Des mecs qui ont des théories sur tout ce qu’il faudrait faire, il en existe un sacré paquet. Philippe Couderc faisait partie d’un club bien plus select : celui de ceux qui passent à l’action, et, oserais-je rajouter, avec une réelle efficacité.
C’était le garçon à la fois le plus débordé et le plus disponible du monde. Les dossiers semblaient toujours s’empiler sur son bureau, uniquement concurrencés par d’impressionnantes piles mouvantes de disques et de magazines ! Philippe s’attaquait à la tâche avec méthode et détermination.
Et quoi qu’aux prises avec un solide emploi du temps et des responsabilités à la pelle, il ne s’échappait pas quand on le sollicitait pour un conseil, un avis, une écoute ou juste une blague en passant entre deux portes.
« On ne devrait jamais quitter Montauban »
On emploie souvent l’expression “homme de l’ombre” pour des profils en son genre, je préfère parler d’un “passeur”. Un passionné qui n’eut de cesse de mettre en place les outils qui lui permettraient de transmettre au plus grand nombre ses coups de cœur et sa passion : un fanzine, une maison de disques et des réseaux professionnels pour structurer tout ça.
Originaire des environs de Montauban, Philippe Couderc ne s’offusquait pas qu’on le chambre et on le chambre encore avec la célèbre réplique des Tontons Flingueurs : « On ne devrait jamais quitter Montauban. » Il a quitté la ville pour Toulouse, puis diplôme d’ingénieur en poche, a mis le cap sur Bordeaux, attiré par le dynamisme prometteur de la capitale girondine. Ses capacités d’ingénierie, il ne les mit jamais au service de la mécanique des fluides (sa spécialité, si je me souviens bien), mais des musiques indépendantes d’expression rock. Employons le mot « rock » comme évocateur d’un état d’esprit, si vous le voulez bien, non pas comme une enseigne à visser au fronton d’une chapelle. Nous savons bien que Philippe Couderc, amoureux du ronflement chaleureux des amplis, a signé et défendu Improvisators Dub aussi bien que Tender Forever ou Mansfield TYA !
A l’orée des années 90, alors objecteur de conscience au CIJA, à deux pas de la place Pey-Berland, Philippe a tôt fait de prendre ses marques à Doc Rock, ce point d’accueil et d’information de la jeunesse devenu comptoir de distribution de presse alternative et épicentre de diffusion des news musicales de la cité ! On pouvait bien sûr s’y procurer Abus Dangereux, un des titres les plus durables, et les plus marquants, du fanzinat national dont il était l’adroit et sympathique rédacteur en chef.
Sid Vicious Circle
Dans un modeste appartement de la rue Tombe-L’Oly, Philippe lance le label Vicious Circle en 1993 : profitant opportunément d’un financement « Défi Jeune », il produit le premier disque du groupe Straw Dogs. Avec ses camarades toulousains, totalement excité par la prestation du groupe Greedy Guts sur les planches du Théâtre Barbey, il leur propose de signer. Les dés étaient lancés, l’aventure du label ne devait plus jamais être abandonnée, contre vents et marées.
Vicious Circle ouvre une boutique à Toulouse, et développe le service Reverberation, auquel de nombreux artistes en auto-production recoururent pour fabriquer leurs disques et leur indispensable matériel promo, avec accompagnement et bienveillance. Exactement comme l’exige le cliché du genre, le label alla s’installer dans un garage ! Depuis les hauteurs de Cenon, Vicious Circle devint en quelques mois un pilier d’une scène bordelaise en pleine effervescence, faisant paraître les albums de Mush, Belly Button, Deche Dans Face, Sleeppers, Petit Vodo, plus tard suivis de Calc, Kim, Cordebrève ou Carabine. Par la pertinence de ses repérages artistiques, Philippe développe d’enrichissantes connexions avec Angers, Poitiers ou Madrid ! Bordeaux clignote alors de tous ses feux sur la carte de l’activisme rock !
En parallèle, Philippe donne de son temps (pour en faire la compta, ce qui dut être quelque chose !) à l’asso en charge de la programmation musicale du Jimmy, le club emblématique des nuits rock bordelaises…
Sourire en coin
Vicious Circle grandit, et prend ses quartiers dans un immeuble de la place de la Victoire, en cohabitation avec tout un écosystème de labels, éditeurs, ingés son, chargés de com, graphistes, administrateurs… Du coworking et de la mutualisation horizontale avant le mot d’ordre ! Dans les années 2000, Philippe est passé des lunettes rondes aux lunettes carrées, on ne plaisante plus du tout ! Le fanzine Abus Dangereux est toujours une référence respectée et les signatures du label Vicious Circle combinent artistes internationaux (The Ex, The Bellrays, Shannon Wright, Troy Von Balthazar, It It Anita…) et pépites domestiques (Mars Red Sky, Lysistrata, The Psychotic Monks, Lane…).
C’est moins visible aux yeux du mélomane en bout de chaîne, mais il faut savoir que Philippe a en outre injecté une énergie folle dans ce que l’on pourrait appeler la « structuration du secteur », œuvrant à la construction et à l’animation de réseaux professionnels : FEPPIA, RAMA, RIM, FELIN et autres paradis des amateurs de sigles. On peut le dire, à son échelle, avec intégrité et pragmatisme, Philippe a fait de la politique.
Quel parcours ! Quel parcours en plus d’avoir su rester cool !
J’imagine qu’en qualité d’homme organisé et rompu aux épreuves, Philippe Couderc a vu arriver sa dernière échéance en face. Je ne sais pas s’il a arboré son fameux sourire en coin, mais je suis sûr qu’il avait retroussé ses manches ! C’était ta dernière deadline, Philcoud. Bravo pour le travail accompli.
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