À l’heure de la flambée des prix, des coûts de production et des différents épisodes climatiques extrêmes, la diversification des revenus des agriculteurs est un enjeu crucial pour leur survie. Neuf maraîchers, arboriculteurs et éleveurs, ainsi qu’une chargée de projet et une cuisinière, se sont associés pour fonder la première conserverie biologique de Gironde : La Nomali. Les invendus du coin finiront désormais en conserves bio.
« Actuellement, le laboratoire de transformation bio le plus proche se trouve à Bergerac, mais il est complètement surchargé. Donc pour faire du bio, on doit envoyer nos produits jusqu’à Tours en camion puis tout redescendre en Gironde, explique Noémie Lebastard, cuisinière de La Nomali. On ne peut pas être dans l’agriculture biologique et ne pas faire attention à son empreinte carbone, ça n’a pas de sens ! »
Le projet de La Nomali présente aussi l’avantage de limiter efficacement le gaspillage alimentaire.
« On évalue à 32% ces pertes et gaspillages lors de la phase de production, presqu’autant qu’en phase de consommation (33%) », indique Noémie Lebastard, citant des chiffres de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
Le laboratoire ne sera pas uniquement accessible aux associés de La Nomali, d’autres professionnels pourront louer l’espace ponctuellement, ainsi que les particuliers souhaitant transformer d’éventuels surplus de leur potager en conserves. Le laboratoire devrait pouvoir brasser jusqu’à 300 kg de légumes transformés par jour et autant en fruits pour la ligne de jus bio.
« Réconcilier les enfants avec les légumes »
Le troisième objectif est la mise en valeur des produits locaux et du bien manger. Pour ce faire, Noémie Lebastard, cuisinière professionnelle depuis 2017, a élaboré plus de 40 recettes, sous différentes gammes.
« Des soupes, des aides culinaires, des pickles de courgette, des tartinades, des purées, des compotes, du chili ou encore un pistou de roquette… l’idée est de proposer quelque chose de sain et délicieux. Pourquoi pas même envisager de réconcilier les enfants avec les légumes ! », lance-t-elle dans un éclat de rire.
L’un des futurs best-sellers à coup sûr : le ketchup La Nomali.
« Dans ma recette, j’ai remplacé les traditionnels tomates, vinaigre de riz et sucre raffiné par des tomates locales, du vinaigre de framboise d’un producteur du coin et du miel également fabriqué juste à côté d’ici. Le résultat est beaucoup plus sain que les ketchups du commerce, meilleur pour la planète et profite en plus à des producteurs locaux. »
La commercialisation des premières conserves de la marque La Nomali est prévue pour l’automne.
« On sera dans les prix du marché, ce qui est rendu possible par le fait qu’on travaille en direct avec les producteurs. C’est important pour nous de proposer des tarifs abordables pour que bien manger puisse être accessible à toutes les bourses », plaide Noémie Lebastard.
Sans additifs nocifs ni conservateurs, les conserves de La Nomali peuvent se garder jusqu’à deux ans. Elles seront disponibles à la vente en direct, mais aussi dans des magasins Biocoop et Léopold ainsi que dans des épiceries fines du Sud-Gironde. Les associés visent également des partenariats avec les collectivités locales, en s’appuyant notamment sur la loi EGalim adoptée en 2018 à l’issue des États généraux de l’alimentation.
« Ce texte impose à la restauration collective publique, depuis le 1er janvier 2022, l’utilisation de 50% de produits durables et de qualité, ainsi que 20% de bio. Il doit aussi permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. Notre projet colle totalement à ce texte », affirme Noémie Lebastard.
Baisse de consommation du bio
C’est aussi ce que pensent les agriculteurs, éleveurs et maraîchers associés de La Nomali, dont Michaël Pimouguet, maraîcher installé depuis 2018 à Roquebrune qui cultive des légumes de saison en agriculture biologique sur environ deux hectares. Il explique qu’avec La Nomali, il a tout à gagner à l’heure où le contexte climatique et social rend son métier de plus en plus difficile à exercer et de moins en moins rentable.
