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A Bordeaux aussi, la ségrégation sociale éclot entre collèges publics et privés

Ce n’est pas une surprise mais les chiffres le confirment. Les collèges bordelais fonctionnent avec un système à deux vitesses : le privé sous contrat concentre les enfants des familles les plus aisées, le public accueille tous les autres, et notamment ceux dont les parents subissent des difficultés sociales et économiques.

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A Bordeaux aussi, la ségrégation sociale éclot entre collèges publics et privés

Mi-octobre, l’éducation nationale a été contrainte de rendre publics les indices de position sociale (IPS) de tous les collèges et les écoles de France, à la suite d’un recours déposé devant le tribunal administratif de Paris. L’IPS, créé en 2016, est un outil de mesure quantitatif de la situation sociale des élèves face aux apprentissages dans les établissements.

Plus l’indice est élevé, plus l’élève évolue dans un contexte familial favorable aux apprentissages scolaires. L’IPS calcule pour chacun des élèves une moyenne en croisant les catégories socioprofessionnelles des deux parents, leurs diplômes, les conditions de vie (revenus, type de logement, etc.), le capital, les pratiques culturelles, et l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant.

L’analyse de ces données au niveau national révèle de fortes disparités entre collèges publics et privés, ces derniers concentrant les enfants les plus favorisés, en particulier dans les grandes agglomérations. 3,3% seulement des 10% des collèges à l’IPS le plus faible sont des établissements privés sous contrat.  A contrario, parmi les 10 % à l’IPS le plus élevé, 60,9 % d’entre eux sont privés (81 % pour les 100 collèges aux plus hauts IPS et à 90 % pour les 10 premiers). Et cet écart s’est accru ces dix dernières années.

Une ségrégation sociale très marquée

C’est dans les grands centres urbains que la concentration des élèves les plus favorisés dans les établissements privés et la ségrégation sont les plus marquées. La forte concentration de CSP+ et une plus grande liberté de choix – les collèges étant plus nombreux sur des territoires restreints – conduisent à des établissements « homogènes » socialement.

Bordeaux ne fait pas exception à la règle et on peut même dire que cela y prend une dimension caricaturale. Un seul exemple : le collège public du Grand-Parc – mais on aurait pu en prendre d’autres –, et ses 560 élèves en 2021-22, scolarise plus d’élèves issus de milieux défavorisés (305 – les chiffres peuvent fluctuer à la marge sur une année scolaire) que l’ensemble des dix collèges privés sous contrat de Bordeaux (environ 250 seulement), tous catholiques, qui, pourtant, scolarisent 11 fois plus d’élèves !

En pourcentage, le Grand-Parc compte 58,9% d’élèves défavorisés (Blanqui : 57,2 ; Jacques Ellul : 56,3…) contre 1,9% et 2,3% pour les collèges privés Saint-Genès et Sainte-Marie-Grand-Lebrun. Sur les 1257 élèves du collège privé Saint-Genès, 25 viennent de milieux défavorisés. Le Grand-Parc compte aussi près de 64% de boursiers, Grand-Lebrun 0,9%.

Quelques collèges publics résistent du fait de leur secteur géographique et de la sociologie des quartiers où ils sont implantés (Cassignol, Fournier, Emile-Combes). Deux ou trois collèges privés scolarisent un nombre raisonnable d’élèves de milieux défavorisés (Saint-Louis-Sainte-Thérèse, Le Mirail). Mais le constat est globalement accablant.

Tableau des indices de position sociale des collèges publics et privés à Bordeaux Photo : cliquer pour agrandir

Le prix, le choix, et l’entre-soi

Cette absence de mixité, au-delà de la tradition élitiste de certaines congrégations religieuses, comme les maristes, repose sur plusieurs facteurs.

Le privé est payant, à l’inverse du public, et n’indexe pas assez ses tarifs sur les revenus des familles qui s’inscrivent. La conséquence mécanique est la faible représentation des catégories populaires. Rappelons que les frais de scolarité complètent seulement leur budget, le financement de l’enseignement privé sous contrat provenant à 73% de l’Etat (qui rémunère les enseignants) et des collectivités territoriales (qui contribuent aux frais de fonctionnement). A cela il faut rajouter le montant les dons défiscalisées à des fondations n’alimentant que le secteur privé dont le montant n’est pas connu.

Le privé choisit ses élèves, à la différence du public, qui a l’obligation d’admettre tous les enfants domiciliés dans son secteur. Le filtrage des dossiers scolaires agit comme un deuxième obstacle pour les élèves défavorisés, dont les bulletins sont souvent plus fragiles que ceux issus de familles privilégiées, et qui bénéficient rarement de parrainages pour entrer dans certains collèges privés « prestigieux ». Sans compter la possibilité, pendant la scolarité et en toute discrétion, de se séparer des quelques élèves n’entrant pas dans le moule, et que les collèges publics récupèrent.

