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La Nouvelle-Aquitaine parie sur les énergies renouvelables citoyennes

Depuis le transfert de compétences en matière de transition écologique aux régions en 2016, la Région Nouvelle-Aquitaine a multiplié les soutiens aux projets citoyens et mixtes, développant l’utilisation des énergies renouvelables. Éolien, solaire, méthanisation, hydraulique… état des lieux de la transition énergétique, boostée par le programme Néo Terra.

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La Nouvelle-Aquitaine parie sur les énergies renouvelables citoyennes

Commençons par quelques chiffres : selon l’AREC (Agence régionale d’évaluation environnement et climat), la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie est de 24,5% en Nouvelle-Aquitaine en 2018 (16,5% au niveau national).

Des chiffres « plutôt positifs » pour Françoise Coutant, vice-Présidente au Conseil régional en charge de la transition énergétique et du climat. La Région peut miser sur le « l’important potentiel du mix énergétique renouvelable » du territoire. Selon RTE (Réseau transport d’électricité), celui-ci se décompose ainsi (en 2019) : 7% d’hydraulique, 5% de solaire, ce qui fait de la Nouvelle-Aquitaine la première région de France en la matière, 3% de bioénergies (méthanisation et biomasse utilisée en chaufferies bois, alimentée par la région la plus boisée de France). Si l’éolien fait grand bruit, il ne pèse que 3% dans ce mix, mais sa production a bondi de 41% dans la seule année 2018. Enfin le thermique représente 2% du renouvelable (géothermie basse température, etc).

Néo Terra, la feuille de route de la transition écologique et énergétique en Nouvelle-Aquitaine, adoptée en 2019, se fixe désormais l’objectif de 45% d’énergies renouvelables d’ici 2030 et la sortie totale des énergies fossiles pour 2050. Cette transition se fonde sur onze ambitions, dont « l’engagement citoyen » et le « nouveau mix énergétique ». Le respect de la première ambition a permis à 409 dossiers de recevoir plus de 8 millions d’euros de financements de la Région. Près de 12 millions d’euros ont été consacrés à 101 projets d’énergies renouvelables (voir graphique ci-dessous).

Détail de la répartition des dossiers soutenus par la Région en 2020, en fonction de l’une des onze ambitions de la feuille de route Néo Terra qu’ils suivent
(Néo Terra, premier bilan 2020 – Région Nouvelle-Aquitaine)

La Région consacrait environ 14% de son budget total à la transition écologique et énergétique en 2018 (soit 424 millions d’euros). En 2020, elle a accordé 69 millions d’euros de crédits supplémentaires à Néo Terra dans son budget primitif, dont 4 millions de plus pour la transition énergétique.

Par ce processus, la Nouvelle-Aquitaine entend soutenir la pluralité des acteurs et actrices, citoyens mais aussi entreprises locales et hybrides. La première carte régionale des SEM (Sociétés à économie mixte), mêlant actionnaires privés et publics, et exploitant les énergies renouvelables, a été publiée ce 22 juin lors du 8e Comité régional de la COPTEC (Conseil permanent de la transition énergétique et climat). Elles maillent aujourd’hui tous les départements quand en 2016, la Région n’en comptait que deux (Sergies et Enerland).

Première carte régionale des SEM, SCIC et Sociétés citoyennes produisant des énergies renouvelables.
(8e Comité régional de la COPTEC- Région Nouvelle-Aquitaine)

Méthanisation : une méthode réellement verte?

Un soutien important est notamment accordé aux projets de méthanisation : en 2019, le territoire compte 60 installations en fonctionnement et 102 projets en cours.

Le méthaniseur coopératif de Méthalayou à Préchacq-Navarrenx (Pyrénées Atlantiques) compte parmi ceux subventionnés par la Région. Ce collectif de 15 agriculteurs et agricultrices a porté pendant sept ans le premier projet citoyen de méthanisation en Nouvelle-Aquitaine, jusqu’à sa mise en service en 2018. Chacun détient 5% du capital, soit 65% en tout, autrement dit la majorité du capital est détenue par ses utilisateurs.

Énergie Partagée – qui est à la fois une association pour sensibiliser et apporter une expertise aux citoyens développant des projets autour des énergies renouvelables, et un fonds d’investissement citoyen – en possède 25%. Les 10% restants reviennent à deux investisseurs privés. Le biogaz est utilisé pour alimenter les transports et les foyers dans un périmètre de 25km et permet de chauffer l’équivalent de 2000 personnes.

