Je pourrais raconter ce retour de fête, un matin très tôt dans Barbès [quartier de Paris, NDLR] désert, où des flics m’ont violemment poussé contre un mur. Ils avaient dû me confondre avec un autre.
Il m’ont traité de débile parce que je ne comprenais pas ce qu’ils me voulaient ni me disaient (ils me demandaient mes papiers, que je n’avais pas évidemment, et me hurlaient de sortir mon téléphone… je ne voyais pas le lien jusqu’à ce qu’ils me disent : « dans tes mails débile, t’as pas ta carte d’identité ? »).
Je pourrais aussi raconter qu’ils m’ont dit qu’ils allaient m’apprendre « ce que c’est la France », que j’ai essayé de calmer mes jambes qui flageolaient, de calmer l’alcool qui voulait me faire crier pour balbutier comme je pouvais : « Vous savez que c’est raciste ce que vous venez dire » et l’un qui regarde son collègue en lui disant « Qu’est ce que j’ai dit ? T’as entendu quelque chose ? ».
Je pourrais surtout raconter comment au milieu de la violence du moment, la gueule écrasée contre le mur de la banque qui fait l’angle du boulevard Barbès et de la rue de la Goutte-d’or, j’ai trouvé le recul de penser : « J’ai l’impression d’être dans une mauvaise série américaine sur une chaine de la TNT. »
Mais je ne ferais qu’ajouter des maux à la longue litanie des témoignages de violences policières et auxquels les médias vont s’intéresser jusqu’à ce qu’il s’en lassent d’ici deux semaines pour se demander « où les français partent en vacances cet été ? »
Casquette
Alors je peux raconter quelque chose de plus anecdotique, moins spectaculaire et finalement plus révélateur peut-être (même si finalement c’est la même chose).
Un jour, je devais aller faire une déclaration de perte de carte d’identité à l’hôtel de Police de Bordeaux.
Ce jour-là, en bon petit hipster du centre ville, je portais une veste Adidas et une casquette. Ça m’avait bien traversé l’esprit cinq secondes que ce n’était peut-être pas la tenue idéale pour aller voir la police, surtout quand on est arabe (ou vu comme tel). Mais j’avais balayé ça en me disant que je n’avais tout simplement pas de raison de changer de tenue pour aller faire une déclaration de perte de carte d’identité au commissariat (c’est peut être ce qu’on appelle le privilège blanc).
Alors me voilà à l’hôtel de Police :
Moi : Bonjour, excusez moi…
Le policier me coupe : On enlève sa casquette.
Moi : Pardon ?
Le policier : On enlève sa casquette quand on rentre dans un commissariat
Moi (haussement de sourcil) : Euh… Je suis pas dans un lieu de culte…
Le policier : C’est pas la question, c’est une question de politesse, on t’a jamais appris la politesse ?
Je souffle, je vais pour partir et reviens sur mes pas : Et le Monsieur là-bas vous lui avez dit d’enlever son chapeau ? Bonne journée (connard pensais-je) !
Je me suis longtemps demandé : Aurais-je vécu la même chose si j’étais rentré avec une chemise ? Cet échange venait-il de ma casquette ou de ma couleur de peau ?
Et en toute honnêteté je dois admettre que je doute que l’échange eût été le même.
Eduquer
Parce que ce que le flic a identifié quand je suis entré habillé comme je l’étais c’était « ah voilà une racaille » (cœur sur toi Nicolas Sarkozy).
Si j’étais entré avec une de mes (sublimes) chemises bariolées, il aurait pensé : « Ah voilà un PD ». Mais il ne m’aurait pas demandé de reboutonner ma chemise par exemple et il n’aurait pas évoqué une quelconque règle ni ne m’aurait parlé d’une quelconque politesse.
Il aurait fait ce que je lui demandais (son métier…), et même si je sais qu’il aurait échangé un regard moqueur avec son collègue et m’aurait donné mon papier brusquement avec un regard où se serait mêlé le dégoût et la désapprobation, il n’aurait pas parlé « d’éducation ».
Et c’est là le problème.
Certes l’homophobie, le racisme, le sexisme sont un problème mais, que voulez vous ? comme dit la chanson : quand on est con…
Le problème, à mon sens, c’est justement ce fantasme qu’ont des flics d’être investis de la mission de nous éduquer. Pas seulement « protéger et servir », (même pas du tout !), mais « éduquer ».
Ils seraient comme investis par Dieu, ou la République, ou Denis Brognard, du rôle du Sauveur. Ils seraient les (anges) gardiens d’une société en déliquescence. Ils porteraient le monde, ou ce qu’il en reste, sur leurs grosses épaules de bonhommes.
C’est à eux de sauver un monde en flammes (sauf que quand Notre-Dame crame, on préfère les lances des pompiers aux matraques des policiers…).
Système
Des flics agissent comme des missionnaires qui vont prêcher (imposer) la bonne parole aux infidèles, ceux qui ont en charge de transmettre les valeurs judéo-chrétiennes, ou républicaines pour ce qui nous concerne (encore que….) à un tas d’arriérés polygames mangeur de têtes.
Des flics se pensent les gardiens des valeurs humanistes et éclairées qui ont fait la République Française [sic] face à une peuplade de métèques qui dans leurs tours de béton prennent de la drogue, violentent des femmes, se tuent entre eux et surtout s’habillent bizarrement (les hommes avec des grandes robes, les femmes avec des foulards sur la tête), ne boivent pas d’alcool et ne mangent pas de cochon.
Mais fondamentalement il y a cette idée que l’homme blanc est au-dessus de la pyramide des races (ce qu’on appelle le racisme quoi…) et qu’il doit civiliser les sauvages, il doit les dresser (rappelez vous les élèves de Mantes-la-Jolie mis à genoux sous les rires des flics qui parlent « d’une classe qui se tient bien droite »). Il faut les dresser parce que leur violence est inhérente à leur race, de même que leur bêtise ou même leur fainéantise qu’il faudrait mater à coup de fouet pour qu’ils se mettent à travailler.
C’est en ça qu’on peut parler d’un racisme systémique, par ce qu’il est hérité des guerres de religions, de la colonisation, de l’esclavage qui ont construit notre économie et notre culture et qui ont fait le système dans lequel nous vivons, je dirais même le système que nous sommes.
Mais un système ça ne se détruit pas.
Le système c’est comme un être humain. Il est fait de ce dont il a hérité, de ses erreurs, de ses fulgurances, de ses joies, de ses peines, des coups qu’il prend et des coups qu’il donne. Il n’est jamais parfait ni bon, ni mauvais. Il est comme il est.
En revanche il peut se questionner sur lui-même, il peut évoluer, se transformer, devenir meilleur mais vouloir le détruire reviendrait à se tirer une balle dans la tête.
Alors continuons à questionner.
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