Dans le monde de l’enseignement artistique, l’école des Beaux-Arts de Bordeaux a un temps troqué son nom pour devenir « l’école de Guada ». Dès son arrivée, Guadalupe Echevarría a rapidement fait de l’établissement d’enseignement artistique un laboratoire d’expériences et de recherches, et réussi, durant plus de vingt ans, à insuffler un esprit que de nombreux enseignants et anciens étudiants reconnaissent comme innovateur.
« Une nouvelle manière de diriger une école »
Guadalupe Echevarría, née à Bilbao en 1948, a dirigé l’école de 1991, sous la mandature de Jacques Chaban-Delmas, jusqu’en 2013, quand Alain Juppé était maire de Bordeaux. Elle est décédée ce lundi à l’âge de 75 ans dans la ville où elle résidait en Espagne, Saint-Sébastien.
Après René Bouilly (1973-1989), et deux ans d’intérim de Francis Bugarin (1989-1991), l’arrivée de la nouvelle directrice à Bordeaux intervient alors que la ville possède avec le CAPC une des vitrines nationales de l’art contemporain. Guadalupe Echevarría vient d’y organiser l’exposition de John Baldessari et incarne une jonction entre le musée, l’école et la scène internationale.
Celle qui a rapidement été surnommée « Guada » affiche alors un parcours exceptionnel. Spécialiste de l’histoire du rock, elle promeut l’art vidéo en Espagne et dirige le Festival international de vidéo de Saint-Sébastien, émanation du festival de cinéma Zinemaldia entre 1982 et 1984. Elle y offre au public les futurs maîtres en la matière comme Bill Viola ou Bob Wilson.
Taillée dans le rock
Issue du milieu punk, on lui doit une compilation de vidéoclips de rock radical basque dans le cadre du Vitoria Music Video Festival. Elle a également dirigé le Centre d’art contemporain de Boston avant son arrivée à Bordeaux où elle « apporte une approche cosmopolite » selon Michel Aphesbero, artiste et enseignant à l’école. Il développe :
« Elle a inventé une nouvelle manière de diriger une école, avec un projet pédagogique absolument hors norme. Elle a impulsé une autre approche de l’art contemporain avec une méthode jusqu’ici unique dans l’enseignement artistique. Elle a fait venir des invités, des artistes, des chercheurs, des curateurs pour travailler avec les étudiants, dans une relation directe avec ce qu’est le métier d’artiste, abordant même le rapport à l’argent qui était encore tabou. Les étudiants découvraient alors des philosophies, des courants de pensées et des artistes engagées… »
L’école des Beaux-Arts de Bordeaux voit ainsi défiler des artistes de renom, ou sur le point de l’être. Citons les artistes français Dominique Gonzalez-Foerster, Fabrice Hybert, Matali Crasset, Pierre Huyghe, Jean-Paul Thibaut, ou encore l’artiste Dan Graham et le curateur Ralph Rugoff, tous deux américains. « C’est une ouverture incroyable sur le monde », se souvient Frédéric Laterrade, de l’association Zebra3.
« On est arrivé en même temps ! Moi en première année et elle à la direction. J’étais parmi les premiers bénéficiaires de la dynamique dingue qu’elle a générée en arrivant à l’école. Elle a permis de déployer des dispositifs incroyables, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école, et une dynamique conjointe avec le CAPC. Elle a adapté l’école aux différentes époques qu’elle a traversées. C’est une figure qui peut revendiquer toute une tranche d’histoire de la ville de Bordeaux. »
« Basculement des hiérarchies »
« Elle a incarné l’école et son époque » ajoute Carole Bîmes, artiste bordelaise et ancienne étudiante qui évoque une « amie » avec un « sacré caractère » qui « a dynamisé et dynamité l’école ».
« C’était notre reine mère, toujours présente entre les Beaux-Arts et les sorties, que ce soit dans les bars ou en voyages d’école. La première fois qu’on a échangé, c’était à son bureau, les femmes de ménage venaient de jeter mes dessins à la poubelle. Elle a alors évoqué les artistes maltraités en général. Lors d’un voyage à New York, elle s’allongeait par terre et expliquait comment il fallait regarder un Jackson Pollock jusqu’à ce que les gardiens du musée la relèvent ! Elle avait une relation amicale et bienveillante avec chacun. On se sentait important et considéré. »
« C’était normal dans sa relation avec les autres de lever les barrières, poursuit Michel Aphesbero. Elle a fait en sorte que même les artistes qui n’avaient pas un rond puissent faire des voyages à l’étranger. A son arrivée à l’école, elle a laissé son bureau de direction à un étudiant pour qu’il y fasse son espace de travail. C’était désarçonnant ce basculement des hiérarchies. Certains n’étaient pas habitués et avaient du mal avec ça. »
A l’origine du Café pompier
Dans la continuité de cette approche, Guadalupe Echevarría permet la création du Café pompier dont la gestion est confiée aux étudiants.
« Elle a voulu à la fois un lieu de rencontre entre les étudiants et les professeurs, et de programmation d’événements artistiques par les étudiants eux-mêmes. Il offre une forme d’autonomisation et contribue à responsabiliser les étudiants avec un engagement sociétal. L’équipe se renouvelle tous les ans avec les nouvelles promotions qui se mélangent aux anciennes. »
Avant son départ de Bordeaux, Guadalupe Echevarría reçoit en 2012 l’ordre national du mérite par Alain Juppé. La même année, elle est commissaire de l’exposition « Gaur, Hemen Orain » au Musée des Beaux-Arts de Bilbao où est présentée la création basque contemporaine.
En 2016, elle est nommée à la tête du projet de la capitale européenne de la culture de Saint-Sébastien. Elle garde également une activité dans le milieu artistique en proposant des expositions au musée Guggenheim de Bilbao et de conseil sur différents projets.
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