À 18h30, trente minutes avant la venue officielle d’Éric Zemmour, la file d’attente est encore longue devant le Palais des Congrès, dont les près de 1300 places ne suffiront pas à recevoir tout le monde. Un peu plus loin, 150 militants antifascistes se sont retrouvés devant le grand stade de Bordeaux et sont arrêtés par un cordon de CRS à 100 mètres du palais. Les tentatives de saturer les inscriptions ou de perturber la réunion publique n’auront pas fonctionné.
Louis, 21 ans, et Tcheky, 20 ans, étudiants en Histoire à Bordeaux, iront voter pour la première fois en 2022. Et le choix est arrêté vers celui qui n’est pas encore officiellement déclaré candidat à la présidentielle – il devrait officiellement sortir du bois début décembre, mais tout dans sa prestation relève du meeting de campagne.
« Zemmour est le seul à pouvoir bouger les choses, estime Tcheky. Il est, aujourd’hui, le seul homme présidentiable qui représente le camp nationaliste. »
Les parents de Louis ont voté Jean-Luc Mélenchon en 2017. Jusqu’à présent, l’étudiant se définissait, lui, apolitique :
« Au début de ma première année de licence, j’ai vraiment découvert Éric Zemmour dans l’émission Face à l’Info, sur Cnews. J’ai accroché avec son discours et ses analyses, notamment sur l’immigration. »
« Tous centristes à droite »
Il est rejoint par son ami, lui aussi séduit pas la rhétorique souverainiste du polémiste d’extrême-droite. Seul bémol dans les positions d’Éric Zemmour pour ces deux étudiants : l’économie, où l’ancien journaliste se montre « trop libéral ». Ils préfèrent la ligne politique d’un François Asselineau.
Le dernier livre d’Éric Zemmour dans le sac, prêt à être dédicacé, un couple a fait la route depuis Vannes, en Bretagne :
« Dans le paysage politique actuel, c’est le seul qui a toujours tenu le même discours. En 2017, nous avions voté Fillon, mais aujourd’hui, à droite, ils sont tous centristes. »
Des Républicains trop au centre et un Rassemblement National qui « gauchise », c’est aussi la pensée d’un groupe d’amis girondins venus voir Éric Zemmour. Pour l’un d’eux, la cheffe de file du RN est « dépassée » :
« Marine Le Pen n’est pas à la hauteur. Il n’y a qu’à se souvenir de son débat à l’entre deux tours face à Emmanuel Macron. Zemmour, lui, n’a pas peur d’être cash notamment sur des thématiques comme l’immigration. »
Peur sur la ville
« L’immigration », un terme qui revient souvent chez les supporters d’Éric Zemmour, en écho avec celui de la « sécurité ». Un Bordelais témoigne :
« Je sais que c’est interdit, mais j’ai acheté une arme de poing. Pour me défendre. La nuit, même en ville, je ne me sens pas en sécurité. Il faut remettre de l’ordre, et ce n’est pas les politiques actuelles qui le feront. »
À l’éternelle litanie « c’était mieux avant » s’ajoute la crainte de voir « la civilisation française se perdre » :
« Le grand remplacement c’est une question de démographie. Les problèmes d’insécurité qu’on vit aujourd’hui en ville n’existaient que dans les quartiers avant. À Bordeaux, en quelques années, cette insécurité a augmenté. »
Il est 19h20, et la star de la soirée tarde à arriver, alors les clips de campagne s’enchaînent sur l’écran géant du Palais des congrès. Le public entonne la Marseillaise, puis une partie se lance dans La Strasbourgeoise, chanson revancharde composée après la défaite française de 1870 contre la Prusse.
Montesquieu et Alienor en renfort
Une fois arrivé sur scène, Eric Zemmour commence comme du Lorànt Deutsch. Il livre une introduction lyrique sur Bordeaux, « une des plus belles villes de France » dont les façades XVIIIe sont selon lui « le sommet de toute civilisation ». Surtout si on ferme les yeux sur ses fondations négrières.
