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« P.U.N.K. » de Renaud Cojo au TnBA, au culot et en slip kangourou

Toujours adepte des formules hybrides qui mêlent diverses disciplines, Renaud Cojo revisite dans « People Under No King », P.U.N.K donc, un courant culturel destroy qui a marqué les années 1970 mais qui, au fond, aurait préféré qu’on le laisse peinard. Le prétexte de cette création est le plus gonzo-loufoque de la « rock critic » américaine, Lester Bangs. A qui Rue89 Bordeaux a justement demandé d’écrire ce chapeau et le torchon qui va avec. Ce n’est pas la fête du slip, mais presque.

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« P.U.N.K. » de Renaud Cojo au TnBA, au culot et en slip kangourou

Qu’est ce qu’il faut pas faire pour être original de nos jours ? Simple. Basique. Faut pas chasser les étoiles filantes du passé, et ainsi éviter de se casser les dents sur de mystérieux phénomènes qui ont foudroyé l’histoire de la culture musicale et sa contre-culture à l’échelle planétaire. Exemple ? Le punk.

L’intouchable courant est à éviter pour ne pas faire retourner les Rob Tyner, Sid Vicious, ou Joey Ramone dans leurs tombes. Au lieu de ça, l’idée saugrenue de défier les démons d’une rébellion historique s’est retrouvée sur la scène Jean Vauthier du TnBA par on ne sait quelle mouche qui aurait changé d’âne pour piquer Renaud Cojo et faire tomber la cabane sur Ouvre le chien. Cojo ? J’aurais capté ce mot dans la rue, j’aurais pris ça pour une marque d’amphète vendue sous le manteau. Et j’en aurais pris.

P.U.N.K, acronyme horriblement brandé de « People Under No King » – vous l’avez ? –, est motivé par un prétexte bidon, celui de ma carrière fantasque et loufoque de « rock-critic » américain. Il en fallait un à l’époque pour chiper cette place à la postérité, pourquoi pas Bibi ? Disparu à 33 ans, un âge pour mourir que tous les mégalos du ciel et de la terre ne rateraient pour rien au monde, à commencer par Jésus himself. OMG.

« Primitif et grossier »

Avant toute chose, je tiens à préciser que l’utilisation du mot « punk » pour décrire ce style musical, c’est moi moi moi moi ! Si ça suffit pas pour faire d’un journaliste toxico-alcolo l’un des plus grands critiques de l’histoire du rock, qu’est ce qu’il vous faut bordel ?! Oui j’ai aussi pondu des tirades assassines que seul Bukowski avait jusqu’ici monnayées, mais quand même. Remember that one : « J’ai fini par comprendre que la nullité était le plus authentique critère du rock’n’roll, que plus le boucan était primitif et grossier, plus l’album serait marrant, et plus je l’écouterais longtemps. » *

Tout est là et bien là ! On aura essayé de me piquer le registre, comme ce pauvre Legs McNeil, soi-disant journaliste qui n’a rien trouvé de mieux que de créer un magazine en 1975 auquel, pas dégonflé, il donne le nom de « punk », terme choisi pour qu’on trouve ce nain morveux « cool » et boire « des boissons gratuites » dans les concerts, mais aussi parce qu’il évoquait « les choses qui font appel au côté le plus obscur ». Hououou… Je frissonne.

Mais Cojo, lui, il fait ça pourquoi ? Subtil et surtout lourdingue, il parle d’un « projet longuement mûri ». Quelle idée ! On parle de punk mon vieux, un truc impulsif et extravagant, lequel s’il mûrit il meurt. Ce qu’il en a dit à la radio :

« J’assiste depuis quelques années à la muséification de ce mouvement. Mon projet ne veut pas déifier les gens à l’origine de ce mouvement mais retrouver une forme de Do It Yourself, genre démerdez-vous. On pouvait s’improviser musicien du jour au lendemain et, avec des guitares et des amplis, se lancer dans une aventure collective. Je voulais retrouver cet esprit, celui de clan et de tribu avec une rage et une volonté de faire les choses. »

Moustache

Va pour la rage. Ça ne coûte rien d’en parler dans une phrase où il y a punk dedans. Quand au clan, il est attendu lui comme on attend quelqu’un à la sortie d’un pub de vieux pisseux pour en découdre. Il y a Annabelle Chambon et Cédric Charron, duo d’interprètes passé par le désormais périmé Jan Fabre. OK. Il y a les improvisateurs de l’Ensemble UN, mené par David Chiesa, qui, finalement, n’improvisent rien du tout sur scène. OK. Et un Antoine Esmérian-Lesimple à qui revient la tâche d’incarner mon rôle avec pour seul déguisement une moustache en fer à cheval habituellement gage de bonne fortune. Mais pas ici.

