« C’est une situation bizarre pour moi », dit Miléna* (* pseudonyme), les yeux cernés qui fixent le sol. Sa petite fille de quelques mois sur les genoux est tout sourire. Son fils de 12 ans, la mine fermée, a le regard de celui qui sait de quoi seront faits les jours qui viennent. Quand à sa fille, 14 ans, elle est à ses activités du mercredi après-midi. Son mari lui, mécanicien, est au travail.
« Mon mari a un CDI et moi aussi, je travaille dans les cuisines d’une école, poursuit-elle d’une voix fluette dans un français hésitant. Nous pouvons payer un appartement mais nos papiers ne nous le permettent pas. Nous pouvons même payer l’hôtel d’où on va nous expulser dans quelques jours mais on a du mal à parler avec le propriétaire pas commode. Qu’est ce qu’on peut faire ? On ne demande pas la charité et on trouve même normal que la France arrête de payer pour nous. »
35 ans, elle a quitté son pays (qu’elle ne souhaite pas dévoiler dans cet article) en décembre 2014 grâce à un visa touristique avec avec son mari, 45 ans, et leurs enfants. Ils savaient qu’ils ne repartiraient pas, qu’ils demanderaient l’asile politique, son mari étant « recherché par des bandits parce qu’il les a filmés avec son téléphone ». Huit mois plus tard, l’asile est refusé. Après deux ans de procédure, le recours est rejeté. Une scoliose dont souffre l’aînée leur permet d’obtenir le titre de séjour « vie privée et familiale » pour soins. D’une durée provisoire, ils doivent le renouveler chaque année.
Les enfants sont régulièrement scolarisés malgré huit ans de vie en France où s’enchainent les squats et les expulsions. La dernière est celle de la rue Hortense, suivie d’hébergements d’urgence : un mois dans un hôtel, deux mois dans un autre, et enfin ce dernier rive droite depuis mai 2021 dans lequel la famille occupe deux chambres de quelques mètres carré, « de vrais fours par temps de canicule ». Depuis la crise sanitaire, cet hôtel était entièrement mis à disposition pour l’hébergement d’urgence.
A quatre dans une chambre d’hôtel
Même sort pour Olivia*. Agée de 32 ans, cette Géorgienne est arrivée en France en 2016 avec son mari et ses deux filles.
« La dernière avait une leucémie et j’étais venue en France pour la soigner correctement », reconnaît-elle.
Tous arrivés avec des visa tourisme, ils obtiennent un titre de séjour provisoire pour une raison médicale, « vie privée et familiale ». « Ma fille est décédée en décembre 2019 et on ne pouvait plus renouveler notre titre de séjour », explique-t-elle calmement avec un français maitrisé.
« Nous avons passé notre temps à l’hôpital avec un logement à côté trouvé par une assistante sociale grâce à la solidarité des médecins. Mon autre fille était scolarisée et on se relayait avec mon mari pour s’occuper de l’une et de l’autre. On n’avait pas de vie et on ne se posait pas la question des papiers. Je me suis rendue compte que j’étais en France légalement grâce à ma fille qui est décédée. »
En 2020, la famille demande un titre de séjour exceptionnel durant le confinement et la crise sanitaire. Elle ne l’obtient pas et voit ses aides coupées avec l’arrivée à terme de leur titre de séjour. Des travaux dans les vignes et dans le bâtiment leur permettent de s’en sortir. Avec un garçon né à Bordeaux, ils trouvent un logement grâce au 115 en août de la même année : une chambre d’hôtel pour quatre.
2100€ par mois la chambre d’hôtel
En août, une lettre est remise à Olivia en main propre lors d’un rendez-vous au CAIO, le Centre d’accueil d’information et d’orientation qui gère aujourd’hui le 115, service qui vient en aide des sans abris en proposant notamment un logement. Celle-ci, modèle-type, stipule :
« Vous êtes hébergé(e)s sur le dispositif hôtelier financé par l’Etat depuis le 10/08/2020. Votre maintien dans les lieux, octroyé depuis cette date n’est plus motivé au titre de l’urgence. A ce titre, je vous informe que vous devrez quitter votre chambre d’hôtel le 14 septembre prochain. Les services de l’Etat vont interrompre le financement de cet hébergement : si vous souhaitez maintenir votre présence dans les lieux après la date du 14/09/2022, il vous appartiendra de la prendre en charge sur vos frais personnels. Il vous revient de vous rapprocher du 115 pour une mise à l’abri. »
« Je n’ai pas les moyens de payer 70€ par jour ! » Olivia fait le calcul : « 2100€ par mois pour une chambre minuscule où on est entassé à quatre. »
« Je peux payer un T2 autour de 600€, mais je ne peux pas avoir un bail sans papiers, poursuit-elle. J’avais une solution d’hébergement pour le 28 septembre et j’ai demandé à rester à l’hôtel jusqu’à cette date. Ils ont refusé. »
Cette solution, en cours à ce jour, a été mise en place grâce à l’association 100 pour 1 Toit Gironde et la Fondation Abbé Pierre.
Quatre ans à l’hôtel
« Ce ne sont pas des cas isolés » regrette Anne Marchand de la Fondation Abbé Pierre qui poursuit, « l’hiver n’est pas encore là mais toutes les associations sont déjà en alerte maximale ».
