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Festival des arts de Bordeaux : une édition 2021 tout feu tout flamme

Le Festival international des arts de Bordeaux s’est achevé avec un finish enflammé d’Opéra Pagaï. L’occasion de revenir sur les coups de cœur Rue89 Bordeaux d’une édition 2021 qui a voulu tirer un trait sur les affres de la crise sanitaire.

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Festival des arts de Bordeaux : une édition 2021 tout feu tout flamme

Un carrelet sur le toit de la Scène nationale Carré-Colones, un troupeau de brebis sur le grand plateau, une éclade de moules en plein centre à Saint-Médard-en-Jalles… « La Coulée douce » signée par Opéra Pagaï est venue clôturer le Festival international des arts de Bordeaux (FAB) par une fête populaire qu’on n’espérait plus depuis la crise sanitaire et ses affres.

Pour cette mise en saynètes le long d’un parcours poétique éclairé par des torches, bougies et pots de feu, 110 personnes se sont mobilisées : une quarantaine d’Opéra Pagaï et autant d’artistes invités, ainsi que les équipes du Carré-Colonnes, y compris sa directrice Sylvie Violan, et son adjointe Hélène Debacker.

Ce temps fort a mis en lumière, et c’est le cas de le dire, un jardin ouvert et entretenu l’année dernière durant les divers confinements, dans une parcelle du parc du Bourdieu. Les spectateurs ont aussi pu déambuler dans des espaces du Carré des Jalles habituellement fermés au public : bureaux avec de la paille transformés en poulailler, fabrique de fromage et distillerie ; sur scène, paysage rural avec cabane et balançoire sur fond de champ de maïs ; sur le toit, un dortoir voisine avec des ruches d’apiculteur… Une célébration enchanteresse de la réouverture des lieux culturels.

Lors de la déambulation de « La Coulée douce » d’Opéra Pagaï, drôle de scène accessible par les coulisses Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Ainsi se termine l’édition 2021 du FAB qui a honoré tous ses rendez-vous, hormis la venue annulée du Libanais Alexandre Paulikevitch. Un pari pour le moins gagné à la sortie d’une crise sanitaire qui n’a pas manqué de perturber engagements et perspectives. Rue89 Bordeaux revient sur ses coups de cœur.

Coup de foudre : « Larsen C » de Christos Papadopoulos

Une claque ! C’est le mot qui vient à l’esprit quand on y repense. Sur la scène de La Manufacture CDCN, « Larsen C » a confirmé toute la maitrise de Christos Papadopoulos. Cet ancien disciple de Dimitris Papaioannou, chorégraphe majeur de la scène grecque contemporaine, a mené d’une main de maître cette expérience réussie, étrangement inspirée du décrochage d’un iceberg de 5 800 km2 de la barrière de glace Larsen C dans l’Antarctique en juillet 2017.

Au millimètre près, la chorégraphie relève de la mathématique tant elle exige un degré élevé de maitrise gestuelle. La qualité des mouvements et des ondulations des corps offre des boucles envoûtantes dans un espace délimité par un éclairage tantôt radical, tantôt futuriste. Les danseurs rivalisent de précisions, des postures les plus tortueuses jusqu’aux visages impassibles et regards tenaces. « Larsen C » est sans conteste la confirmation d’un grand de la danse contemporaine.

Coup de fouet : « Searching for John » de de Stefan Kinsman / Cie La Frontera

C’est un drôle de zigoto qui a sillonné Bordeaux en tenue déglinguée à certains moments du FAB. Les Bordelais ont été surpris par ses tirades incongrues en anglais d’un autre temps, avant de le retrouver dans cette fable, « Searching for John », merveilleusement présentée sous chapiteau sur l’esplanade des Terres Neuves à Bègles.

Stefan Kinsman, issu du Centre national des arts du cirque et associé depuis 2019 (jusqu’en 2022) au Pôle national cirque de Nexon, en Nouvelle Aquitaine, a forgé un style nourri des performances de rue, affiné ici avec la complicité d’un camarade de promotion Juan Ignacio Tula.

On retrouve alors John Henry, un personnage imaginaire à la fois taciturne et bavard qui incarne une poésie de la solitude. Sous son chapeau de paille, il est un voyageur en quête de soi mais aussi d’une société où les objets prennent le rôle de compagnons et de partenaires de scène.

Dans un cadre de bric et de broc, Stefan Kinsman installe un récit fantasmagorique. En anglais mâchonné, il se parle et s’interroge : « Where are you John ? » Après de nombreuses métamorphoses, le personnage se trouve pour compagnie un fauteuil à bascule, une lampe articulé, et une radio crachotante… Des objets qui s’animent et qu’il interpelle.

Comique ou énigmatique, cirque ou théâtre, différents langages se mêlent et font appel à diverses disciplines chères à l’artiste, jusqu’à son objet de prédilection qu’est la roue de Cyr dans un final homérique.

Tatiana-Mosio Bongonga tout sourire sur le fil Photo : Pierre Planchenault

Coup de fil : « Lignes ouvertes » de la compagnie Basinga

Environ 10000 personnes ont les yeux rivés au ciel du parc Pinçon de la cité de la Benauge en cet après-midi ensoleillé d’un dimanche d’octobre. Sur 200 mètres, à 35 mètres du sol, Tatiana-Mosio Bongonga est sur le point de s’élancer sur un fil qui relie une grue à un immeuble de la cité. Il faut l’avouer, le souffle de tous est coupé et la tension est au maximum. La funambule de la compagnie Basinga n’a aucune attache de sécurité et le public ne pouvait que l’accompagner des yeux pour la soutenir.

