Les deux spectacles étaient prévus au Glob Théâtre, dans le cadre du Festival international des arts de Bordeaux, bien avant ce funeste 7 octobre, jour de l’attaque du Hamas contre Israël suivi du terrible siège de la bande de Gaza par l’armée israélienne. Depuis, l’actualité donne à Loosing It et And Here I Am une nouvelle tournure inattendue, celle de la polémique et de la censure.
L’annonce de l’annulation du premier spectacle à Choisy-le-Roi, ainsi que l’annulation de sa tournée en Suède ont créé la stupeur et l’incompréhension. En témoigne le texte lu ce vendredi 13 octobre, par les organisateurs de la représentation bordelaise :
« Nous pensons qu’annuler l’accueil de ces spectacles serait une persécution de plus à l’encontre d’artistes déjà en péril. Nous pensons que le contexte actuel en réaffirme l’impérieuse nécessité. Faire entendre cette parole, c’est faire la place à d’autres voix que celles de l’extrémisme et de la violence. »
Bande à part
Sur le plateau de Loosing it, une slackline : une sangle de funambule coupe la scène en deux sur toute la diagonale. Une danseuse, Samaa Wakim, tente d’habiter ce décor minimaliste avec une gestuelle qui traduit aussitôt le territoire étriqué de son pays, sa bande de Gaza. Une « bande » aussi large qu’une sangle, aussi surchargée que la bande son de Samar Haddad King.
Samaa Wakim court dans le vide, bascule, chute, se relève, perd l’équilibre. Tout l’équilibre. Celui là même qu’il faut pour parcourir la slackline, traverser la frontière. Les sons mixés sont ceux de la rue, de la foule, des cris, de la circulation, des sifflement des obus, des bombardements assourdissants, des prières désabusées. Les sons d’un pays dense et oppressé par une frontière fermée de toutes parts.
« Ô Seigneur, ne nous laissez pas mourir par le feu, la noyade, ou l’égarement », prie en continu une femme en langue arabe. C’est la litanie de la grand-mère de la danseuse. La performance de Samaa Wakim et Samar Haddad King, de la compagnie Yaa Samar !, n’a que faire des frontières artistiques. Elle ne tient que pour franchir celles des bruits et des fureurs. C’est en cela que Loosing it est une forte leçon d’émotions.
Le théâtre d’une vie
Ahmed Tobasi a dit : « Le langage théâtral est une manière de rassembler des gens et leur permettre de discuter de questions importantes à travers l’art. » Il l’a dit bien avant le 7 octobre, mais depuis les annulations s’enchaînent dans sa tournée européenne. « En signe d’apaisement et de respect pour toutes les victimes » prétexte de son côté le maire de Choisy-le-Roi, cité par Scènes Web.
Le récit de And Here I Am, écrit par l’Irakien Hassan Abdulrazzak et mis en scène par l’Anglaise Zoe Lafferty, est pourtant d’une clarté évidente. Aucune place n’est possible au malentendu. Tout est dit, à la petite cuillère, dans la plus pure tradition du théâtre moyen-oriental narratif, épié par la censure, et qui ne s’autorise aucun écart ambigüe, ni sous-entendu douteux.
A toute berzingue, Ahmed Tobasi se raconte. Un film en accéléré, celui de toute une vie qu’on dit voir défiler à la dernière seconde avant la mort. Une enfance dans le camp de réfugiés de Jénine et une adolescence toute tracée, embarquée dans la résistance palestinienne, sur fond d’un amour aussi loufoque qu’impossible. Quatre ans de captivité dans les geôles israéliennes et c’est le théâtre qui l’accueille à la sortie : Freedom Theatre de Jénine, cible des bombardements israéliens en juillet 2023… Et la boucle est bouclée.
Témoignages
L’un après l’autre, le temps d’une soirée, Loosing It et And Here I Am, se suivent en urgence. Au rythme effréné d’un temps de parole de ceux qui l’ont rarement. Les deux spectacles n’ont d’autre prétention que celle d’un témoignage sincère et authentique. Au point que les artistes se laissent surprendre par les applaudissements nourris, et se trouvent émus, les lèvres serrées, au bord des larmes.
A Bordeaux, après l’interdiction de manifestations de soutien au peuple palestinien, cette soirée du vendredi était particulièrement attendue et nombreux sont ceux qui étaient présents pour la dimension politique de l’événement. Loin des slogans et des banderoles, l’ambiance était à la convivialité avec, atour des deux spectacles, une restauration assurée par la Miam (Maison Interculturelle de l’alimentation et des mangeurs).
Pour réparer les dégâts du Freedom Theatre, causés par une attaque de l’armée israélienne en juillet 2023, son directeur, Mustafa Sheta, lance un appel à soutien financier : Lien HelloAsso.
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