La volonté d’entre soi des familles aisées entre également en ligne de compte. Fait sociologique et culturel majeur, l’effondrement de la pratique religieuse en France ces cinquante dernières années ne laisse pas place au doute : le choix des familles est guidé par la volonté d’évitement du public, et du secteur scolaire, et non par la pratique religieuse. Être scolarisé au collège Sainte-Marie-Grand-Lebrun, c’est fréquenter des familles elles aussi « bourgeoises » et se constituer un réseau social pour l’avenir.

Les conséquences

Cette ségrégation n’est pas sans conséquences pour l’ensemble du système éducatif. Les enfants des milieux défavorisés sont aussi impactés même lorsqu’ils fréquentent les collèges publics.

On sait que le principal travers de notre système scolaire est sa faible capacité à réduire les inégalités de départ entre élèves : la France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine sociale des élèves détermine le plus fortement leurs performances scolaires à l’âge de 15 ans (enquête Pisa). Et le fait que le privé entre directement en concurrence avec le public n’aide pas.

La captation des élèves privilégiés, et des meilleurs éléments, entraine la concentration dans le public d’élèves en très grande difficulté scolaire, sociale, économique, ce qui a un impact sur l’ensemble de l’effectif. Les « effets de pairs » sont connus. Les résultats d’un élève ne sont pas la simple conséquence de ses efforts mais aussi de ceux fournis par ceux qui l’entourent. Sans faire baisser le niveau global, la mixité permet au contraire d’augmenter le niveau des élèves défavorisés.

Un enjeu démocratique majeur

Au-delà des constats et évaluations scientifiques, la promotion de la mixité sociale et d’origine est un enjeu démocratique majeur qui doit nous interroger sur la vitalité de nos valeurs républicaines. L’école est en effet le seul lieu ou l’ensemble d’une classe d’âge peut se rencontrer – certains ne se recroiseront plus –, et où peut se transmettre un sentiment d’appartenance de tous les enfants à la République. Y développer la mixité, c’est renforcer le rôle de l’institution scolaire dans la recherche d’une société plus égale et apaisée.

Pour l’heure, ni l’État, ni le privé ne jouent leur rôle. Le financement du privé sous contrat est toujours régi par la loi Debré de 1959, qui prévoit que les dépenses de fonctionnement sont prises en charge par l’État, en échange de plusieurs dispositions : les écoles privées respectent les programmes ; elles doivent accepter les élèves indépendamment de leur origine ou de leurs convictions ; leurs enseignants sont des agents publics.

L’ampleur actuelle de la ségrégation scolaire au collège devrait donc conduire l’État à demander des comptes aux établissements privés sous contrat, financés au 3/4 sur fond public – on pourrait d’ailleurs parler de secteur au 1/4 privé seulement- et donc avec l’argent du contribuable. Mais l’État ne joue aucun rôle de régulation du recrutement, tandis que le privé, bien loin des valeurs du « catholicisme social », ne joue pas le jeu. 

Armes égales

Si la liberté du choix de l’instruction est protégée par une décision de 1977 du Conseil constitutionnel, développer des outils pour faire participer le privé à l’objectif de réduction des inégalités sociales et scolaires, et œuvrer pour que les deux systèmes soient à armes égales, est parfaitement envisageable. On ne peut accepter une ségrégation scolaire tellement forte qu’elle contribue à l’importante inégalité de réussite des élèves selon leur origine sociale.

Sortir de la ghettoïsation scolaire par le brassage d’élèves de différents horizons est nécessaire. Des initiatives à l’étranger notamment aux Etats-Unis et dans certains pays européens, ont connu le succès. En France, dans le public en 2016, et sous l’impulsion de Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation, une vingtaine d’expérimentations impliquant des collèges publics en partenariat avec les collectivités locales, ont été menées.

Ainsi à Paris, des secteurs bi-collèges (dispositif consistant à définir des secteurs communs à plusieurs collèges pour rééquilibrer leur recrutement social) ont été créés, en fusionnant la sectorisation d’établissements à la sociologie contrastée, dans les 18e et 19e arrondissements de Paris. Avec des résultats encourageants au final en matière de mixité. Mais il faut y associer le privé.

Réguler le système

Des pistes existent. Comme le fait de centraliser le recrutement d’élèves du privé via une plateforme spécifique, indépendante ou non de celle du public, sur un territoire donné, pour rendre « transparentes » les méthodes d’affectation, les objectiver de manière à s’assurer qu’il n’existe aucune forme de discrimination des catégories défavorisées.

Il est également souhaitable de fixer des règles comme un taux minimum d’élèves boursiers inscrits et un respect de quotas sociaux que le privé s’auto-assignerait, dont il rendrait compte à la puissance publique, et qui conditionnerait les financements. Et aussi généraliser la modulation des frais de scolarité en allant jusqu’à introduire la gratuité pour les plus modestes

Le système scolaire français n’a de toute manière pas le choix. Il doit se réformer car la pression des inégalités sociales et scolaires va devenir de plus en plus forte.


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