« Notre programme n’a jamais été d’arrêter de construire, mais nous allons construire autrement », résume Pierre Hurmic pour donner le ton de sa politique de l’habitat et de l’urbanisme à Bordeaux. Après le moratoire, devenu « droit d’inventaire », c’est l’heure d’une « nouvelle direction » avec « la nature comme patrimoine ». Sa feuille de route a été présentée lundi à la presse et débattue au conseil municipal de ce mardi 4 mai.
Zéro artificialisation des sols, encadrement des prix, permis de louer et de diviser, lutte contre l’habitat indigne… Le maire a rappelé les mesures prises pour mettre fin à l’urbanisme dérégulé des dernières années, qui s’est notamment traduit par une augmentation continue des prix – la moyenne des ventes des promoteurs, est passée de 3 830€/m² en 2014 à 4714€/m² en 2020, « décorrélés des capacités financières des ménages ».
Derrière ce diagnostic connu, la Ville a livré son credo des 3R – renaturation, régulation et résilience – et des objectifs chiffrés : construire 1500 logements sociaux par an quand le programme local de l’habitat (PLH) de la métropole n’en exigeait que 1000 et quand la Ville en finançait jusqu’à présent 1200 par an.
Un besoin de 2500 logements par an
Cela doit permettre de réaliser les 9 156 logements sociaux nécessaires pour atteindre le seuil des 25% imposé par la loi (Bordeaux est aujourd’hui à 18,5%). Globalement, la mairie estime le besoin de logements à 2500 par an à Bordeaux, un cap qu’elle juge parfaitement atteignable en contenant le niveau actuel de construction – 3000 logements par an dans les opérations d’aménagement, 1000 dans le diffus (parcelles en ville).
« Le Zéro artificialisation des sols ne veut pas dire arrêter de construire des logements, nous en avons besoin », estime Pierre Hurmic, selon lequel « les deux objectifs sont parfaitement conciliables ».
En séance, le marcheur Thomas Cazenave a exposé des comptes qui n’aboutissent pas aux mêmes résultats :
« Pour tenir les 25%, il faudrait livrer chaque année près de 2 500 logements sociaux de plus or c’est précisément l’objectif de construction que vous vous êtes fixés. Donc sauf à faire 90 ou 100% de logements sociaux dans ces opérations et renoncer aux objectifs de mixité, vous ne respecterez pas les objectifs de la loi SRU. »
Des calculs erronés, martèle la municipalité, qui souligne notamment vouloir agir sur le secteur diffus. Des interventions de l’office foncier solidaire et des bailleurs sociaux tels qu’InCité doivent permettre de racheter des terrains et d’apporter davantage de mixité dans certains quartiers, en y construisant 500 logements sociaux et 300 en BRS (bail réel solidaire).
Reprendre la main
Lors du conseil municipal, qui a démarré par un hommage à Emmanuelle Ajon, adjointe en charge du logement et de l’habitat disparue en décembre 2020, la majorité a pris une heure pour présenter ces orientations, via Bernard Blanc, adjoint chargé de l’urbanisme résilient, et Stéphane Pfeiffer, chargé du service public du logement et de l’habitat. Ce que lui ont reproché les élus de l’opposition, contraints à 5 minutes de temps de parole par personne, délai qui a vu l’opposante Alexandra Siarri de Bordeaux ensemble se faire couper le micro.
Avec de multiples références au rapport de la Chambre régionale des comptes sur la politique du logement publié en novembre 2020, Bernard-Louis Blanc dresse un bilan sombre de la politique de l’offre et de la » grande liberté des bailleurs privés ».
« Le territoire demeure tendu en matière de logement malgré un fort développement du parc privé et public, l’évolution des prix de l’immobilier et des loyers participe aux difficultés d’accès au logement, les loyers du marché privé ont plus fortement augmenté depuis l’année 2000 où on a connu les plus beaux pics de production, pour la métropole bordelaise plus 50% contre plus 42% pour la France entière quand l’inflation était de 21%. Donc le choc de l’offre a été mis en œuvre sur le territoire métropolitain et sur la ville de Bordeaux et il a eu l’effet inverse : les prix n’ont cessé de monter. »
La nouvelle mandature veut reprendre la main et éviter « les espaces homogénéisés » et « la domination du béton coulé ».
