Par le passé, un journaliste s’est adressé à Hamid Ben Mahi : « Tu danses bien mais quand tu parles, ce n’est pas vraiment nécessaire. » Jeune danseur de la cité des Aubiers, figure d’un hip-hop naissant, il lui était demandé d’illustrer le bon côté d’une banlieue populaire aux portes d’un Bordeaux bourgeois. Accueillant son ami président de la République, le maire de l’époque présente « monsieur Benani » comme prometteur. « Ça se voit dans vos yeux que vous allez réussir », lui lance le chef de l’État.
Né en France dans les années 1970, de parents algériens, « Farid » Ben Mahi n’oublie pourtant pas les « rentre chez toi ». « Quand je me suis mis à la danse, j’ai cherché à comprendre, perturbé en grandissant par ces vides restés sans réponses. »
Ses questions s’immiscent dans son travail chorégraphique, jusqu’à « Chronic(s) » en 2001, un ensemble de récits d’Hamid Ben Mahi, réécrits et orchestrés par Michel Schweizer. Cette création hybride, une sorte d’introspection personnelle à travers les gestes et les paroles, ouvre un nouveau chapitre de l’histoire du hip-hop pour débarrasser cette danse de la seule étiquette d’un mouvement tendance.
« Danser c’est un métier »
20 ans plus tard, presque l’âge de la compagnie Hors Série menée par Hamid Ben Mahi, le tandem revient avec un nouvel opus. Et son lot d’interrogations.
2001, la création de « Chronic(s) » s’achève péniblement dans le monde d’après 11-Septembre, événement qui a secoué l’équipe du spectacle. 2021, le deuxième volet, fait face à la crise de la Covid-19. La création prend du retard, les dates annoncées sont annulées. Pour Michel Schweizer, « les deux actualités marquent le temps qu’on vit et appellent à une dimension sérieuse et aigüe ». Les deux créations sont donc nées à cheval sur une crise, entre un avant et un après aux infimes nuances.
De sa voix épaisse, Hamid Ben Mahi fait en préambule une transition, un résumé de l’épisode précédent. Puis il compte les jours d’une vie. Il inspecte ceux qui lui restent pour parvenir à « prendre de la hauteur » et transmettre à son fils Gibran – dont la présence s’esquisse en quelques mots ô combien familiers –, les valeurs d’une discipline « simple », la danse, « bien sûr un métier ». Les transmissions se télescopent quand s’invite celle d’un héritage familiale, ponctué de talismans et de bismillah, de chansons égyptiennes et de danses traditionnelles de salon.
Présenté comme « un pas de côté dans la trajectoire personnelle et sociale d’un artiste chorégraphique en capacité de se retourner et de commenter ce qui l’a conduit jusque-là », cet autoportrait se reflète dans une humanité en lutte avec ses propres crises. « Chronic(s) 2 » devient alors une lecture sans concessions d’une société à débordement continu.
Renseignements et réservations sur le site de La Manufacture CDCN
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