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Dans une précarité « alarmante », des centaines d’étudiants bordelais doivent recourir à l’aide alimentaire

Une étude du 9 mars dernier, coréalisée par plusieurs associations étudiantes sur le campus de l’université Bordeaux Montaigne, dresse un constat inquiétant sur la situation sociale des jeunes en étude. 74% d’entre eux disent avoir vu leur pouvoir d’achat baisser et deux tiers contrôlent leurs dépenses d’alimentation, voire sautent des repas (15%). Rue89 Bordeaux s’est rendu dans deux distributions alimentaires afin de rencontrer ces jeunes en difficulté, qui recourent par centaines aux dons assurés par les associations.

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Dans une précarité « alarmante », des centaines d’étudiants bordelais doivent recourir à l’aide alimentaire

18h30. La distribution alimentaire organisée par l’association Linkee, place Pey Berland, commence dans trente minutes. Pourtant, environ 200 étudiants se massent déjà le long du bâtiment dans lequel se déroule l’événement. Sous la pluie, les premiers patientent depuis plus d’une heure dans une queue faisant le tour du pâté d’immeubles.

500 bénéficiaires

À l’intérieur, une quinzaine de bénévoles s’agite pour que tout soit prêt. Musique en fond sonore, ils disposent fruits, légumes, boîtes de conserves, pâtes et même charcuterie sur des tables garnies. Ce soir, plus d’une tonne de denrées – invendus de la grande distribution, dons ou achats par l’association – seront distribuées à 500 bénéficiaires environ. 

Parmi eux, Mina et Manon, deux copines Bordelaises de 23 ans. L’une vient tout juste d’avoir son diplôme d’architecte et l’autre est en train de le terminer. Elles viennent ici régulièrement, et même toutes les semaines pour Mina, qui affirme qu’elle ne pourrait pas se débrouiller autrement.

Sans aide financière de la part de ses parents, elle doit payer seule son loyer à 500 euros et ses dépenses quotidiennes. Pour y arriver, elle cumule un emploi à mi-temps en agence d’architecture et un job alimentaire. Serveuse en restauration rapide ou mascotte pour une chaîne de snack, « tout est bon à prendre », estime la jeune femme.

Voler pour manger

Aussi, pour cette aînée d’une fratrie de trois enfants, qui aide également son père, malade et en difficulté financière, ces paniers ne sont pas un choix, mais une obligation. 

« Ils représentent 70% de mes repas chaque semaine. Au début, je les récupérais au Wanted Café et quand j’ai vu que le lieu fermait en octobre dernier, j’ai eu très peur de ne pas m’en sortir », explique-t-elle. 

Malgré ses efforts, elle avoue des difficultés à boucler ses fins de mois. Alors parfois, « pas le choix ». Elle doit voler pour manger. 

« Je n’ai pas trop de scrupules. J’estime que c’est une nécessité », affirme-t-elle, appuyée par son amie, boursière échelon 4 (soit 400 euros grâce à sa bourse), qui avoue également voler des protections hygiéniques, trop chères pour son petit budget. 

Mina (à gauche) et Manon, avec leur sac de provisions Photo : AG/Rue89 Bordeaux

« Sortir ou manger« 

19h30. La queue d’étudiants ne cesse de s’allonger, au point de faire le tour complet du bloc de bâtiments. À plusieurs reprises, des passants s’arrêtent, curieux de savoir « ce qu’il se passe ici ». « Un don alimentaire », répond simplement Chloé, 22 ans.

Cette dernière culpabilise d’être là, considérant que d’autres sont dans une situation pire que la sienne. Étudiante en dernière année d’ostéopathie, elle est aidée par ses parents, mais cela ne suffit plus. Après avoir payé son loyer, il lui reste un peu plus de 100 euros pour vivre. Un peu « ric-rac », selon la jeune fille qui constate les conséquences sur son alimentation. 

« Entre sortir ou manger mieux, je choisis généralement la première option. J’essaie de garder une vie étudiante donc je fais attention à ce que j’achète. Je ne mange pas de viande et je me fais très souvent des pâtes. Ces paniers me forcent à manger plus équilibré, à cuisiner et à revisiter des recettes », explique-t-elle, affirmant sentir une différence au niveau de sa productivité dans ses études.

1000 paniers par semaine

Le cas de Chloé, aidée par ses parents mais aussi par des dons alimentaires, n’est pas une exception. En fait, selon Luis Jegard, 25 ans et président de l’association Linkee, c’est même plutôt habituel. Depuis la création de la distribution en juin 2022, le profil des bénéficiaires n’a pas changé. “La précarité touche tout le monde”, selon le responsable. 

« On croise autant de jeunes en école de commerce à 10 000 euros l’année que d’étudiants en IUT. Il y a aussi beaucoup d’étudiants étrangers et ça se comprend. Ils n’ont pas forcément de famille chez qui rentrer le week-end et qui leur laisse de la nourriture pour la semaine. »

Depuis octobre, Louis admet avoir vu le nombre d’étudiants bénéficiaires augmenter, passant de 200 à 500 sur une distribution, probablement à cause de « l’augmentation du coût de la vie ». Actuellement, l’association Linkee donne environ 1000 paniers, à raison de deux distributions hebdomadaires. 

