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L’été, l’autre saison difficile pour les sans-abri dans les rues de Bordeaux 

Durant la période estivale, les sans-abri sont parmi les premiers touchés par la hausse des températures, parfois caniculaires. Malgré les dispositifs de la ville de Bordeaux pour leur venir en aide et garantir un accès à l’eau, les associations relèvent des manques, notamment la fermeture des douches publiques aux Quinconces. Elles appréhendent le mois d’août pendant lequel la plupart des dispositifs (maraudes, structures d’accueil, etc.) fermeront temporairement leurs portes. 

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L’été, l’autre saison difficile pour les sans-abri dans les rues de Bordeaux 

En plein après-midi de juillet sur la place Pey-Berland, le mercure frôle les 35 degrés. Les passants se massent dans les quelques coins d’ombre pour échapper à une chaleur étouffante, parfois caniculaire en cette période.

Les sans-abri, dont le nombre augmente en été selon les associations, sont les premières victimes de cette étuve. À Bordeaux, il y aurait « 500 personnes de plus dans les rues  » en période estivale, affirme Cecilia Fonseca, la présidente de l’association Les Gratuit Gironde Solidarité.

Fin mai dernier, des centaines de sans-abri ont également été transférées vers Bordeaux en amont des Jeux Olympiques, s’ajoutant au nombre déjà important de personnes à la rue. 554 sans-abri avaient été recensées lors de la Nuit de la solidarité, en janvier dernier. 

« Des anges de la rue »

Face à cette vague de chaleur, les associations organisent des maraudes spécifiques. Cet après-midi, Timothée et Paloma, membres des Gâteaux Solidaires (association d’aide aux personnes en situation de grande précarité) distribuent des bouteilles d’eau fraiche.

Une action « sur mesure » en fonction des températures et du « stock d’eau à disposition », explique Timothée, le président de l’association. Fin juin, il est parvenu, avec deux autres associations (les Gratuits Gironde Solidarité et Les Diamants des Cités) à obtenir 800 bouteilles d’eau à prix réduits dans les banques alimentaires. Toutes seront distribuées. 

Les deux bénévoles s’élancent direction rue Sainte-Catherine, munis de leur carriole garnie de boissons et de biscuits. Rapidement, Timothée et Paloma se font alpaguer par Martin* (*pseudonyme) et Yohan. Les deux trentenaires, sans-abri depuis plusieurs années, sont des habitués des maraudes. « Ce sont des anges de la rue », s’emballe Yohan à propos des bénévoles. Pendant la distribution de bouteilles d’eau et de compotes, Martin confie ne pas dormir à cause de la chaleur. 

« Je ne me drogue pas moi, donc je ne m’endors pas comme une masse », affirme-t-il. 

S’il admet avoir également des difficultés à trouver le sommeil, Yohan dit être plus inquiet pour son chien, Niglo. Couché sur le flanc, l’animal halète et semble souffrir de la chaleur. Attentifs aux craintes de son maître, Timothée et Paloma remplissent sa gamelle d’eau fraîche. 

« La pierre au soleil ça te grille »

Avec la canicule, les sans-abri s’adaptent à coup de solutions temporaires. Yohan s’accorde parfois des bains dans les fontaines en ville. Un peu plus loin, Damien, 32 ans, préfère les siestes à l’ombre pour se reposer et passer le temps : 

« J’ai fait plusieurs villes et Bordeaux est de loin la pire niveau chaleur. Quand je suis arrivée dans le centre-ville pour la première fois, j’ai été assommé. La pierre au soleil ça te grille littéralement. Par contre, une fois à l’ombre, elle devient froide et c’est un bon moyen pour te rafraîchir. » 

Distribution d’eau et de sirop rue Sainte-Catherine Photo : AG/Rue89 Bordeaux

L’après-midi avance et les bénéficiaires défilent. Timothée et Paloma n’hésitent pas à laisser des packs entiers d’eau fraîche à ceux qui le demandent et invitent à réutiliser les bouteilles pour les remplir grâce aux fontaines en libre service. Environ 130 sont disposées un peu partout dans la ville de Bordeaux, toutes répertoriées sur le site de la mairie (de même que les toilettes publiques). Cependant, si elles restent « une bonne initiative car gratuites », Timothée relève des points négatifs : 

« D’abord, certaines ne fonctionnent pas bien. C’est un problème parce que les sans-abri ont besoin de boire tout le temps [étant exposés à la chaleur en extérieur] », avance le président de l’association. 

