
Qualifié pour la présidentielle, Philippe Poutou au poste pour propos « insultants » envers la police
Le conseiller municipal bordelais a réuni ses 500 parrainages et sera bien candidat pour la troisième fois à l’élection présidentielle, a confirmé ce lundi le Conseil constitutionnel. Pour avoir déclaré « la police tue », Philippe Poutou devra aussi répondre à une convocation de la police, suite à une plainte probablement déposée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.
Le Conseil constitutionnel a validé ce lundi les parrainages présenté par Philippe Poutou, qui en revendiquait 596. Le candidat bordelais du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) sera donc bien en lice pour sa troisième élection présidentielle consécutive, le 10 avril prochain. Mais il est aussi visé par une enquête pour « injure publique envers une administration publique ».
Philippe Poutou devait être convoqué par la police ce mardi 8 mars prochain à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne, à Paris, mais l’audience a été reportée à une date indéterminée. Motif probable, selon le NPA : une plainte du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin visant à « défendre l’honneur de tous les policiers » contre les propos « insultants et indignes » de Philippe Poutou.
Poutou « dans le viseur »
« La police tue. Elle a tué, elle tue », avait affirmé ce dernier le 13 octobre sur France Info, après avoir été invité à commenter les propos d’un adjoint à la mairie de Cachan, Dominique Lanoë. Le conseiller municipal de Bordeaux avait alors cité quelques exemples :
« Steve à Nantes, à Marseille pendant les Gilets jaunes une dame qui fermait ses volets, Rémi Fraisse il y a quelques années… et puis je crois, il faudrait voir les chiffres précisément, mais que dans les quartiers populaires c’est une quinzaine de jeunes qui sont tués par la police annuellement. »
Pour le leader du parti anticapitaliste, il pouvait là s’agir d’ « assassinat, de meurtre, d’accident ou de bavure… », en état de légitime défense ou non. L’IGPN (inspection générale de la police nationale) recensait en 2020 32 personnes tuées lors d’interventions de la police, ces cas de figure incluant aussi bien la mort de l’assassin de Samuel Paty, dangereux et poursuivi par les forces de l’ordre, que celle de Cédric Chouviat, un livreur mort après à son interpellation.
« Philippe Poutou est dans le viseur d’un pouvoir qui, entre les dissolutions d’organisations et les plaintes à répétition, est prêt à tout pour intimider et faire taire toute voix critique, a commenté le NPA dans un communiqué ce lundi. Mais nous le disons à Gérald Darmanin et à Emmanuel Macron : on est là, et on ne nous fera pas taire ! »
Surtout, « la police mutile »
Colistier en 2020 des Gilets jaunes Antoine Boudinet et Myriam Eckert, eux-mêmes victimes de violences policières, Philippe Poutou avait aussi rappelé lors de son intervention polémique que « la police tue, mais la police surtout mutile » :
« Combien de mains arrachées, de visages défigurés, de gens en garde à vue alors qu’ils n’ont rien fait. Il y a une véritable violence policière. Il y a une police qui peut tuer, parce qu’en fait elle est armée, surarmée, et elle est dangereuse. »
L’absence de sanctions, ou les sanctions très légères infligées récemment aux CRS ayant roué des coups des Gilets jaunes en l’absence totale de menace de leur part, interpelle ainsi sur le degré de violence toléré parmi les forces de l’ordre.
Le 1er décembre 2018, des CRS avaient été filmés en train de rouer de coups des manifestants pendant l’acte III des « gilets jaunes ». Presque tous échapperont aux sanctions.
Les images avaient fait le tour des réseaux sociaux et des chaînes de télévision, suscitant l’indignation de l’opinion publique. Le 1er décembre 2018, l’acte III de la mobilisation des « gilets jaunes » était marqué par des violents affrontements entre forces de l’ordre et manifestants, notamment dans le quartier de l’Arc de triomphe, à Paris. Ce jour-là, au plus fort des heurts, une trentaine de personnes accompagnées de journalistes avaient été rouées de coups et, pour certaines, frappées à terre par des policiers alors qu’elles avaient investi un restaurant de la chaîne Burger King, fermé en prévision des manifestations.
Mardi 1er mars, neuf CRS ont été convoqués devant le conseil de discipline, une instance qui se borne à proposer des sanctions, la direction générale de la police nationale décidant ensuite, ou non, de les appliquer. A l’occasion de leur comparution, les membres du conseil ne sont pas parvenus à trouver un accord sur la nature et l’étendue des propositions de sanctions et ont fini par adopter un avis d’absence de punition.
La veille, lundi 28 février, des responsables du service de maintien de l’ordre sur place le 1er décembre 2018 avaient également été convoqués. Et le conseil s’est, à cette occasion, montré à peine moins clément. Un commissaire et un commandant de police risquent ainsi désormais un avertissement, une sanction disciplinaire « du premier groupe », la plus faible prévue dans l’échelle en vigueur au sein de la fonction publique, et d’une portée insignifiante puisqu’elle ne fait pas l’objet de la moindre mention au dossier administratif du fonctionnaire. Egalement entendus, deux capitaines ont, en revanche, échappé à toute sanction.
Usage excessif de la force
Tous, à des degrés divers, faisaient pourtant partie du dispositif de sécurisation autour des Champs-Elysées et dirigeaient les fonctionnaires filmés au long d’une séquence visionnée plusieurs millions de fois sur les réseaux sociaux. Pendant près d’une minute, on y distingue une dizaine de CRS – on apprendra plus tard qu’ils appartiennent à la compagnie n° 43, basée à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) – s’acharner à coups de matraque et de brodequins sur quelques « gilets jaunes », au sol, qui tentent de se protéger d’une véritable pluie de coups.
Dix-huit mois plus tard, une enquête confiée à l’inspection générale de la police nationale avait conclu à un usage excessif de la force, soulignant non seulement que les manifestants « s’étaient réfugiés à l’intérieur de l’établissement en raison de la présence massive de gaz lacrymogènes sur l’avenue » – et non pour y commettre des dégradations, selon une première version policière –, mais encore que « sur la totalité des coups de matraque ou de pied assénés, aucun ne semblait justifié, nécessaire ou proportionné ».
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Huit CRS ont par ailleurs été mis en examen dans cette affaire pour « violences volontaires commises par une personne dépositaire de l’autorité publique ». Le dernier en date, un capitaine de 46 ans, était le plus haut gradé le soir des faits à l’intérieur du Burger King. Auditionné, il avait décrit une journée extrêmement éprouvante pour lui et ses hommes, mobilisés pratiquement vingt-quatre heures d’affilée. Il avait également reconnu être le policier qui, sur les images, assène huit coups de bâton de défense et un coup de pied à un manifestant à terre. Il fait partie des deux officiers qui devraient échapper à toute sanction.
Antoine Albertini