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Avec « La Rivière », prix Jean-Vigo, Dominique Marchais mise sur la beauté pour prévenir le désastre

Le Bordelais a été distingué pour son quatrième long métrage, « La Rivière ». Dans le cadre du Fifib (festival international du film indépendant de Bordeaux), le film sera projeté au Cinéma l’Utopia ce dimanche 22 octobre, un mois avant sa sortie nationale.

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Avec « La Rivière », prix Jean-Vigo, Dominique Marchais mise sur la beauté pour prévenir le désastre

Autrefois, Patrick Nuques mettait les mains dans l’eau de la rivière et se faisait pincer les doigts par des écrevisses à pattes blanches. Aujourd’hui ce n’est plus possible : l’espèce a disparu, tant son habitat dans le gave d’Oloron, une rivière qui coule entre les Pyrénées et l’Atlantique, a été modifié par l’activité humaine et la pollution.

« Je ne peux plus emmener mon fils là où mon père m’a emmené », regrette cet ancien garde-pêche, aujourd’hui l’un des directeurs du Parc National des Pyrénées, qui évoque une « désolation » aux abords appauvris de la rivière par les nombreux barrages. « Tout s’est dégradé en une génération. »

« On ne se rend pas compte de l’impact que ça va avoir sur la pauvreté de notre existence parce que, au quotidien, la biodiversité nous rend heureux », abonde Florence Habets, chercheuse au CNRS.

Cette hydrogéologue et climatologue qualifie de « drame » l’effondrement de la biodiversité « qui risque d’aller plus vite que le dérèglement climatique ».

Le « drame » de la biodiversité

Les personnages, comme les paysages, se succèdent dans le film de Dominique Marchais, La Rivière. Scientifiques, chercheurs, associatifs et étudiants dressent tous un constat sans concession, preuves à l’appui : les glaciers pyrénéens ont quasiment disparu en 50 ans, des papillons manquent à l’appel depuis plus de 25 ans…

Et aussi, cette passionnante technique d’étude de l’otolithe, petite pierre contenue dans l’oreille d’un saumon de l’Adour, et permettant de préciser son origine natale et d’analyser son parcours migratoire. Elle démontre que le poisson peine à assurer sa survie et à s’adapter aux contraintes humaines, avec en premier la pêche.

Les associatifs se disent tiraillés face à des politiques à qui « il ne faut pas faire confiance », selon Philippe Garcia, président de l’association Défense des Milieux Aquatiques. Ils « injectent de l’argent dans l’environnement sauf qu’on ne le ressent pas » s’agace Manon Delbeck, garde-pêche et membre de l’Association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques.

« Refuser une partie de notre confort »

Cette dernière se console en « nettoyant les embâcles [cours d’eau encombrés par des matériaux apportés par le courant, NDLR] et en voyant revenir les truites pour se reproduire » :

« On se dit finalement que ça sert à quelque chose ce qu’on fait à notre échelle. »

Des étudiants en Sciences de l’environnement, oscillent entre dépit et motivation. « Quand je vois comment on écoute le rapport du Giec, j’ai l’impression que je vais faire des recherches et qu’on ne va pas m’écouter », se désespère une étudiante. Une autre se dit « un peu démunie » avec « l’impression que ça ne peut pas changer » :

« Il faut refuser une partie de notre confort. On est obligé d’en arriver là… il faut changer tout le modèle de la société actuelle. »

Dominique Marchais Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Beauté et désastre

Dominique Marchais, cinéaste installé à Bordeaux depuis quatre ans, signe avec La Rivière son quatrième documentaire – après Le Temps des grâces (2010), La Ligne de partage des eaux (2014) et Nul homme n’est une île (2017) – où se mêlent magnifiques images de paysages et grandes interrogations sur le devenir des milieux sous influence humaine :

« La porte d’entrée est la beauté pour dire ce qu’on est en train d’en faire. La stratégie de ce film est de donner à voir une intrication de beauté et de désastre. Il faut sortir de cette posture démiurgique de vouloir montrer ce qu’on a perdu. En prenant le parti pris de la beauté, le but est de faire sentir l’urgence, montrer ce qui est encore là pour agir. »

« Hanté par la question du point de référence – parce que sans cela, sans inventaire, on ne sait pas ce qu’on perd », Dominique Marchais réfute tout militantisme dans le choix des sujets de ses films. Il revendique la volonté de « poser au mieux le problème » :

« Je construis le film avec les personnes qui y interviennent. Le travail se présente comme un cheminement, je ne sais pas où il va m’emmener en terme de problématique. J’assume la dimension pédagogique, pas didactique. Je donne des éléments de compréhension et je laisse le spectateur très libre. »

Prix Jean-Vigo

Ancien critique cinéma, passé par Les Inrockuptibles, Dominique Marchais vient de se voir décerner le prix Jean-Vigo 2023 pour La Rivière ; un prix qui distingue « l’indépendance d’esprit, la qualité et l’originalité des cinéastes ».

« Il me semble que c’est la première fois que ce prix est attribué à une œuvre documentaire, commente Dominique Marchais. J’ai toujours voulu que mes documentaires soient considérés comme des films, qu’ils soient programmés dans des festivals de film. »

La Rivière est au programme du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux (FIFIB) ce dimanche 22 octobre au cinéma L’Utopia, pour clôturer une rétrospective des quatre documentaires du cinéaste bordelais. La sortie française est prévue pour le 22 novembre.


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