Le méthaniseur de Méthalayou à Préchacq-Navarrenx, Pyrénées-Atlantiques
(Énergie Partagée)

Depuis sa création, l’objectif de Méthalayou est de perfectionner les modes d’épandage des effluents agricoles et leur efficacité pour le sol et les plantes, tout en prenant en charge collectivement le coût de cet épandage. Auparavant, chacun utilisait ses propres déchets agricoles pour les répandre sur ses terrains personnels. Le fait de mutualiser ces déchets donne un épandage de meilleure qualité car plus homogène, moins odorant et débarrassé d’une grande partie des éléments pathogènes (graines de mauvaises herbes perdant leur potentiel germinatif, germes désactivés dans les cuves).

Toutefois, un nouveau point d’attention concerne la mise en commun des pathogènes potentiels (métaux, micro-polluants organiques, résidus d’antibiotiques, bactéries antibiorésistantes…), qui, ensuite répandus sur les terres agricoles, peuvent s’écouler vers les cours d’eau les plus proches et dans les nappes phréatiques dans le cas de fortes pluies ou de terrains pentus.

« Nous compensons cela par une surveillance accrue et à la maitrise sanitaire en amont et en aval du méthaniseur », explique Thierry Aurisset, l’un des agriculteurs du projet Méthalayou.

Françoise Coutant précise d’ailleurs que des critères importants doivent être respectés pour recevoir des financements de la Région : ne pas utiliser la « réserve utile » en eau des sols, ni d’intrants chimiques. Or les méthaniseurs peuvent recevoir de la biomasse issue de cultures énergétiques (qui lui sont totalement dédiées) ou de cultures intermédiaires (utilisées en alternance entre cultures énergétiques et agricoles).

« Je mets un garde-fou à la méthanisation, prévient donc la vice-présidente du conseil régionale. Ce n’est pas parce qu’on vise 100% de gaz vert que l’on va faire n’importe quoi. Personnellement, je suis totalement opposée aux cultures énergétiques même si la législation le permet et peut même ouvrir droit à des subventions. Les cultures intermédiaires, oui, mais seulement si ça n’est pas au détriment de la production alimentaire. »

Un nouveau comité de suivi de l’impact sur les sols et l’eau devrait voir le jour d’ici fin 2020, afin de renforcer ces critères de surveillance.

Les éoliennes n’ont pas toutes le vent en poupe

Dans le « mix énergétique », les éoliennes tiennent également une part importante. La majorité d’entre elles est située dans l’ex Poitou-Charentes, qui concentre 200 parcs en fonctionnement en 2019, contre six dans l’ex Limousin, et aucun dans l’ancienne Aquitaine…

« Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2016, j’ai eu la surprise d’apprendre qu’il n’y avait pas de vent en Aquitaine, plaisante Françoise Coutant. Plus sérieusement, c’est la sanctuarisation de 70% du territoire par l’armée à quoi vous ajoutez les zones protégées qui ne laissent que d’étroits couloirs à l’éolien. Et là, cela échappe à mes compétences : si l’État veut poursuivre la transition énergétique, il doit sortir de ses contradictions. »

Ce sont aussi de nombreuses associations et habitants qui s’opposent à cette technologie visible et parfois sonore. 165 associations régionales viennent par exemple de saisir le Tribunal administratif de Bordeaux. Elles y dénoncent le Sraddet (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), qui vise une multiplication par 2,5 de la production éolienne, ce qui se traduirait d’après ces associations par rejetant l’installation de 1600 nouvelles éoliennes sur le territoire pour 677 déjà en service.

Pour pallier ces refus massifs, les projets doivent être partagés et discutés de manière pédagogique avec la population, selon la vision systémique qu’a Françoise Coutant de la transition énergétique. Elle réprouve ainsi le principe « d’acceptabilité » auquel elle préfère celui « d’appropriation citoyenne », refusant par là d’imposer un projet à un territoire. Consulter et impliquer les citoyens semble être un pari gagnant, comme l’illustre le parc éolien de Champs Chagnots (Vienne) qui n’a essuyé aucune opposition lors de l’enquête publique, ni de recours au permis de construire, fait rare dans une zone déjà beaucoup investie.

Cela peut s’expliquer par la concertation autour du projet qu’avait orchestrée le maire de La Chapelle-Montreuil, Rodolphe Guyonneau, avec les citoyens et par l’ouverture du capital à ces derniers. Ainsi, 67 habitants de sa commune, soutenus par Énergie Partagée (qui détient une part du capital), ont investi en 2017 dans ces trois éoliennes à hauteur de 20% du capital, soit 80000 euros. Une première en Nouvelle-Aquitaine !