A la mairie de Bordeaux, on rétorque que si certaines sont dysfonctionnelles, « elles sont généralement signalées et réparées ». En attendant leur remise en état, après d’éventuels dégâts causés par le gel en hiver, des panneaux sont généralement installés pour indiquer aux utilisateurs le point d’eau le plus proche.

Des tensions en hausse l’été

Sur la tournée, l’ambiance est chaleureuse. Timothée et Paloma connaissent bien la plupart des bénéficiaires, qui ne manquent pas de les remercier. Une atmosphère sereine, de plus en plus perturbée lors des maraudes. Plusieurs associations rapportent une hausse des tensions liées aux températures élevées. 

« Les sans-abri sont plus agacés, énervés. Entre le manque de nourriture et la chaleur, ça peut vite dégénérer sur le terrain. Il y a deux semaines, une bénévole s’est faite frapper par un bénéficiaire parce qu’il n’y avait plus de soupe », déplore Cécilia Fonseca, présidente des Gratuits Gironde Solidarité. 

Aude Lafargue, infirmière et bénévole au Centre de secours et d’orientation de rue, associe également ces comportements violents à une hausse de la consommation d’alcool en été. 

« Pendant les fortes chaleurs, il n’y a pas assez de points d’eau et les sans-abri compensent avec la boisson alcoolisée. Cette majoration de leur alcoolisation favorise les règlements de compte. Pendant nos maraudes de soin, on remarque que les gens sont très tendus, ils ne se supportent pas », explique-t-elle. 

Douches fermées en plein été

La fermeture depuis deux mois des douches publiques, installées place des Quinconces, n’arrange rien à l’humeur ambiante. Lancé en 2021 par la ville de Bordeaux, ce dispositif appelé BubbleBox était destiné aux populations migrantes et aux personnes sans domicile fixe.

Les deux associations, Les Gratuits Gironde Solidarité et Les Gâteaux Solidaires, se répartissaient des créneaux horaires la semaine. Les Gâteaux solidaires ouvraient par exemple le lundi de 17h à 20h et le dimanche de 14h à 17h.

Mais depuis fin mai, les douches sont fermées et « des travaux devraient être réalisés pendant le mois de juillet », indique Cécilia Fonseca. En attendant, chacun ses solutions : 

« Les sans-abri au lac ont la chance d’avoir les douches de la plage qui fonctionnent, donc ils peuvent les utiliser. Sinon ils vont dans des structures comme La Case ou La Bagagerie. J’en ai aussi vu certains prendre un abonnement à la salle de sport et ils y vont quand ils veulent pour se doucher », décrit-elle. 

Des alternatives qui ne satisfont pas forcément tous les sans-abri habitués. Certains regrettent la BubbleBox. 

« J’y allais régulièrement et c’était juste à côté du lieu où je reste en journée. Maintenant je vais à La Case, mais ce n’est pas ouvert le week-end. Donc dans ces moments-là j’improvise. Ça m’est déjà arrivé d’aller acheter des packs d’eau Cristalline et de me doucher dans la rue par exemple », raconte Damien. 

Timothée et Paloma remplissent les gamelles des animaux avec de l’eau fraîche Photo : AG/Rue89 Bordeaux

Arrêt des douches

De son côté, Harmonie Lecerf-Meunier, adjointe au maire chargée de l’accès aux droits, des solidarités et des seniors, confirme la suspension des douches installées aux Quinconces : 

« Je comprends effectivement que ce soit problématique. Maintenant, la BubbleBox, ça ne va pas tout résoudre et en plus c’était une expérimentation. […] En hiver, ces douches n’étaient pas chauffées et c’était difficile pour les utilisateurs avec le froid. »

L’élue évoque d’autres difficultés : 

« Au début, on avait un accord tripartite avec La Croix-Rouge, La Ville et l’association BubbleBox. Le problème. Le partenariat avec La Croix-Rouge s’est arrêté en plein milieu de l’expérimentation, alors qu’elle était engagée financièrement dans le dispositif. »

La Croix-Rouge n’a pas répondu à nos nombreuses sollicitations pour réagir sur ce sujet.