À 17h30, à peine le premier pied posé en équilibre, l’aisance de la funambule sidère aussi vite que la pression tombe (ou presque) : grand écart, pas de danse, marche arrière, pole dance avec la barre d’équilibre fixée au fil… et avec le sourire et en chantant, s’il vous plaît.

Après une demi-heure et une démonstration de virtuosité et de sang froid, Tatiana-Mosio Bongonga atteint l’immeuble sous les acclamations de la foule, des habitants de la cité et des organisateurs (soulagés ?). Cette performance proposée au FAB par l’équipe de Chahuts a incontestablement marqué les esprits.

Coup dur : « Fuck Me » de Marina Otero

C’est le spectacle qui a mis le FAB dans tous ses états, dans tous les sens du terme. Commençons par la scène : Marina Otero est très attendue pour « Fuck Me », dernier volet d’une trilogie autofictionnelle créée en 2020 au Festival international de Buenos Aires. Conçue à l’origine comme un solo, c’est une performance sur l’usure du corps qui est écrite par la chorégraphe argentine depuis son lit d’hôpital, alors immobilisée par une opération du dos.

Sur la scène, cinq danseurs prêtent leurs corps, nus et muscles bandés, à toutes les cavalcades imposées par la chorégraphe présente en maîtresse dompteuse. Le spectacle, extravagant, extrême, trash, fait l’effet d’une bombe et empile les standing ovation, jusqu’au dernier soir où la grande salle Vitez, pleine comme un œuf, découvre un dénouement inattendue. « La seule chose que je veux, c’est que vous m‘aimiez. Parce que moi je ne m’aime plus » dit Marina Otero au micro. Pas la peine d’en dire plus.

Cette performance débridée trouve un improbable revers de la médaille. Facebook désactive le compte du FAB et supprime sans avertissement préalable ni explication sa page, suivie par plus de 10000 personnes. Les organisateurs attribuent cette mesure à la parution de photos de danseurs nus prises lors du spectacle « Fuck Me ».

Pendant la quasi totalité du FAB, ses organisateurs ont donc du compter sans leur outil de travail, malgré une mise en demeure lancée au réseau social. Ils ne comptent pas en rester là. A ce stade, Facebook, joint par Rue89 Bordeaux, n’a toujours pas répondu à nos questions.

Marina Otero met le FAB (et Facebook) dans tous ses états Photo : Pierre Planchenault

Coup de bluff : « True Copy » du collectif Berlin

Qui se souvient de Geert Jan Jansen, peintre et faussaire néerlandais, arrêté en 1994 après avoir bluffé le monde de l’art ? 1600 œuvres de grands maîtres comme Picasso, Dalí, Appel, Matisse et Hockney… et dont certaines sont sans doute encore sur les cimaises des grands musées, sont en réalité l’œuvre de cet homme à qui le collectif Berlin consacre un spectacle-conférence. 

Fidèle à un théâtre documentaire tout aussi instructif que déroutant, le groupe d’artistes belges livre ici le parcours audacieux d’un surdoué de la copie jusqu’à sa chute pour… une faute d’orthographe dans un certificat qui a éveillé les soupçons de la police.

« J’ai trompé le mondé entier et je me fais piéger par un stupide “s“ en trop au bout d’un mot », avoue Geert Jan Jansen sur le côté visible de la scène du Carré des Jalles, l’arrière scène étant, pense-t-on, occupé par son atelier et seulement visible sur des écrans par un ingénieux dispositif vidéo. Le spectateur se laisse ainsi embarquer dans les détails d’un récit entre manuel de la triche et vente aux enchères improvisée, au rythme d’un faussaire qui, lui, mène sa conférence sur et jusqu’à la supercherie.

Coup d’œil : « Rain » de Meytal Blanaru

Meytal Blanaru attend le spectateur au fond de la scène de La Manufacture. Elle observe chacun prendre place, les mains derrière le dos, jambe repliée contre un poteau. La salle est pleine. Elle s’avance jusqu’au milieu de la scène où le son d’une guitare électrique grattée à plein cordes lance une musique lancinante. Meytal Blanaru a un récit à partager, un événement traumatique de son enfance.

La chorégraphie se dévoile au bout des doigts d’une main qui vacille comme une feuille dans le vent. Le commencement, presque imperceptible, invite à la grande écoute. Une épaule se relève, puis une jambe sur le bout du pied, puis un déhanchement, puis un coude à l’horizontale. « Rain » est une lecture du corps avant d’être une danse, au bout de chaque mouvement un mot. Puis s’enchainent les phrases comme les gestes.

On ne saisira pas illico la douleur du souvenir, mais le regard persistant de la chorégraphe israélienne invite à prendre conscience d’une gravité. Une heure s’écoule avec une grande délicatesse, comme une confidence précieuse, celle du souvenir d’un abus sexuel que Meytal Blanaru veut poser là, en mouvement.


#spectacle vivant

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