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Qu’est devenu Silima, le jeune boulanger malien de Blaye menacé d’expulsion ?

Depuis un an, Silima Diagouraga, Malien arrivé en France en 2017, se fait le plus discret possible. En cause, une obligation de quitter le territoire français malgré un CDI qu’il venait de décrocher dans une boulangerie de Blaye. Ketty et Pierre Bayle, qui l’ont hébergé pendant trois ans, ont très peu de nouvelles alors que la mobilisation pour sa régularisation ne faiblit pas. Suite de notre série « Bordeaux à bras ouverts » dans le cadre de la programmation Bienvenue, qui se déroule actuellement en Gironde.

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Pierre et Ketty Bayle accompagnés de Silima

Où est Silima Diagouraga ? Ketty et Pierre Bayle, qui l’ont hébergé dans leur maison de Blaye (Haute-Gironde) entre 2018 et 2021, se posent la question depuis un an. Difficile de ne plus être en contact avec leur protégé, qu’ils connaissent depuis des années. A la fin de l’année 2017, Ketty Bayle, alors principale adjointe du collège Sébastien-Vauban de Blaye, rencontre Silima Diagouraga dans son établissement où il doit faire évaluer son niveau de français, pour ensuite intégrer un établissement scolaire. Le jeune homme, originaire du Mali, est réfugié en France depuis un mois.

En quelques mois, Silima Diagouraga progresse en français, intègre un enseignement technique et fait différents stages. Le troisième se passe dans la boulangerie du Leclerc de Blaye, où il semble avoir trouvé sa voie. Il est à ce moment hébergé dans une famille qui habite à une dizaine de kilomètre de son lieu de travail. Ketty Bayle, qui l’aperçoit souvent dans les rues de la commune lors de sa pause de midi, se propose au Département pour l’héberger, puisqu’elle habite à cinq minutes de l’hypermarché.

En 2020, tout bascule

Un décision évidente pour Ketty Bayle et son mari, qui ont déjà hébergé un homme sans domicile fixe par le passé :

« On a toujours fait ça, explique-t-elle. Nous avons chez nous une tradition d’accueil, d’écoute, et de répondre aux besoins. »

Silima Diagouraga arrive donc chez le couple Bayle en 2018.

« On avait la chance d’avoir une grande maison, où chacun avait son espace. Donc la cohabitation ne posait pas de problème, explique l’hôte. On lui faisait travailler le français, on regardait la télé ensemble. Il n’avait jamais reçu de formation dans sa vie, et il apprenait aussi des choses tout seul. On était très fier de voir ses progrès. Avec lui, on a découvert un monde. Il fallait lui expliquer des choses qui était pour nous étaient des évidences. On a découvert aussi le Mali, en regardant des documentaires avec lui ».

A la fin de son apprentissage, Leclerc propose au jeune homme un CDI, ce qu’il accepte. Alors que tout semble se passer au mieux pour le jeune homme, en février 2020 sa vie bascule à nouveau. Il est convoqué à la préfecture pour y faire une empreinte palmaire, une image en 3D de la main visant à déterminer l’âge en fonction de la taille des os. L’examen établit que le mineur a 27 ans, et non 16 comme il l’affirmait.

Il est alors accusé de s’être fait passer pour un mineur pour bénéficier de l’aide sociale à l’enfance du Conseil départemental.

« Une intégration totale »

Pendant plusieurs mois, Silima Diagouraga peut continuer à travailler. Mais en octobre de la même année, il reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le couple Bayle fait un recours, et un comité de soutien est créé.

