Gaïa sélectionne d’abord une personne dans le public. « Au hasard », prétend la voix féminine de ce logiciel d’intelligence artificielle. Ce vendredi 2 décembre à Cap Sciences, pour la première bordelaise (et même française, après avoir été programmé à Bruxelles) de « Réchauffe l’ambiance, pas la planète », ça tombe donc sur Camille, au grand désespoir de la jeune femme.
Son agacement (feint, bien sûr, c’est une comédienne) s’accroit lorsqu’une fois installée, l’ordinateur déballe sur écrans géants ses pensées – « le respect du RGPD (règlement sur la protection des données personnelles, NDLR), ça te dit quelque chose ? ». Il expose plus exactement son dilemme du moment : pour les prochaines vacances, partira-t-elle s’initier à la permaculture dans une ferme à une heure de train de chez elle, ou bronzer aux Canaries ?
Foutu ou on peut encore agir ?
Évidement, le bilan carbone de la seconde destination, qu’il faut rallier en avion, est bien plus conséquent : près de 500 kilos équivalent CO2, soit le quart des émissions annuelles auquel chaque français devrait se tenir pour respecter les accords de Paris.
« Pourquoi me priver des Canaries alors que c’est foutu ? » (pour contenir à 1,5° le réchauffement planétaire depuis les débuts de l’ère industrielle, l’objectif de cet accord, NDLR), s’interroge toutefois Camille.
Le public pense-t-il comme elle ? Les élèves de 4e du collège Ausone, au Bouscat, présents dans la salle ce matin là saisissent la télécommande équipant chaque siège. Ils votent à 72% « on peut encore agir ».
Suit alors pour convaincre Camille une courte vidéo d’une scientifique sur l’augmentation du réchauffement planétaire – « +1,1° depuis la révolution industrielle, beaucoup plus que lors des 100000 années précédentes », mais aussi l’impérieuse nécessité de contenir chaque dixième de degré pour empêcher l’emballement du système climatique – par exemple en France la fréquence des canicules devrait doubler d’ici 2050, ou être multipliée par 5 si l’augmentation des émissions se poursuit.
Freins au changement
Les séquences s’enchaînent ainsi pendant les 45 minutes du show. Les tiraillements et interrogations de l’héroïne sont incarnés par ses amis qui se disputent par écrans interposés, l’une, son amie écolo et gauchiste depuis la ferme permacole, l’autre, pote lourdaud en chemise hawaïenne, dans un bar sur la plage. Le public et des experts sont appelés à les départager, et à aider Camille à y voir clair dans les responsabilités de chacun.
« Face à l’enjeu vital du dérèglement climatique, l’inaction de nos sociétés demeure criante et interpelle : pourquoi n’agissons nous pas davantage ? », s’interroge Vincent Jouanneau, chef de projet à Cap Sciences – coproducteur de ce spectacle avec l’agence belge Tempora et l’association Climate Voices. Il cite plusieurs freins, identifiés dans les pays européens :
« On connait les freins. Soit on se dit qu’on va droit dans le mur et que ça ne sert à rien. Soit on rejette la faute sur les autres, en affirmant que les Français n’émettent pas tant que ça. Soit encore que les citoyens ne peuvent pas grand chose, et que les décisions incombent seulement aux états et aux grandes entreprises. »
Des clichés que « Réchauffe l’ambiance… » bat en brèche, données à l’appui. Par exemple, la Chine est le pays qui pollue le plus, mais rapporté aux émissions par habitants, beaucoup moins qu’un Qatari ou un Américain. Et son passif est moindre que les Européens ou les Etats-Unis si on fait le bilan des 200 dernières années.
Les riches détruisent la planète
Surtout, les 10% des ménages les plus riches représentent près de la moitié de émissions totales de gaz à effet de serre, à cause de modes de vie poussant à l’ultra consommation (de voyages et de biens matériels). « Vous en faites partie, à en croire les données de cartes bleues utilisées pour payer les billets du spectacle », tacle Gaïa.
C’est donc, affirme-t-elle, au changement de nos modes de vie qu’il faut s’atteler, plus qu’au contrôle des naissances ou aux éventuelles ruptures technologiques.
En commençant par nos gestes individuels, dont l’impact n’est pas négligeable. Quelques pistes concrètes avancées lors du post-show et d’un quiz avec la salle. On y rappelle par exemple que des repas végétariens représentent 7 kilos de gaz à effet de serre par semaine, contre 65 kilos pour des repas avec de la viande.
« Pas moralisateur »
Pour aiguiller les plus jeunes dans leurs actes de consommation quotidiens, il leur est indiqué l’impact de la fast fashion ou de leur utilisation du numérique, et les façons de réduire l’empreinte carbone de son téléphone. Et pour ceux qui veulent aller plus loin et s’engager, des associations et mouvements locaux leur sont présentés à la sortie de la salle.
« Cet objet atypique pour nous n’est pas moralisateur, estime Emilie Gouet-Billet, de Cap sciences. On est pas là pour dire aux gens ce qu’ils ont à faire, mais pour les pousser à réfléchir, et intéresser les jeunes qui l’étudient à l’école, avec un propos assez drôle et engageant. C’est la mission d’un centre scientifique ».
Mission en partie accomplie auprès du public vendredi dernier.
« C’était stylé, lâche Ilona. Il y a des choses qu’on savait déjà, d’autres qu’on mesure mieux. Mais on essaye déjà de changer nos habitudes. Moi j’ai réduit ma consommation de viande, je n’en mange plus qu’une fois par jour. »
Allez, encore un petit effort pour mettre les bouchées doubles.
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