Ces actionnaires réduisent ainsi leurs émissions de CO2 de six tonnes par an et alimentent l’équivalent de 60% de la population de la communauté de communes du Pays Vouglaisien. Les bénéfices réalisés par l’exploitant, Sergies (une SEM) sont réinjectés dans la vie locale au travers de subventions comme ce fut le cas à Boivre-la-Vallée pour installer des lampes LED en ville, moins énergivores, et pour isoler les bâtiments.

Inauguration des éoliennes de Champs Chagnots en présence des habitants actionnaires de Chapelle-Montreuil (Énergie Partagée)

Toutefois, Rodolphe Guyonneau s’inquiète d’un projet de troisième parc sur le territoire, porté par l’entreprise allemande Nordex.

« Pour l’instant, je trouve que la concertation avec la population est moins informative et démocratique qu’à Champs Chagnots. Deux questions se posent: Est-ce que les citoyens sont prêts à accepter une saturation visuelle pour un bénéfice environnemental ? Et qui sera l’exploitant ? Ça n’est pas anodin, ça conditionne notamment si les bénéfices vont rester sur notre territoire ou pas. Hors il me semble injuste que les locaux subissent des nuisances relatives, visuelles et parfois acoustiques, et qu’ils n’aient rien en retour. »

Il se dit donc favorable au nouveau projet si l’exploitant est Sergies et que les habitants peuvent à nouveau investir dans le projet via Énergie Partagée.

« Le fait que les investisseurs soient des citoyens locaux crée une dynamique de coopération, estime le maire. Sinon, on entre dans une démarche purement financière. Et j’ai le sentiment que ces nouveaux porteurs de projet ont plutôt la fibre économique qu’environnementale. »

Et les autres du pans du mix énergétique ?

La Nouvelle-Aquitaine regorge aussi de projets solaires : parmi eux, des projets citoyens tels que la société citoyenne Solévent, dont nous avons assisté à la mise en service de ses premiers panneaux solaires sur l’école Marcel Sembat à Bègles, mais aussi La Citoyenne Solaire née en 2014 en Haute-Vienne.

90 associés citoyens y ont investi 90% du capital et trois communes possèdent les 10% restants. L’action s’élevait à cent euros, permettant à chacun de participer aux décisions et à la gouvernance de la Citoyenne Solaire. Le collectif a permis l’installation de quinze toitures photovoltaïques d’une puissance de 9kWc et deux de 36kWc. Il revend ensuite l’électricité produite à EDF et Enercoop, une société coopérative fournissant de l’électricité exclusivement issue des énergies renouvelables.

D’autres projets solaires sont actuellement à l’étude, avec l’objectif de produire entre 200 et 500kWc supplémentaires et ce en réunissant au moins 150 actionnaires dans le futur. En parallèle, ils participent à la sensibilisation des habitants aux énergies renouvelables en organisant des actions d’animation publiques.

Mise en service par Solévent des panneaux solaires sur l’école Marcel Sembat à Bègles (Direction de l’école Marcel-Sembat/ Ville de Bègles)

D’autres projets innovants qui exploitent les bienfaits de la géothermie basse température sont en cours, comme à Jonzac (Charente-Maritime). C’est la communauté de communes de Haute Saintonge qui récupère les eaux thermales, une première fois exploitées par les Antilles-de-Jonzac, un centre aqua-ludique.

Puisque la température reste suffisamment élevée pour produire du chauffage ou du froid, les infrastructures aux alentours en bénéficient (l’Ehpad, le casino, l’hôtel…), ce qui permet de rejeter l’eau dans les rivières à une température comprise entre 15 et 20°C. Cela profite à la communauté de communes de deux manières : elle réduit ses émissions de gaz à effet de serre en exploitant les énergies renouvelables et elle économise sur sa facture d’électricité, avec l’opportunité de réinvestir ses bénéfices dans d’autres projets territoriaux.

Parmi les idées innovantes, le petit hydraulique est en plein retour de hype. Cela consiste à poser de petits générateurs électriques sur des moulins à eau. La production d’énergie est faible mais peut alimenter les infrastructures publiques environnantes. Pierre Belot, chargé du développement de projets au sein de la SEM Énergies Midi-Atlantique prévient que des restrictions imposées par les lois sur l’eau peut limiter son développement, à moins de réussir à prouver que ces moulins ont eu le statut de producteurs d’énergie par le passé… Développer les énergies du futur, ça passe parfois par un saut de quelques siècles dans les archives !


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