Un « travail de restructuration » à plusieurs niveaux est donc en cours indique Harmonie Lecerf-Meunier. Il est d’abord nécessaire de trouver un nouveau partenaire capable de s’engager financièrement, puis de placer l’infrastructure « dans un lieu plus approprié », moins à la vue de tous et enfin, de « refaire des travaux de raccordement ». 

En attendant, la BubbleBox devrait rouvrir ses portes puisque l’association Les Gratuit-Gironde Solidarité, a annoncé sur les réseaux sociaux qu’elle reprendrait ses permanence « tous les mercredis d’août, de 18h à 20h30 ».

Le bilan des associations

La Ville n’a pu fournir des indications sur le bilan de cette expérimentation. L’association des Gâteaux solidaires dit avoir accueilli jusqu’à 15 personnes au plus haut de l’activité, généralement limitées à des douches de 20 minutes. Même constat pour les Gratuits Gironde Solidarité, qui estime le nombre d’utilisateurs de « 4 à 11 personnes » les mercredis.

Timothée des Gâteaux solidaires regrette un dispositif ayant « du potentiel », soulignant des horaires d’ouverture adaptés au mode de vie des utilisateurs :

« On constatait que les permanences marchaient plutôt bien le week-end et le soir, car comme les haltes ne sont ouvertes qu’en journée, c’était les seules douches disponibles. Ensuite, les permanences étaient relativement simples à mettre en place, car les douches étaient sur la voie publique. »

Il poursuit :

« Je pense qu’on aurait pu avoir plus d’utilisateurs s’il n’y avait pas eu autant de soucis. Régulièrement, les douches fermaient à cause d’un problème d’eau, d’électricité, une asso qui ne pouvait pas venir, etc. Les nombreuses incivilités ayant lieu aux alentours du box rendaient également le site bien moins attirant pour un espace dédié à l’hygiène. »

Le jeune bénévole évoque également la difficulté des permanences par temps de pluie ou de basses températures et regrette le manque d’algécos pour abriter les bénévoles comme les bénéficiaires.

« Elle avait limite une septicémie »

Aujourd’hui, Timothée et son association sont installés à la Halte de jour de Stalingrad où ils y tiennent des permanences douches les lundis de 17h à 20h et les samedis et dimanches de 14h à 17h. Une solution temporaire avec ses inconvénients : 

« On voit bien que tous les usagers des douches aux Quinconces n’ont pas suivi. Sur nos permanences à la halte, on a 5 personnes max qui viennent et parfois aucune. En plus, ils ne peuvent pas laver leurs chiens dans cet établissement, alors qu’aux Quinconces ils le pouvaient », explique-t-il. 

Et sans toilette quotidienne, les effets négatifs s’accumulent pour les sans-abri : inconfort, affectation du lien social, de la confiance en soi, auto-dénigrement, et même dégradation de la santé, la liste est longue. 

« Les personnes qui se sont blessées les mains ou les pieds ne peuvent pas se désinfecter par exemple. L’autre jour, on a même eu le cas d’une jeune fille qui s’était faite mordre lors d’une rixe et qui avait laissé la plaie s’infecter. Elle avait limite une septicémie. C’est pas étonnant quand on voit le contexte immonde dans lequel ils vivent. Beaucoup attrapent aussi des infections cutanées à cause de leurs animaux et des rats », explique Aude Lafargue, faisant référence au campement de Bordeaux-lac. 

Hygiène intime dégradée

L’infirmière souligne également le manque de dispositifs pour l’hygiène intime, là encore dégradée par la chaleur et l’absence de toilettes régulières : 

« Certains ont des rapports sexuels, des femmes ont leurs règles et des gens d’un certain âge commencent à devenir incontinents. Mais les protections hygiéniques comme les tampons, les serviettes ou les lingettes intimes coûtent cher. On essaie d’en distribuer dès que possible mais ce n’est pas fréquent. Et puis c’est compliqué de distribuer des tampons à ces femmes sachant les conditions dans lesquelles elles vivent. D’abord elles peuvent les oublier, puis il peut y avoir des problèmes d’hygiène et ensuite, ça peut créer des infections. »

Gaëlle Baldassari, consultante en psychologie du cycle menstruel et autrice des livres « Kiffe tes règles » et « Kiffe ton cycle », confirme ces risques et parle de « choc toxique ».

