soucient en premier lieu des conditions sanitaires et de la santé des élèves, enseignants et personnels associés.
10 h ·
Pour information :
Ce matin, réunion des 4 maires du Regroupement Pédagogique Intercommunal avec l'Inspecteur de l’Éducation Nationale et une enseignante du RPI qui représentait ses collègues.
Introduction par un discours ma foi juste quoiqu'un peu convenu de l'inspecteur sur notre rôle de maire et sur l'importance de l'école républicaine, facteur d'égalité des chances entre citoyens quel que soit son statut social, etc...
L'enseignante nous apprend, chiffres à l'appui, que sur nos 4 classes/écoles, le travail scolaire par internet a pu se mettre en place dans d'assez bonnes conditions, même si cela ne remplace pas la relation concrète, et qu'un seul élève a décroché, "mais vous le connaissez, monsieur l'inspecteur, il avait déjà décroché avant le confinement".
Sur l'ensemble des 4 classes, 15% des parents ont répondu au questionnaire envoyé par les enseignant-e-s qu'ils étaient prêts à remettre leurs enfants à l'école.
L'inspecteur saute sur l'occasion pour nous expliquer que cela rend justement la rentrée plus facile à organiser et permettrait de prendre les élèves présents "à temps plein" plutôt que de partager le temps scolaire entre plusieurs groupes pour respecter les consignes de sécurité sanitaire.
Je lui fais remarquer que c'est contradictoire avec son discours du début sur l'égalité des chances et qu'aujourd'hui, nous fonctionnons avec un système de "télé-scolarité" certes imparfait mais qui fonctionne sans exclusion et maintient le lien entre enseignant-e-s et élèves (et parents), alors qu'on nous propose un système où nous n'accueillerions plus que 15% d'entre eux, les 85% autres étant renvoyés vers le CNES, organisme impersonnel aux cours impersonnels (pour les élèves et pour les parents)...
Il me répond que l'objectif est d'amorcer la pompe, de commencer pour rassurer les parents et faire remonter le taux de scolarisation assez vite.
Je lui dis qu'alors, et selon ses propres explications, cela signifierait d'aller vers la mise en place de groupes d'élèves qui viendraient à l'école "à mi-temps" ce qui serait une forme d'exclusion "à mi-temps" ou à tour de rôle, ce qui ne peut pas être satisfaisant d'un point de vue pédagogique.
Et je lui fais remarquer qu'en France l'école de la république n'est pas seulement laïque et gratuite, mais aussi OBLIGATOIRE et que c'est contradictoire avec le fait de laisser aux parents le choix de scolariser ou pas leurs enfants.
Il en convient (et meurt d'envie de nous dire que ce n'est pas lui qui l'a décidé).
Du coup, nous effleurons à peine les questions "techniques" de faisabilité du protocole de sécurité et nous en restons là.
Nous lui accordons de rester attentif à l'évolution de la situation et nous devons nous revoir dans une quinzaine de jours.
D'ici là nous allons nous revoir avec les enseignant-e-s, les représentants des parents d'élèves, les agents communaux, les cantinières...
(si toutefois, nous sommes toujours là et si les nouveaux maires élus le 15 mars, sur 3 des 4 communes, n'ont pas pris le relais...)
J'oubliais : A la sortie de la réunion, en aparté, l'enseignante nous confirme que les conditions de sécurité à mettre en place, si les écoles ouvrent, rendent de tout façon impossible une quelconque activité pédagogique pour les enseignants qui ne pourront faire que de la garderie...