Les bénévoles (en bleu), donnent fruits et légumes aux bénéficiaires Photo : AG/Rue89 Bordeaux

Charge mentale

À Bordeaux, plusieurs distributions alimentaires comme celles-ci sont organisées chaque semaine. La Cuvée des écolos à la Maison des étudiants de l’Université Bordeaux Montaigne (UBM) reçoit une centaine de jeunes en étude tous les vendredis.

C’est aussi le cas de la banque alimentaire de Gironde (en partenariat avec le CROUS) à la piscine universitaire de Talence le lundi et au Pôle universitaire ds Sciences de gestion, au Campus Bastide, le mardi.

Depuis janvier 2023, 3459 colis ont été distribués sur ces deux points, soit environ 350 à 400 par semaine. Les étudiants doivent s’inscrire sur une plateforme pour pouvoir venir récupérer leur colis.

Depuis novembre dernier, les jeunes de la France Insoumises organisent également des distributions sur le campus de l’UBM. Si elles ne sont pour l’instant pas régulières, une centaine d’étudiants en profitent généralement. 

Comme pour la distribution organisée par l’association Linkee, beaucoup sont d’origine étrangère. C’est le cas de Ruth et de Sandrine. Togolaises, elles sont arrivées en France il y a deux ans pour leurs études en communication. Toutes les deux sont aides à domicile les week-ends. Malgré cela, elles estiment qu’il leur manque environ 200 euros chaque mois pour vivre correctement. 

« On est loin de chez nous et on se bat pour réussir nos études, gagner notre vie. C’est une charge mentale immense. On n’a pas le temps de se reposer ou de rencontrer d’autres étudiants. Ça crée de la solitude et de la frustration au quotidien » regrettent les deux jeunes filles. 

Ruth et Sandrine attendent leur tours, à la distribution des jeunes insoumis à l’Université Bordeaux Montaigne Photo : AG/Rue89 Bordeaux

Une étude glaçante

Pour chacun des jeunes rencontrés, la situation est difficilement gérable. Étudiants, ils n’ont pas toujours le temps de travailler pour arrondir leurs fins de mois. Pour ceux qui y parviennent, la charge de travail cumulée est tout simplement insoutenable.

D’après une enquête sur la précarité étudiante récemment réalisée par Le Poing Levé, l’organisation des Étudiant de Bordeaux Montaigne, la Fédération Syndicale des Étudiant et l’Unef, auprès de 1400 étudiants de l’Université Bordeaux Montaigne (UBM), la situation est alarmante.

Selon ces associations, 74% d’entre eux disent avoir vu leur pouvoir d’achat baisser. Pourtant, près de la moitié ne touche pas de bourse et doit se débrouiller sans l’aide financière de ses proches. Ainsi, 15% des répondants sont contraints de sauter des repas, selon le rapport. En parallèle, 14% des étudiants interrogés ont également recours à l’aide alimentaire. 

Un triste constat validé par Denis Laulan, secrétaire général de la fédération départementale du Secours populaire de Gironde. Selon lui, la crise sanitaire a accentué ce phénomène. Ainsi, une antenne du Secours populaire dédiées aux jeunes a été créée en 2021.

Tous les samedis, de 15 h à 18 h, une permanence est accessible pour les étudiants en situation de précarité. Plusieurs fois par semaine, cette antenne se déplace directement sur les campus, fin de distribuer des aides matérielles et immatérielles (libraires solidaires, loisirs et vacances) en fonction de l’actualité et des besoins.

Repas à 1 euro

Dans ce contexte, Bordeaux Métropole a dédié 80 000 euros à 10 associations étudiantes dans le cadre d’un appel à projet lancé en octobre dernier. L’objectif : « Permettre aux étudiants de vivre mieux et de faire leurs études plus sereinement ». Pour ce faire, trois domaines ont été ciblés : la santé, la lutte contre la précarité alimentaire et la prévention au décrochage scolaire. L’association Linkee Bordeaux fait partie des lauréats. Elle a décroché 15 000 euros, la subvention la plus importante.

Ces dernières semaines, les jeunes Bordelais ont souhaité aller plus loin, en réclamant le retour du repas universitaire à 1 euro pour tous les étudiants. Cette mesure avait été proposée par le groupe du parti socialiste en février dernier, puis refusée à une voix près à l’Assemblée Nationale.

Provisoirement instauré pendant la pandémie de Covid-19, en 2021, le repas à 1 euro est désormais réservé aux étudiants boursiers et aux étudiants non boursiers ayant des difficultés financières graves, constatées par les services sociaux des Crous. Pour Iban Delavoie, étudiant à l’Université Bordeaux Montaigne et président de l’UNEF Bordeaux, le prix actuel d’un repas au restaurant universitaire est « complètement déconnecté de la réalité ».

« 3,30 euros, c’est beaucoup trop. Même pour un étudiant non boursier. Ça fait 100 euros par mois pour manger que le midi, sachant qu’on a toutes les autres dépenses à côté », déplore-t-il.

Plusieurs motions revendiquant le repas à 1 euro pour tous, ont été adoptées afin d’appuyer les étudiants Bordelais. Ce fut notamment le cas à l’université Bordeaux Montaigne le 10 mars, et en séance plénière au Conseil régional de Nouvelle Aquitaine le 27 février dernier. Pour rappel, entre le 1er septembre 2022 et le 21 février 2023, au Crous de Bordeaux, près de 500 000 repas à 1 euro ont été servis, sur 1 million au total.


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