La cour d’appel de Bordeaux examinera le 13 octobre prochain une demande du CIVB (conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux) exigeant la radiation de l’appel formulé par Valérie Murat et Alerte aux toxiques (AAT). Si elle donne raison aux plaignants, ce serait là une décision « inadmissible » selon Marie-Lys Bibeyran, présidente du Collectif Info Médoc Pesticides.
Comme une vingtaine d’autres associations et syndicats (Générations futures, Solidaires, Corporate Europe Observatory…), elle soutient la lanceuse d’alerte bordelaise, condamnée le 25 février dernier par le tribunal judiciaire pour la publication d’analyses montrant la présence de traces de pesticides dans plusieurs vins labellisés HVE.
Retour de bâillon
Dans un communiqué, ces organisations appellent à manifester le 13 octobre, rappelant que la décision du tribunal judiciaire de Libourne est « une condamnation inédite, la plus lourde d’Europe dans le classement établi par l’ONG the-Case.eu qui répertorie les procès bâillons ».
« Après s’être attaqués à leurs droits d’informer, à leur liberté d’expression, entravant l’exercice de leurs activités, allant même jusqu’à leur reprocher de commenter le délibéré du tribunal, les actions du CIVB contre AAT semblent poursuivre le but de faire taire les critiques contre le modèle de la certification HVE et servir d’exemple, particulièrement auprès des voix discordantes de sa politique « environnementale ». »
Joint par Rue89 Bordeaux, le CIVB ne souhaite pas s’exprimer et « laisse la justice suivre son cours ». Il rappelle simplement que le jugement du tribunal judiciaire de Libourne était exécutoire et non suspensif, conditionnant la procédure d’appel à l’exécution des peines infligées en première instance, dont le paiement de 105000 euros d’amendes aux Vins de Bordeaux, et 25000 euros aux autres plaignants (châteaux et organisations professionnelles).
Du temps et de l’argent
Pour Marie-Lys Bibeyran, la porte-parole d’Alerte aux toxiques a pourtant « prouvé sa bonne foi » en versant tous les mois depuis le 15 avril dernier 800 euros aux plaignants – soit 4200 euros à ce jour. « Une somme à hauteur de nos moyens », explique Valérie Murat, indiquant qu’elle est elle même « travailleuse précaire », que le budget d’AAT est « 4200 fois moins important que celui du CIVB » (21 millions d’euros) et que la loi française interdit de créer une cagnotte pour pouvoir payer des dommages et intérêts.
« Je vois dans cette tentative de faire radier notre recours une façon pour le CIVB de gagner du temps et de l’argent, et de nous en faire perdre, commente la militante. Notre appel a été déposé en mars, un mois après la décision de Libourne. Nos poursuivants avaient jusqu’à fin juillet pour déposer leurs conclusions. Au lieu de cela, ils ont fait cette demande de radiation, qui va repousser notre audience en appel. Cela me conforte dans la pensée qu’ils essaient de nous censurer et de me faire taire une bonne fois pour toute ».
Mise en demeure le 23 avril dernier par le CIVB d’exécuter le jugement de Libourne, et de retirer du site d’AAT et de ses réseaux sociaux plusieurs « propos dénigrants », Valérie Murat répond qu’elle n’est « pas une tête brûlée ».
« Je me suis pliée à la décision de justice. Nous avons publié le jugement sur le site et supprimé le dossier de presse (sur les analyses de vins HVE, NDLR) et tout ce qui devait l’être. Mais le tribunal ne m’a pas condamné à ne pas commenter le délibéré et j’ai le droit de dire ce que je pense ! Quelle sera la prochaine étape ? M’assigner à résidence avec un bracelet électronique ? Mettre ma tête à prix ? »
Les vignerons divisés
Sur le fond, Valérie Murat pense qu’une association loi 1901 n’avait pas à être poursuivie pour dénigrement commercial à l’instar d’une entreprise privée – « Je n’ai pas dénigré, j’ai juste informé et montré ce que contenait les vins analysés ». Elle considère donc que la cour d’appel de Bordeaux pourrait aisément casser la « condamnation démesurée » infligée par le tribunal de Libourne, et que le CIVB « est en train de s’enfoncer après s’être tiré une balle dans le pied ».
« Ce qui me conforte c’est le soutien spontané que j’ai reçu de viticulteurs et du président du syndicat de défense des vins naturels. Le 13 octobre il y aura devant la cour d’appel de Bordeaux des vignerons du bordelais qui en ont marre de se faire ponctionner par le CIVB des cotisations volontaires obligatoire alors qu’ils n’ont pas voté pour cette plainte contre moi. »
La suite de la procédure montrera qui va payer les pots cassés.
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