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Nous avons croisé Nathalie Man en train de coller un poème place Gambetta

Poétesse de rue et street-artiste, Nathalie Man colle ses poèmes sur les murs de Bordeaux, comme elle l’a déjà fait à Paris, Lyon, Nantes, Berlin et ailleurs. Elle vient de publier son troisième livre, Perceptions. Avec ses mots, elle dénonce un mal qui ne cesse de gagner le monde, la précarité.

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Nous avons croisé Nathalie Man en train de coller un poème place Gambetta

Place Gambetta. 3 septembre. 10h. Nathalie Man déboule à toute berzingue à vélo devant l’ex-Virgin. Dans une sacoche un pot de colle et un pinceau large. Dans l’autre 25 affichettes noir et blanc format A3 classées dans un ordre précis. Une fois collées bout à bout, un texte apparait sur la façade du bâtiment. Il s’intitule : « Ma fille ne le sait pas. »

Ce texte sur une mère violentée par une société mercantile, écrit trois jours plus tôt, retrouve le mur où a été placardé en 2018 un autre texte sur la précarité. Nathalie Man reprend cette thématique qui lui est chère, après un confinement où son écriture s’est penchée sur l’amour et le désir. Elle parle d’un besoin d’engagement, politisé depuis 2016, à la veille de Nuit debout.

Dire autrement

Nathalie Man parle comme une mitraillette. Elle dit « l’angoisse de ne pas avoir le temps d’être écoutée », « une espèce d’urgence comme si demain éclatait une guerre nucléaire ».

« Je parle vite. C’est pour ça que je n’aime pas lire mes poèmes et que je préfère les coller. »

Coller. Un geste revendicatif pour mettre sous les yeux de la société ses invisibles. Son premier texte s’affiche en 2013 en hommage à un sans-abri « qui dormait dans la rue et qui se peignait les cheveux tous les matins porte Saint-Martin à Paris ». Des conditions ou des causes qui l’affectent et qu’elle ne peut pas « dire autrement ».

Nathalie Man dans un atelier partagé (WS/Rue89 Bordeaux)

La présentation est dépourvue de mise en page pour « échapper aux valeurs esthétisantes ». Noir sur blanc, avec une typographie basique, rien n’interfère entre le sens et le lecteur, qui s’octroie parfois une place entre les lignes.

« Je voulais expérimenter la théorie de la coopération textuelle de Umberto Eco qui fait du lecteur un acteur essentiel. Je ne signais pas. Je le prenais régulièrement en photo et je constatais les ajouts qui ont été faits par les passants. C’était pour moi le sens d’une œuvre commune. »

A partir de 2014, la signature NM apparait. Nathalie Man « assume », encore plus depuis 2017, « tellement déchirée par le vote-contre du 2e tour des présidentielles ». Au fil de sa pratique, poétesse classée street-artiste, ses interventions s’aiguisent. L’emplacement est repéré, mesuré, et la réalisation méticuleuse.

Batarde

Née à Lyon en 1987, Nathalie Man savait ce qu’elle allait devenir plus tard. « Être moi-même. » Elle grandit dans un quartier où « une voiture était volée ou brûlée chaque jour ». Loin de son père hongkongais qu’elle a peu connu, sa mère tente de lui offrir une vie meilleure et la conduit sur la terre de ses propres origines. En 1999, elle s’installe à Santander en Espagne.

« J’étais heureuse à cette idée. Mais je me rends vite compte que je ne suis pas Espagnole, que j’étais batarde en fait. Autour de moi, on me dit Chinoise et la famille de ma mère accepte mal que je ne sois pas baptisée. »

Nouveau départ, cette fois-ci direction Bordeaux. C’est le jour de l’éclipse solaire.

« A peine arrivée en camion place Gambetta, un monsieur me prête ses lunettes pour observer la lune devant le soleil. »

Elle obtient le bac au lycée Magendie et débarque à Paris IV pour des études en Lettres Modernes. Ensuite Sciences Po à Grenoble. Puis National University of Singapore. Puis stages à Pékin au sein de Radio France et Le Monde. S’enchaine ensuite des métiers de tout genre. « Huit ! », allant de traductrice à commis de cuisine.

Paris de nouveau, elle est chargée d’accueil au sein d’un chic musée de la capitale. Le harcèlement d’un supérieur – qu’elle préfère ne pas nommer – précède une démission. Mars 2015, de nouveau à Bordeaux.

Caractère de merde

En plus d’un millier de texte collés sur les murs, Nathalie Man a également publié trois ouvrages : Journal d’Elvire (Le Bord de l’eau), Impressions de Pékin (Les Xérographes) et, très récemment, Perceptions (L’éphémère), un recueil de textes écrits entre 2012-2015. Ils racontent sa vie parisienne mais aussi la désillusion après un diplôme de grande école, qui la conduit vers une piégeuse précarité.

Dans cette publication issue d’un financement participatif, des poèmes et des textes courts, rageurs ou intimistes, 120 pages incisives, entre les joies d’une douche à l’incompréhension d’une agression. Extrait :

« Il m’a frappée. Il m’a insultée. “Sale asiat’” crie-t-il.
Je garde ma conscience, mon intelligence est toujours là. Je sens ses mains qui s’agrippent brutalement à mes épaules, et je vois le poteau qui avance à toute allure. Mais chaque seconde qui m’amène au poteau allume une force dans mon corps. Je ne vais pas céder. Non, je ne vais pas me laisser faire. Il va y avoir un après. Ce n’est pas la fin. »

Nathalie Man colle son texte (WS/Rue89 Bordeaux)

L’écriture de Nathalie Man porte ce quelque chose d’universel qui interpelle aussi bien le for intérieur et que l’effort de classes. Féministe et activiste, elle épouse les causes sans retenue, emportée par son « caractère de merde ». Ce 3 septembre, elle affiche un nouveau cri du cœur au cœur de Bordeaux :

« Je parle d’une femme de mon entourage, licenciée par son employeur pour motif “insuffisance professionnelle” après 25 ans de service. C’est le motif le plus ignoble du monde. »

Place Gambetta. 3 septembre. 10h10. Nathalie Man a collé. Certains passants tournent à peine la tête. Certains s’arrêtent pour observer la performance, parfois quelques secondes, parfois bien plus.


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