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Maryse Tourne, toujours vigilante pour les droits des femmes

Membre du Mouvement français pour le planning familial, co-fondatrice du Centre Accueil Consultation Information Sexualité (CACIS) à Bordeaux, fondatrice du collectif Sida 33… Le parcours de Maryse Tourne suit les évolutions d’une société pour l’accès aux droits de toutes et tous. Un nouveau portrait de notre série « Gueules de bénévoles ».

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Maryse Tourne, toujours vigilante pour les droits des femmes

Maryse Tourne est à la retraite depuis 2006. Enfin presque, car l’engagement ne s’arrête jamais pour celle qui a, notamment, co-fondé le CACIS et le Collectif Sida 33. Des premières avancées historiques pour le droit des femmes à la prévention contre le VIH, Maryse Tourne raconte son expérience, qu’elle transmet aujourd’hui aux nouvelles générations.

Droits des femmes

« Enfant du babyboom », elle aime rappeler que sa terre natale, le Tarn, est aussi celle de Jean Jaurès.

« J’ai grandi dans une famille protestante. Le fait de militer pour le droit à la différence m’a marquée depuis petite. Je me suis beaucoup intéressée aux guerres de religions. J’ai lu Voltaire, étudié l’affaire Calas… »

À la fin des années 60, elle suit son mari aux États-Unis. Le couple s’installe à Saint-Louis, dans le Missouri. Le 4 avril 1968, Martin Luther King est assassiné. Maryse Tourne raconte sa première manifestation :

« J’avais une vingtaine d’années, j’arrivais de la France profonde. J’ai vu des opposants aux idées de Martin Luther King crier victoire. C’était violent. »

De retour en France, Maryse Tourne s’investit au sein du Mouvement français pour le Planning familial, à Montauban :

« C’était une époque où on ne parlait pas de droits des femmes mais de condition féminine. J’ai vécu l’avancée de droits, comme celui de la contraception et de l’IVG. »

« Un enfant si je veux quand je veux où je veux », Maryse Tourne se souvient du slogan du Mouvement français pour le planning familial. En 1979, il est le symbole d’une maternité non plus perçue comme une fatalité mais comme un choix libre :

« Le viol venait d’être reconnu comme un crime. Il était jugé aux assises, et non plus en correctionnel. Avec des associations féministes, nous nous sommes portés partie civile lors de procès. Une fois, un magistrat a demandé si les dommages et intérêts pouvaient être calculés selon la virginité de la jeune fille. On en a entendu, des horreurs… »

Fondation du CACIS

En 1981, Maryse Tourne arrive à Bordeaux. Ses enfants scolarisés au collège du Grand Parc, elle adhère à la fédération des parents d’élèves :

« Avec d’autres associations, des travailleurs sociaux et des habitants du quartier, nous faisions un constat similaire : il n’y avait pas de centre de quartier de proximité. Il fallait toujours se déplacer, prendre le bus… Seulement, nous n’arrivions pas à obtenir d’agrément pour créer un centre de quartier. »

Alors que François Mitterrand est élu, une politique de décentralisation s’engage. Maryse Tourne cite ainsi les lois Defferre qui promulguent un nouvel équilibre entre l’État et les autorités locales, supprimant notamment la tutelle des préfectures sur les collectivités territoriales :

« La compétence de régulation des naissances, établie avec les lois Neuwirth sur la contraception, a été transférée aux départements. Philippe Madrelle, président du conseil général de la Gironde, nous a fait confiance, nous avons obtenu une convention pour une année. Aujourd’hui, cela va faire 40 ans que le Centre Accueil Consultation Information Sexualité (CACIS) existe. »

Maryse Tourne se souvient des premières consultations médicales, qui ont débuté le 3 mai 1984 :

« Nous avons démarré avec une consultation une fois par semaine le mercredi de 14h à 16h. Dès les premières permanences, il y avait beaucoup de monde. Grâce à une équipe de médecins volontaires et engagés, nous avons pu élargir l’ouverture du centre aux lundi après-midi et à deux samedi matin par mois. »

Maryse Tourne Photo : VB/Rue89 Bordeaux

Les années sida

Et puis, au début des années 90, « le sida est arrivé ». En 1996, Maryse Tourne quitte Bordeaux pour Orléans, où elle occupe un poste de coordinatrice du réseau ville-hôpital du Loiret :

« C’était une année charnière, car c’est là que les premiers traitements sont arrivés. J’avais comme mission, notamment, la prise en charge des patients VIH à domicile. J’avais les mains dans le cambouis. Je travaillais avec des aides à domicile, qui faisaient un travail extraordinaire. C’était dur, nous étions face à une grande précarité. »

Maryse Tourne explique appartenir à cette « génération qui a été confrontée à des décès de personnes jeunes » et où les non-dits étaient nombreux :

« Une chose m’a particulièrement mise en colère. Je recevais des femmes enceintes séropositives envoyées par les services hospitaliers. On leur parlait du VIH, mais en tant que mères qui pouvaient potentiellement contaminer leurs enfants. Jamais on ne leur parlait de l’impact du virus sur leur vie de femme, dans leur vie sexuelle, intime. Je trouve que l’on s’est très peu occupé des femmes de ce côté-là. »

Avec 173 000 personnes qui vivent avec le VIH en France, dont 24 000 qui l’ignorent, Maryse Tourne tient à rappeler que la lutte et la prévention sont encore d’actualité :

« Tant que nous n’aurons pas trouvé un moyen de guérison et tant qu’il n’y aura pas l’accès au traitement partout et pour tous dans le monde, nous n’en aurons pas fini. Il y aussi aussi le regard de la société à faire évoluer : il est toujours difficile pour une personne porteuse du VIH de le dire. »

Vigilance, toujours

En 2006, Maryse Tourne est à la retraite mais ne « se voit pas passer ses journées à la maison ». Quand elle n’est pas aux côtés de ses six petits-enfants, elle est sur le terrain. Désireuse de « créer un réseau » autour des problématiques liées aux VIH, elle réunit une vingtaine d’associations et de personnes engagées. Le collectif Sida 33 voit alors le jour « de manière informelle ». Pendant 5 ans, elle travaille également sur la création d’un dispositif de formation d’adultes relais-santé sida.

En 2014, Maryse Tourne reçoit la médaille de chevalier de l’Ordre national du mérite, alors qu’elle préside Ippo. Fondée par Naïma Charaï, cette association accompagne les personnes en situation de prostitution en leur assurant un accès aux soins et un accompagnement social.

Maryse Tourne insiste sur la notion de transmission. Pour elle, « rien n’est jamais acquis ». À l’aune de l’élection présidentielle et face à la montée des idées d’extrême-droite, notamment portées par un candidat dont elle refuse de prononcer le nom, Maryse Tourne ne cache pas son indignation :

« Je suis très inquiète et en colère d’être dans un pays qui est en train de perdre sa mémoire. Je suis grand-mère, je ne souhaite pas que mes petits-enfants voient ça. Il faut réagir. »

Maryse Tourne tient à partager les propos de son amie Hélène Mouchard-Zay, fille de Jean Zay, qui a réagit aux contre-vérités historiques prononcées par Éric Zemmour. Un climat délétère qui révolte Maryse Tourne :

« En 2002, quand il y a eu Le Pen au second tour, nous étions des milliers à descendre dans la rue. Il faudrait aussi que des politiques aient le courage de dénoncer ce qui n’est pas entendable. »

Maryse Tourne rappelle que des pays de l’Union européenne qui ont basculé vers le populisme, comme la Pologne, ont restreint le droit à l’IVG. « Il faut toujours être vigilant », précise t-elle.

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