Sur le casting, un peu anecdotique le gars qui tourne mon personnage à la caricature qui veut que quand on parle anglais on fait semblant de mâcher un chewing gum. Erik Jensen était bien mieux gaulé dans « How to Be a Rock Critic ». Sur le son, pas bégueule, je suis sourd donc je ne dirais rien. Surtout que musicalement c’est aussi craignos que mes deux groupes The Delinquents et Birdland réunis.

Photo : et une de Frédéric Desmesure

Sur scène, ça picole de la Schlitz – « La bière qui a rendu Milwaukee célèbre » –, ça bombe des torses nus, ça prend des poses pop-iggy, des corps hardcore, des croix en scotch noire qu’on tâtonne à lire « no futur » antisocial, jolly-roger guerrier, ou « no pasaran » logoté par les intermittents et précaires contre une énième convention de l’assurance-chômage.

Musique à burne et t-shirt à message – « Detroit Sucks », quelle trouvaille ! –, on dirait bien une fête, qui aurait pu être « la seule chose à quoi nous raccrocher, la seule chose à laquelle nous puissions vraiment croire, dont nous puissions vraiment dépendre, une fontaine musicale de jeunesse et de vitalité qui nous maintenait en vie« .

Sauf que là c’est mort de chez mort. Engoncé dans des fauteuils cosy rouges de la salle Jean Vauthier, on a que le crâne à hocher quand ça bastonne des basses. Ça existe une pièce de théâtre debout, non ? A moins de se faire à l’idée qu’on ne doit être que spectateur d’une « cosa mentale » exégète du rock qu’aucun registre ne s’est pris la tête à visualiser. Sauf à être prévenu que ça peut vriller concert intello genre Death in Vegas avec en arrière-fond une projection vidéo-graphique de ce qu’il y a de plus imbitable dans le style Jamie Reid. Du pur surmixe punk à chien et punk à chier.

Punk hic et nunc

Quand une pièce s’appelle P.U.N.K., le punk est attendu hic et nunc. Ici Cojo le sert à la louche quitte à être ramassé à la petite cuillère. Les vinyl-covers défilent en mode carrousel : MC5, Sex Pistols, The Stooges, The Clash, Talking Heads, Lydia Lunch… tout un répertoire Stickers Panini de ceux à qui on a tamponné l’étiquette destroy. Chambon et Charon se lèchent salaces, se sentent le cul et pissent dans les coins. A l’occasion, ils se balancent des tartes et de vraies galettes. Des projectiles atterrissent même dans les premiers rangs. Mais que fait la police ?

Le Bangs sur scène se démène comme un branque mais rate brillamment la face obscure du col bleu que j’étais et qui haïssait les intellectuels et signait des réquisitoires définitifs contre les rockeux pompeux. Je n’ai pas travaillé mon putain de style cognac Courvoisier pendant 33 ans pour toute cette merde ! « Insultes gratuites, scatologie, souvenirs de lycée, franches invectives, fantasme homicide dans un cas précis, et bien que sur ce dernier point je n’ai pas de regret, je sais que j’aurai beau délirer, les choses n’iront pas mieux jusqu’à ce que vienne le temps qu’elles aillent mieux. » On attend.

[Note de la rédaction] Quand à prendre au sérieux cette critique imaginaire de ce que Bangs aurait vu… Tout doux bijou. On a préféré la dérision et la mauvaise foi légendaire du journaliste à une critique bien lisse (parce que oui, « P.U.N.K. » est à voir). Et si celle-ci ne vous a pas plu, faites vous la vôtre. Être critique, c’est comme le punk, « on peut le devenir du jour au lendemain ». Seule condition est de voir le spectacle, ce qui vous reste à faire si ce n’est déjà fait. Go Motherfuckers !

* Les passages en italique sont des extraits traduits des articles de Lester Bangs

People Under No King (P.U.N.K.), jusqu’au 19 mars au Théâtre national Bordeaux Aquitaine
Conception et mise en scène Renaud Cojo
Direction musicale David Chiesa
Chorégraphie Annabelle Chambon et Cédric Charron

Plus d’informations sur le site du Tnba

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