« Ce syndrome est lié à la prolifération d’un staphylocoque qui déclenche une septicémie. Ça reste rare, mais quand ça arrive cela peut être très grave, surtout concernant des populations qui ne sont pas suivies médicalement. Il y a des risques d’amputation et de mort. »

D’après la spécialiste, la chaleur et le manque d’hygiène sont également susceptibles de favoriser les « mycoses et les vaginoses » (infection du vagin), générées par « une macération » au niveau des sous-vêtements avec la transpiration. Par ailleurs, la douleur lors des règles, généralement favorisée par la déshydratation en été, peut également croître en cas de canicule.

« L’utérus est un muscle donc il a besoin d’être suffisamment hydraté pour fonctionner. Si les contractions pour évacuer le sang se font sur un muscle déshydraté, il va se mettre en tension et créer la douleur. Chez les femmes sans-abri, cela peut être accentué si elles n’ont pas suffisamment accès à l’eau par exemple. »

Assos au bout du rouleau

En plus de la réouverture rapide des douches, les associations demandent de nouvelles installations. Cécilia Fonseca avance qu’il faudrait « à peu près 2 douches pour 50 personnes », ce qui pour l’instant est loin d’être le cas. Plus généralement, la président d’association déplore le manque de dispositifs spécifiques pour les sans-abri en été. 

« C’est comme si ça n’existait pas. Il n’y a pas de lieux de mise à l’abri en cas de forte chaleur, pas de distribution d’eau fraiche prévue par les dispositifs d’État. En fait, ils attendent juste que la période passe en espérant qu’on colmate. Sauf qu’au mois d’août ça sera pire car beaucoup de lieux ferment et les bénévoles partent en congés », s’inquiète-t-elle. 

Harmonie Lecerf-Meunier annonce néanmoins que suite à amorce de travail sur la préparation des canicules, entamé par la municipalité, il sera prévu en cas de vigilance jaune (pic de chaleur à 35 °C la journée et 21 °C la nuit) que les locaux de la direction des sports (gymnases) soient mobilisés, afin que les personnes à la rue puissent prendre des douches. Le but est de relancer une « mutualisation des douches publiques », complexifiée par les règles sanitaires imposées par le Covid.

Dans une même optique, l’élue affirme que la Ville est prête « à ouvrir le CCAS aussi le week-end » pour permettre aux personnes à la rue de se doucher et de se mettre à l’abri.

En cas de vigilance orange (35 °C le jour et 21 °C la nuit pendant 3 jours d’affilée), des stocks de bouteilles seront également distribués. Un renforcement des médiateurs dans la rue, les campements et les bidonvilles est également prévu, afin d’aller à la rencontre des personnes et de les orienter vers des lieux de fraîcheur la journée (parcs, jardins, foyers, etc). 

La Banque alimentaire sur le pont

L’adjointe en charge de l’accès aux droits des solidarités et des séniors ajoute : 

« On a sollicité l’État pour savoir quel était leur plan face aux vagues de chaleur car on sait que ça sera pire dans les années qui viennent, mais on n’a pas de réponse structurée. Il y a aussi une baisse des structures en août avec de multiples fermetures, on en a conscience. On pense donc qu’il y a besoin d’un travail systémique face aux épisodes climatiques extrêmes qui vont se multiplier. » 

Afin de compenser l’absence de bénévoles au mois d’août, la Banque Alimentaire prend exceptionnellement le relais. L’été est la seule période de l’année pendant laquelle l’organisme effectue lui-même des distributions. Depuis le 17 juillet, elles sont effectuées à partir de 9 heures et toute la matinée, à Bègles Mussonville (mercredi), à Bordeaux Chantecler (mardi et vendredi) et à Pessac Orangerie de Cazalet (jeudi).

L’été dernier, 1061 familles, soit 12 260 personnes ont profité de ce service selon la Banque alimentaire de Gironde. L’organisme précise par ailleurs que les distributions sont réservées aux bénéficiaires munis d’une carte, qu’ils peuvent se procurer auprès des MDSI (Maison du département et des solidarités), des CCAS (Centre communal d’action sociale), ou de l’association dont ils sont membres.


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