Faire avec l’existant nécessite de « construire la ville sur la ville », c’est-à-dire sur les sols déjà artificialisés, mais aussi mobiliser les logements vacants, dont le nombre est estimé à 5000. L’occasion pour Fabien Robert de commenter :
« Quand vous étiez dans l’opposition, vous aviez répété que 10000 logements étaient vacants à Bordeaux. Finalement, vous en avez recensé la moitié. Si la vacance est faible, c’est qu’on n’a pas trop construit comme vous le prétendiez jusqu’à maintenant. Jamais le rapport de la CRC ne le dit. »
Décarboner
Bernard Blanc affirme pourtant n’avoir « pas d’état d’âme » à poursuivre « les coups partis », lancés par l’équipe précédente, puisqu’ils se développent sur des fonciers déjà artificialisés. Il espère cependant rectifier les tirs sur certains projets, ou du moins ce qui reste à construire. Brazza en est l’exemple, « particulièrement catastrophique » : il s’agit de reprendre les choses en main et rattraper l’ « urbanisme en liberté » accordé aux opérateurs.
L’équipe écologiste espère renforcer la désimperméabilisation et la végétalisation des projets d’aménagement en cours avec l’espoir de retrouver les « 25% de biodiversité perdue avec la frénésie immobilière de ces dix dernières années ».
Les 10 projets démonstrateurs du label bâtiment frugal bordelais envisagent par exemple la « création de 35% de pleine terre sur des parcelles 100% artificialisées ». L’objectif de ce label est de « décarboner la production immobilière ». Celui-ci promeut l’utilisation des matériaux biosourcés et géosourcés, produits dans un rayon de 200 km ; la conception de logements évolutifs avec notamment des espaces extérieurs vastes.
Mais pour Alexandra Siarri, ce label est « une nouvelle contrainte locale [qui] ralentira les délais d’instruction des permis ». L’élue du groupe Bordeaux ensemble relève que « pas un euro de plus » ne se trouve ajouté au budget logement par rapport à l’ancienne majorité.
Dépenses
Une remarque reprise par Thomas Cazenave de Renouveau Bordeaux qui accuse une absence « d’investissement massif et volontariste de la puissance publique pour maitriser le foncier et changer les règles du jeu ».
Pour Claudine Bichet, première adjointe, il y a un « malentendu qu’il va falloir lever entre les montants qui sont votés et les montants qui sont mandatés » (NDLR : dépensés) :
« Nous sommes sur le nouveau mandat à 24,3 millions d’euros à comparer à 24,4 millions autant dire qu’on est au même niveau mais vous n’aviez mandaté que 22,6 millions d’euros sur le précédent mandat. Ce qui veut dire que sur le PPI de cette nouvelle mandature nous augmentons les moyens à date de 1,7 million d’euros. Donc dire que nous n’investissons pas plus, c’est faux, en tous cas dans notre volonté. »
Du moins cela ne pourra être catégoriquement affirmé que dans cinq ans, quand on saura si l’actuelle municipalité a effectivement investi plus que la précédente dans le logement social en ayant budgété un peu moins… Mais le PPI « sera revu chaque année » et pourra être réévalué si les besoins sont là, assure l’adjointe aux finances.
« Vous ne mettez pas un euro de plus pour le logement social.Je sais que c’est désagréable à entendre quand vous avez fait campagne pour renverser la table », rétorque Thomas Cazenave, selon lequel il faudrait « ajouter un 4e R au slogan, celui de renoncement ».
Social
Jusqu’à la fin du mandat, l’équipe de Pierre Hurmic se donne également comme objectif la création de 1800 logements étudiants supplémentaires. Elle mettra également en place la Maison du logement annoncée comme guichet unique de l’habitat.
Prochain épisode en matière d’urbanisme et d’habitat, la mise en place du 11e Plan local d’urbanisme (PLU) dont la concertation est en cours avec une enquête publique. Celui-ci est déterminant pour augmenter l’offre de logements sociaux ou accessibles. Bernard Blanc annonce en effet la révision de certains seuils : 40 % de logements sociaux seront désormais exigibles dans les programmes immobiliers à partir de 1500 m², contre 35% pour 2000 m² actuellement.
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