Le GIEC publie ce lundi une nouvelle mouture de ses rapports. Il s’agit d’une synthèse de ses conclusions depuis 2018. Une fois de plus, le GIEC alerte sur l’état de dégradation avancé du climat et ses implications pour la justice sociale, et nous informe à la fois sur les conséquences désastreuses du dérèglement climatique et sur les mesures à prendre pour l’enrayer. La côte d’alerte est déjà depuis longtemps dépassée.
La crise écologique ne se borne d’ailleurs pas à l’enjeu climatique : l’effondrement accéléré de la biodiversité (nous vivons la sixième extinction de masse) est un péril tout aussi majeur, et ces crises sont interconnectées.
C’est, en réalité, le vivant dans son ensemble qui est menacé par le dépassement des limites planétaires : CO2, biodiversité mais aussi cycles biogéochimiques, cycle de l’eau douce, acidification des océans ou pollutions… Notre survie commune est en jeu. Nous persistons pourtant collectivement à faire comme si nous n’avions pas compris que ce dépassement est engendré par ce que nous appelons « modèle de développement » et qui est à la vérité un mode de destruction.
Vision obsolète
Nous courons à notre perte. La science nous le dit, et nous en faisons l’expérience sensible, avec l’enchainement des épisodes météorologiques extrêmes. La menace se déploie globalement, les conséquences sont vécues localement. Nous connaissons les menaces sur nos vignes, durement et durablement impactées par le dérèglement. La destruction de l’immeuble du Signal, à Soulac est un triste symbole supplémentaire de l’érosion de notre littoral. Les incendies de l’été dernier en Gironde ont frappé les esprits et laissé leur lot de désolation.
Pourtant rien ne se passe. L’immobilisme succède à l’inaction. Le plus souvent même, nous prenons l’autoroute écologique à contre sens en défendant des projets et des politiques absurdes.
La nature et l’environnement sont encore considérées comme quantités négligeables. Des responsables politiques de tout bord s’obstinent dans une vision obsolète. Les exemples sont multiples. On nous propose ainsi une LGV aussi couteuse qu’inutile, au mépris de l’environnement et au détriment des lignes du quotidien. C’est le fruit d’une vision archaïque de la politique d’aménagement du territoire.
Elle s’illustre également quand certains défendent un projet de grand contournement routier entre Langon et Mussidan. Ce projet, qui a pour objectif de créer une autoroute supplémentaire conduirait à artificialiser des milliers d’hectares dans le sud-est girondin. Pourtant l’artificialisation des sols est un fléau écologique dont les conséquences sont connues.
Un million de paysans pour la transition agroécologique
Chacun connait aussi le funeste projet de méga bassines pour l’irrigation agricole, soutenu par le gouvernement. Ce soutien intervient alors même que la ressource hydrique est en danger. Cet été l’eau va manquer. Et dans les années qui viennent, Les sècheresses vont se multiplier, nous le savons. Il est donc urgent d’engager la transition agroécologique qui permettrait de faire face aux enjeux climatiques tout en assurant une juste rémunération aux paysannes et paysans, et en restaurant la qualité de notre alimentation. Notre pays a besoin d’un million de paysans d’ici en 2050 pour remporter ce défi.
Notre région qui est la première région agricole de France et d’Europe est concernée au premier chef par la transition à accomplir. Tout retard nous coutera très cher, écologiquement, et socialement. Mais il est fort à craindre que la Loi d’Orientation Agricole en gestation ne tienne que fort peu compte des enjeux dont nous parlons ici. Je pourrais, enfin, aborder le choix qui veut que soient coupées et dessouchées les forêts touchées par les incendies l’été dernier, plutôt que de laisser la nature y reprendre ses droits. Ce n’est pas anecdotique. C’est la marque d’une logique inchangée.
L’actuel gouvernement a fait de la cécité une règle et du double discours un art. Son regard est obstrué par l’obsession pour le monde de l’argent, et son propos ne sert qu’à masquer son inaction climatique. Il s’entête dans un soutien inconsidéré aux énergies et aux industries fossiles comme TotalEnergie, alors que notre économie doit d’urgence être décarbonée. Il procrastine encore sur la rénovation thermique des logements qui devrait être massive et n’est que balbutiante. Il rechigne à légiférer pour réduire l’impact des plus riches, à l’empreinte carbone proportionnellement plus élevée que le reste de la population (que l’on parle des mega-yachts ou jets privés, ou du poids carbone de leurs investissements financiers).
L’honnêteté commande de dire que notre gouvernement n’est pas le seul à s’égarer ainsi. Le GIEC nous parle, nous dit la catastrophe en cours, nous enjoint d’agir, et une classe dominante s’entête à poursuivre sa course vers l’abîme. Les dirigeants du monde, à la manière de forcenés enfermés dans le cockpit d’un avion, refusent obstinément de changer de trajectoire.
Le découragement ne doit pas l’emporter
Alors partout sur la planète, des consciences s’éveillent, des résistances naissent, des désobéissances émergent.
Ce mouvement, on l’a nommé mouvement climat. Je suis fière d’en faire partie. Depuis des années, nous militons pour que le climat soit au premier plan des questions portées dans le débat public. Chaque nouveau rapport du GIEC est pour nous un point d’appui indispensable pour que l’intelligence collective prenne à bras le corps les enjeux écologiques. Le découragement ne doit pas l’emporter.
Mais voilà, le monde est complexe: le réel nous enserre dans des tenailles multiples. A l’instant où j’écris ces lignes, rien ne dit que le rapport du GIEC percera la muraille médiatique. Rien ne dit que les oreilles du plus grand nombre seront disposées à s’ouvrir pour entendre une énième mise en garde climatique. L’inflation prend à la gorge des millions de foyers, la réforme des retraites, aussi injuste que brutale, polarise toutes les attentions, et l’utilisation du 49.3 viendra détourner les regards de la crise climatique.
Inlassablement nous devrons répéter que c’est la même folie qui conduit à exploiter sans limite les ressources naturelles et à faire peu de cas de la souffrance sociale qui ravage les corps et les esprits. Cette folie nous la nommons productivisme. Elle est le démon matérialiste qui a pris le contrôle de nos sociétés possédées par l’obsession de la croissance. Le rapport du GIEC ne parle pas de philosophie. Il documente les réalités physiques de la crise climatique. Mais entre les lignes, nous devons y lire autre chose qu’une recension des techniques de survie possible: un appel ardent à une révolution de nos manières d’être dans le monde.
Marie Toussaint
Eurodéputée écologiste
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