« On a fait beaucoup d’actions, de manifestations. On avait le soutien de la mairie, de 107 élus locaux. Tous ses collègues, au Leclerc de Blaye, ont porté un badge à son nom, pour manifester leur soutien. »

Selon elle, « l’intégration de Silima était totale » :

« On faisait des sorties ensemble, ce qui lui a permis de faire de nombreuses rencontres, notamment dans notre famille. Il participait au Secours Populaire, il avait des amis, ses voisins l’appréciaient. S’il savait que quelqu’un avait besoin d’aide, il n’hésitait pas à se proposer. »

Président de l’association Afoulki, qui agit au Maroc pour la scolarisation des enfants et la protection des filles et femmes du pays, Christian Cursol, 71 ans, s’est engagé dans le Comité de soutien à Silima. Il en est devenu porte-parole, à la demande du maire de Blaye, Denis Baldès, avec lequel il partage un passé commun à la CGT.

« Nous avons des moments de découragement, il faut bien le dire. Mais nous ne lâcherons rien », soutient Christian Cursol.

« C’était excessivement cruel »

Le 12 mars 2021, la préfète de Gironde, Fabienne Buccio, reçoit le comité. « On pensait que c’était bon signe », se souvient Ketty Bayle.

« Mais elle nous a dit qu’elle ne régulariserait jamais Silima. Que le faire pour une personne, c’était ouvrir la vanne pour toutes les autres. […] Et elle a osé nous dire que le Mali était un pays sûr, et qu’il y serait mieux. »

Pour mémoire, le Mali est connaît un conflit depuis 10 ans dans le contexte de la guerre du Sahel et des rébellions touarègues contre l’État malien. Le peuple malien est victime de nombreuses violations des droits humains. Aussi, Christian Cursol s’est dit « écœuré » par cet échange « excessivement cruel », et par la réception « plein de cynisme » de la préfète. L’entretien sera un point de non-retour pour Silima Diagouraga :

« Le lendemain, il n’était plus là, raconte Ketty Bayle. Quand nous sommes rentrés à la maison, il était parti. »

Depuis, le couple a déjà subi deux descentes de police à son domicile :

« Il est ailleurs, nous ne savons pas où. Et nous ne voulons pas le savoir, c’est le seul moyen de le protéger. On a la chance de pouvoir maintenir le contact. Nous l’avons souvent au téléphone, mais c’est toujours lui qui appelle, souvent en passant par des gens qui le dépannent. On arrive à le voir, environ tous les deux mois, dans des endroits aléatoires. Il a maigri. Il vit sur ses économies. »

Ne rien lâcher

Christian Cursol, quant à lui, a pu revoir Silima Diagouraga à deux reprises :

« Il s’est réfugié dans un premier temps à Bordeaux dans une communauté subsaharienne, raconte-t-il. Son moral évolue en fonction des petits boulots qu’il trouve. »

Aujourd’hui, le comité veut « relancer les choses », et « bousculer la préfète », affirme Ketty Bayle :

« Tant que nous n’aurons pas cette régularisation, nous n’allons rien lâcher. Nous voulons rappeler que les droits humains devraient être les premiers de la pyramide, et pas les derniers. »

Pour cette famille, l’histoire est un « gâchis énorme » :

« Perdre une richesse pareille… », soupire-t-elle, avant d’ajouter : « Une telle incapacité à se rendre compte que quelqu’un est intégré, une telle mobilisation des forces de l’ordre alors qu’il y a des gros problèmes d’insécurité ailleurs… On est tous perdants. Nous ne sommes pas des hors-la-loi, on avait déclaré qu’on l’hébergeait. Etre traité comme des criminels, ça heurte. »

Elections et valeurs de la République

La période électorale s’annonce charnière pour tenter de faire évoluer la situation. Le comité a déjà envoyé deux lettres ouvertes au président Macron, le 8 mars et 11 avril dernier, lui demandant « un engagement clair pour la régularisation de Silima ». Ces deux lettres restent aujourd’hui sans réponse.

Pas de quoi décourager le comité, qui veut tout miser sur les prochaines élections législatives :

« Le 10 juin, juste avant le premier tour, nous allons organiser un concert à la citadelle de Blaye en soutien à Silima, annonce Christian Cursol. Nous allons faire la tournée des candidats et les inviter. »

Le porte-parole du comité de soutien tient surtout à leur rappeler des critères d’accueil qui « s’éloignent de plus en plus des valeurs de la République ».


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