Le quasi candidat à la présidentielle convoque ensuite Montesquieu, qui doit faire un triple axel dans sa tombe. Car l’ancien maire de Bordeaux, et théoricien de la séparation des pouvoirs, est utilisé à contre-emploi par Zemmour, estimant qu’aujourd’hui « le problème n’est pas un Etat trop fort, mais une majorité tyrannisée par les minorités », ou encore que « nous ne souffrons pas d’un manque d’indépendance de la justice, mais de juges qui ont la prétention de dire le droit ». Et parfois de juger Eric Zemmour, deux fois condamné pour provocation à la discrimination raciale et à la haine religieuse, et visé par d’autres procédures.
L’anachronisme n’arrête pas non plus l’ex journaliste de CNews. Il érige Aliénor d’Aquitaine en modèle de femme qui a réussi sans avoir « eu besoin de la politique des quotas si chère aux politiques d’aujourd’hui ». La transmission du pouvoir par héritage dans le régime féodal était c’est vrai tellement plus progressiste.
Vaches à lait
Zemmour déclenche les huées de la salle lorsqu’il évoque Pierre Hurmic et les « charges ridicules des Verts contre les sapins de Noël ». « A la mairie de Bordeaux aussi c’était mieux avant », estime celui qui, en cette fin de COP26, ne dira pas un mot du réchauffement climatique, et ne parlera d’environnement que pour critiquer le « tsunami de normes ».
Car son intervention du jour à Bordeaux est censée être consacrée à l’économie, « levier de la puissance française ». Sans surprise, Zemmour développe un argumentaire poujadiste selon « les patrons de PME et d’ETI, les bouchers, artisans et agriculteurs » – « la France de ceux qui ne se plaignent pas et ne cassent rien » -, sont étouffés par les règles bureaucratiques, qu’il promet de balayer, et les charges.
Sous les « Zemmour président », il propose donc de faire travailler les salariés plus longtemps – jusqu’à 64 ans – et de baisser la fiscalité des entreprises, « vaches à lait d’un Etat nounou qui déverse ses aides sur le tiers monde ayant élu domicile chez nous ». Il veut donc supprimer toutes les aides sociales aux étrangers extra-européens, à même selon lui de générer 20 milliards d’euros d’économie. Cette préférence nationale serait par exemple déclinée à la politique nataliste, au motif que les femmes ont en France 1,8 enfant, mais 3,5 enfants pour celles originaires du Maroc ou d’Algérie.
Grand-remplacés
Obsédé par le « grand remplacement », Zemmour n’hésite pas à lier immigration et terrorisme. Il fait ainsi respecter une minute de silence en hommage aux victimes du 13 novembre, après avoir cité une déclaration de François Hollande au procès des attentats de Paris, sur la possible présence de terroristes parmi les réfugiés.
Le polémiste « oublie » ainsi que si deux des terroristes du 13 novembre sont passés par la route de l’exil des Syriens, certains des criminels, dont tous les membres des commandos du Bataclan et des terrasses, étaient nés en France ou en Belgique.
A l’occasion de la séance de questions-réponses avec la salle, il va plus loin encore dans la vérité alternative, en affirmant que l’Union européenne conditionne ses financements aux universités françaises si elles adoptent les « théories du genre » et décoloniales. Une explication selon Zemmour au fait que le « wokisme » « se répand comme une trainée de poudre ». Sous la pression du « lobby LGBT », il aurait même envahi les manuels scolaires. « Leur liberté éditoriale, je m’assois dessus », prévient donc le presque candidat.
Il s’entraîne déjà : son équipe de campagne a refusé d’accréditer les journalistes de Sud Ouest, mécontente de la couverture du meeting de Biarritz par le quotidien régional.
« Camp nationaliste »
À la sortie du meeting, dans la file d’attente pour les dédicaces, l’heure est au débrief pour certains sympathisants. Un couple venu d’Arcachon, anciennement encartés LR, espère que la candidature officielle se fera bientôt :
« S’il se présente, il faut qu’Éric Zemmour reprenne le programme d’Éric Ciotti. Ils ont la même vision des choses. »
Pour certains, au contraire, la rhétorique du polémiste a montré ses limites :
« Son discours est bon, mais quand on l’interroge sur des sujets précis on voit qu’il reste trop vague, qu’il sort des généralités. Quand c’est des sujets sociétaux il maîtrise, mais quand il s’agit de problématiques particulières comme le handicap ou l’agriculture (des questions du public ont abordé ces thèmes NDLR), il patauge. »
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