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« Faire Face » : une BD raconte la première vague de la Covid-19 vue par les soignants bordelais

Entre début avril et fin mai, dix auteurs de bande-dessinée de l’association The Ink Link ont suivi une vingtaine de soignants du CHU de Bordeaux. Sous la direction de Wilfrid Lupano, scénariste des Vieux Fourneaux, ils ont mis en dessin leurs témoignages confrontés à une crise sans précédent. Une exposition a lieu actuellement sur les quais de Bordeaux, avant d’investir les trois pôles du CHU.

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« Faire Face » : une BD raconte la première vague de la Covid-19 vue par les soignants bordelais

Le 24 janvier 2020, le CHU de Bordeaux recevait le premier patient diagnostiqué covid sur le sol français. A cet instant, les soignants sont loin d’imaginer l’ampleur de la crise à laquelle ils vont être confrontés, à peine deux mois plus tard, lors de la première vague. Sans consignes nationales claires, budget supplémentaire ni expérience de ce type de crise, ils vont devoir redoubler d’ingéniosité.

Faire-Face est une bande-dessinée qui rend compte « des résultats de cette urgence adaptative spectaculaire » comme le décrit Wilfid Lupano, président de l’association The Ink Link et scénariste des Vieux Fourneaux, célèbre série éditée chez Dargaud. Mais aussi de la réalité d’un système de santé déjà bien mal en point avant le début de la crise sanitaire.

« Ça nous a fait notre psychothérapie ! »

Début avril à fin mai, une vingtaine d’hospitaliers du CHU de Bordeaux de différents services vont témoigner leur quotidien à une dizaine de dessinateurs de The Ink Link, qui chacun avec son style, tâchera de les mettre en dessin.

« On passait tour à tour quelques heures avec des dessinateurs. Ça nous a fait notre psychothérapie ! On n’a pas souvent l’occasion à l’hôpital de se poser et prendre du recul », raconte Mathilde Puges, infectiologue à l’hôpital Pellegrin, dans l’esprit de qui l’idée de raconter la pandémie à l’hôpital va germer.

Car cette histoire commence d’abord par celle d’une infectiologue à risque qui, ne pouvant s’approcher des patients, va chercher à apporter son aide autrement. C’est ainsi que naît la plateforme téléphonique VilleHop, encadrée par Mathilde Puges, afin de désengorger le Samu submergé par les appels.

« Avec cette plateforme, on a voulu faire le lien entre la médecine de ville et les infectiologues du CHU qui connaissaient bien la maladie. Ils ont eu accès aux premières études et vus les premiers patients. Les médecins libéraux avaient beaucoup d’interrogations sur cette infection inconnue », explique Léo Donzel, pharmacien de Santé public, qui a participé au dispositif VilleHop.

Il est représenté aux côtés de Mathilde Puges sur l’une des planches de la bande-dessinée intitulée « La citadelle hermétique », illustrée par Mathilde Domecq. Dessinés en chevalière et en magicien, Mathilde et Léo plongent le lecteur dans « le monde féerique, fantasmagorique et tragicomique de l’hôpital », en guerre contre les procédures administratives et défiant la citadelle de la procédure complexe.

« C’est un peu une réplique des douze travaux d’Asterix mais adapté au CHU ! Mais cela montre également comment l’urgence sanitaire a contribué à faire tomber les barrières administratives pendant la covid », explique le pharmacien de santé publique.

Extrait de « Faire face » Photo : DR

Innovant

Pour Mathilde Puges, mettre la pandémie en dessin est apparu comme une évidence :

« J’adore la BD, je lis des choses en dessin que je ne lirai jamais dans les livres classiques. Au moment de la première vague, et alors qu’on vivait des choses extraordinaires, qu’on ne voit jamais à l’hôpital public, je me suis dit : il faut qu’on raconte ce qui se passe ici. J’ai été mise en contact avec l’association The Ink Link qui a tout de suite saisi le message ».

Le projet a pu voir le jour grâce aux fonds du mécénat du CHU, ainsi que de la bourse « projet innovant » du réseau des jeunes infectiologues français. Au travers des dix planches, on découvre les appels téléphoniques qui se multiplient, motivés par la peur irrationnelle d’un voisin asiatique, les accidents de bricolage, mais aussi, liés à la hausse des violences conjugales. Les soignants se confrontent à la misère sociale et aux « confinés dehors » dépendant des associations d’aide alimentaire.

A travers des anecdotes, on découvre par exemple qu’un patient covid, ancien champion international de triathlon, aujourd’hui tombé dans l’oubli et victime de la maladie d’Alzheimer, a infecté toute une aile de l’hôpital en courant dans les couloirs car il ne pouvait plus tenir en place.

Prendre soin des soignants

On des leçons d’humanité. C’est ainsi que le docteur Charles Cazanave, infectiologue, résume l’épisode de sa visite en Ephad, illustrée dans le chapitre « Le Black Pearl », dessinée par Miss Prickly.

« Nous avions une camionnette pour transporter les tests qui faisait le tour des Ephad et qu’on avait rebaptisée entre nous Black Pearl. C’était la première fois que je me rendais dans un Ephad, l’accueil par les résidents était un peu mitigé car ils avaient beaucoup de craintes, les visites des familles étaient suspendus et ils étaient isolés dans leur chambre. On a eu tout un travail d’explication à faire auprès d’eux pour les rassurer. J’ai beaucoup appris niveau relationnel, le côté très humain lié au soin des résidents, c’est une approche différente de la médecine », confie Charles Cazanave.

En guise d’hommage aux soignants, l’ouvrage alerte aussi sur l’importance de la défense de l’hôpital public. La dernière planche intitulée « Caruso dans la jungle », illustrée par Yannick Corboz, fait un parallèle avec le film Fitzcarraldo de Werner Herzog : un navigateur voulant contourner les eaux rapides parvient au prix de multiples efforts à hisser son bateau au-dessus d’une montagne, mais finit par revenir au point de départ.

En clair, si l’hôpital a surpassé avec beaucoup de dégâts la première vague, il n’est cependant pas tenable de continuer à naviguer à vue. « Le temps est venu de prendre soin de nos soignants », conclue ainsi Mathilde Puges en guise de note de fin.


#bande-dessinée

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