Au Tribunal de grande instance de Bordeaux, Chambre 7, la victime est assise en face de son agresseur, enfermé lui dans un box en verre. Entre elle et lui, l’avocat et l’interprète.
Quand elle est appelée à la barre, elle s’avance d’un pas sûr. Silhouette frêle, cheveux noirs, lisses et longs jusqu’au bas du dos, la trentaine, elle se dresse face au juge. D’une voix basse, légèrement étouffée par le masque, elle récite le déroulement de la soirée de ce samedi, rue Saint-Genès à Bordeaux :
« On sortait tout juste du restaurant. Il était environ 23h30. L’un de nous s’est arrêté à un distributeur automatique pour retirer de l’argent. Je me suis avancée vers une poubelle pour jeter ma cigarette. Il m’est tombé dessus. Je n’ai pas réalisé tout de suite. »
Elle a mis du temps pour voir sa main saigner, une plaie sur l’intérieur du poignet. Entre l’affolement de sa compagne, les réactions de ses amis, elle a réalisé qu’elle avait reçu un coup de couteau. Une idée lui a traversé l’esprit : « Ah ok, c’est ça une agression au couteau. Je viens d’en subir une. »
Récidive
Au début de la séance, l’agresseur nie les faits. Il marmonne des phrases incompréhensibles en espagnol, puis en français. Il explique son geste sans trop de conviction. Il évoque le confinement, ses regrets de ne pas avoir regagné son pays d’origine avant. Il dit qu’il était épuisé, fatigué. Il a 52 ans, une trentaine d’années sans domicile fixe, dont cinq en France, la rue, les squats, l’alcool et le shit.
Le juge est impassible. Les faits relèvent d’une récidive, une première agression au couteau datant de 2016.
Collé à la vitre, l’accusé coupe la parole au juge, à son interprète. Le magistrat lui demande de cesser et le menace de l’évacuer. L’accusé n’entend rien, ne répond à rien, ses propos sont inaudibles. L’interprète intervient, en vain. « La communication avec vous est difficile » s’agace le juge. L’expertise psychiatrique avait estimé l’agresseur pourtant responsable. Celui-ci maintient qu’il a « pété un plomb » sous prétexte que le groupe était bruyant et qu’il l’empêchait de dormir dans un algeco à côté.
La victime affirme l’inverse.
– Demandez-vous des indemnités pour préjudice moral ou physique ? interroge le juge.
– Non. Je ne demande rien. Je veux qu’il soit pris en charge et soigné.
Punition
« En ces temps où les coups de couteaux à Bordeaux font la une des journaux écrits et télévisés, nous avons évité le pire » lance le procureur qui s’inquiète de « l’état paranoïaque » de l’accusé. Il requiert une peine de huit mois de prison ferme et de deux ans d’interdiction de séjour en Gironde. Le juge suivra cette réquisition malgré l’insistance un tantinet improvisée de l’avocat commis d’office pour une indulgence face au traumatisme de son client, « comme beaucoup de SDF en France ».
Le verdict tombe après une heure d’audience. Sans bruit, ni contestation. L’agresseur est raccompagné par deux agents de la police. Son interprète se retire. Son avocat prépare l’affaire suivante.
La victime elle sort de la salle avec son amie. « Soulagée ? »
« Pour moi, huit mois, c’est déjà passé. Ce n’est pas ce que j’espérais. Le verdict prend en considération mon problème, c’est bien. Mais il ne prend pas en considération son problème. Qu’est ce qu’on fait du problème de l’agresseur ? Huit mois en prison, il ne va pas le régler tout seul. Il ne va pas y réfléchir. Il va ressortir et il l’aura toujours en lui. »
La trentenaire quitte le tribunal amère. Son agression ne sera qu’ « une agression de plus dans la comptabilité des médias ». A propos de l’agresseur, « on vient juste de reporter le problème ».
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