« Cet été il y a eu des expulsions massives. On arrive environ à 1000 personnes dans la métropole bordelaise sur l’année civile. Et ça va continuer en octobre avant la trêve hivernale [délai entre le 1er novembre et le 31 mars de l’année suivante où les expulsions sont suspendues, NDLR]. On est face à une situation inédite et sans précédent. A notre agence, les familles à la rue viennent nous voir directement. Même les écoles nous appellent pour nous alerter de familles d’élèves scolarisés qui dorment dans la voiture ou dans la rue. »
Il y a parmi les cas cités par la directrice de l’agence régionale celui d’une femme forcée de quitter sa chambre d’hôtel qu’elle occupe depuis… le 1er juillet 2018 !
« 365 jours x 4 ans x 70€ pour une chambre, le séjour de cette dame a coûté plus de 100 000€. De quoi acheter un appartement et la loger, s’indigne Anne Marchand. Preuve que cette politique d’hébergement n’est pas bonne et qu’il est impératif d’y réfléchir au lieu de mettre les gens à la rue sans solutions. »
L’objectif de mettre fin à des mises à disposition de chambres d’hôtel pour l’hébergement d’urgence n’est pas une surprise pour les associations. Ce qui les surprend « à moitié », c’est qu’ « elles ne sont pas compensées alors que la situation s’empire ». « Ce sont des remises à la rue sèches », relève Anne Birbis, une bénévole associative.
13000 places à supprimer
Sollicitée par Rue89 Bordeaux, la Préfecture explique par mail :
« Fin 2020, le parc d’hébergement au niveau national a atteint un pic historique de 203 000 places. En effet, plus de 40 000 places supplémentaires ont été ouvertes pour faire face à la crise sanitaire. En parallèle, un effort national a été mis en œuvre pour l’accès au logement des ménages sans domicile. Le logement d’abord constitue une réforme prioritaire du gouvernement. Il a donc été demandé en 2021 d’amplifier l’action en faveur de l’accès au logement des ménages sans domicile et de réduire progressivement, sur plusieurs années, le parc d’hébergement pour préparer un retour à une situation d’avant crise. »
Prévu dans le projet de loi finances pour 2023 présenté lundi 26 septembre, cet effort de réduction porte en priorité sur les hébergements en hôtel. Lequel, selon la Préfecture « est passé à 200 000 en mars 2022 », et la diminution nette du parc d’hébergement est prévue pour la fin de l’année « à hauteur de 10 000 places pour atteindre un parc à 190 000 places au 31 décembre ».
Ainsi, en Nouvelle Aquitaine, la capacité de ce parc « doit s’établir à 6001 places (dont 410 places d’hôtel) au 31 décembre 2022 » précise la Préfecture, « soit un effort de réduction au niveau régional de 99 places par rapport à fin 2021 (6100 places dont 449 places d’hôtel) ». En Gironde, « au 31 décembre la cible est fixée à 1984 places d’hébergement soit un effort de réduction de 38 places par rapport à fin 2021 ».
Dans le département, « la fermeture a concerné 20 places d’hôtel et les 18 autres places d’hôtel ont été transformées en places d’intermédiation locative dans le cadre du principe du logement d’abord », précise la collectivité. Celle-ci ajoute également « que le parc d’hébergement de Nouvelle-Aquitaine reste tout de même en progression de +5,7 par rapport au parc régional de décembre 2019 (5675 places avant crise sanitaire dont 618 places d’hôtel) ». Et d’ajouter : « Aucune personne n’est restée sans solution lors des fermetures de places. »
« Les gens ne disparaissent pas quand ils sont expulsés »
« Cette solution revient à proposer aux gens d’appeler le 115 qui ne répond jamais » s’indigne Anne Birbis, faisant référence au courrier standard reçu par les expulsés. Tandis que Mélania assure que rien n’a été proposé à sa famille. Elle affirme que l’obligation de quitter son hôtel rive droite a été formulée par un « contrat d’hébergement ». Consulté par Rue89 Bordeaux, celui-ci mentionne que « la durée de la prise en charge [est] de 15 jours, renouvelable 3 fois, soit 2 mois maximum ».
« Ils mettent que la date du début de l’hébergement est le 3 août 2022, alors que nous sommes là depuis bien plus longtemps. La date de fin de l’hébergement est de ce fait pour le 3 octobre et on doit donc partir ce lundi. »
« On ne sait pas exactement combien de familles sont sommées de quitter les hôtels car elles le sont dans l’indifférence la plus totale », souligne Anne Marchand.
Parallèlement, la directrice évoque un Fonds d’urgence à hauteur de 45 000 € mis en place en juillet par son agence, « face à l’urgence de la situation des expulsions de l’été » et qui a servi à 21 familles dont 42 enfants. La fondation Abbé Pierre « a mis à l’abri en un an environ 418 personnes, dont 193 enfants, dont 246 personnes parmi lesquelles 115 enfants depuis juin, ce qui représente 58 % des mises à l’abri de l’année chez nous et montre bien la forte augmentation des personnes mises à la rue ».
« Les gens ne disparaissent pas quand ils sont expulsés, ajoute la directrice. Ils se retrouvent sans toit, sans nourritures et sans soins… et à nouveau dans la même misère. »
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