« On constate une augmentation des périodes caniculaires et un manque de précipitations ce qui entraîne des difficultés de production et pose beaucoup de questions sur l’utilisation des ressources en eau, résume Michaël Pimouguet. Nous faisons aussi face à des augmentations folles du prix du carburant, du matériel et des matières premières qui explosent les charges de l’exploitation. »
Il note également en parallèle une importante baisse du pouvoir d’achat des Français rendant le bio plus difficile à vendre. Selon les chiffres les plus récents fournis par le ministère de l’Agriculture, en 2021, la valeur des achats d’aliments issus de l’agriculture biologique a reculé de 1,3% par rapport à 2020.
Varier les débouchés et s’entraider
« Le laboratoire de La Nomali va concrètement me permettre de diminuer mes pertes tout en augmentant mon chiffre d’affaires », reprend Michaël Pimouguet.
« Nous avons tous à un moment de la saison un pic de production sur certaines cultures que nous ne pouvons pas écouler sur le moment via nos débouchés. Nous avons aussi certains calibres de légumes qui ne plaisent pas à la vente (potimarrons déformés, courgettes trop grosses…). Tout ceci entraîne des pertes que nous pourrons désormais valoriser en soupe de courgettes, coulis de tomates, velouté de potimarrons… »
Le maraîcher affirme ne pas avoir quantifié ses objectifs de revenus provenant de La Nomali.
« Si je réduis mes pertes et j’augmente mes ventes via les conserves tout en produisant la même quantité de légumes à la base, et bien mathématiquement et éthiquement parlant, pour moi, c’est gagné. »
Le jeune Girondin affirme qu’une multitude de petits maraîchers se sont installés sur le secteur ces dernières années et que La Nomali répond donc à une problématique bien plus large. « C’est important de pouvoir nous fédérer autour d’un projet, de nous entraider. Nous n’aurions jamais pu créer ce laboratoire de transformation tout seuls dans notre coin ! »
Un budget à 700 000€
La Nomali peut d’ores et déjà compter sur le soutien financier du département de la Gironde et de la Région Nouvelle-Aquitaine à hauteur de 48 000€ chacun. L’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, dite Agence bio, a injecté, quant à elle, 104 000€.
Mais avec un budget estimé à 700 000€, la route est encore longue. Un double emprunt bancaire (160 000€ sur sept ans pour le matériel et 263 000€ sur 15 ans pour la rénovation) a été accordé et une campagne de crowdfunding, à laquelle 200 personnes ont déjà participé, s’achèvera dans quelques jours.
Celle-ci doit permettre de lever 25000€ pour compléter les équipements du laboratoire et poursuivre la rénovation entamée en novembre 2022 du séchoir à tabac dans lequel sera installé le laboratoire.
« C’est un édifice typique du Sud Gironde et nous tenons à en préserver son aspect extérieur pour mettre en valeur le patrimoine historique du territoire. Pour nous, cela va de pair avec le bien manger local », commente Noémie Lebastard.
Le laboratoire de La Nomali s’inscrit dans une dynamique plus globale autour de l’agroécologie porté par la FermLab de Carbouey. Dans ce tiers-lieu innovant, outre le laboratoire, se trouvent une unité de formation participant à la diffusion des savoirs dans le domaine de l’agroécologie, un espace de co-working, un espace de test agricole afin d’accompagner des personnes qui veulent changer de pratiques ou s’installer en tant qu’agriculteurs ainsi que des hébergements.
« Dans cet espace en pleine nature, La Nomali a déjà commencé à proposer des ateliers d’éducation au bien manger pour les professionnels comme pour les particuliers, les écoles, les centres de loisirs, les maisons de retraite ou encore les entreprises privées, précise Noémie Lebastard. Il y a une vraie demande, c’est une grande joie pour nous de voir les mentalités évoluer sous nos yeux. »
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