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« L’ombre des Lumières », l’éblouissant coup du maître de jeu Ayroles

Réalisé par les bordelais Richard Guérineau et Alain Ayroles, au scénario, le premier tome de « L’ombre des Lumières » est paru chez Delcourt. L’auteur des « Indes fourbes », succès public et critique, signe une nouvelle aventure palpitante et érudite, entre « Les liaisons dangereuses » et « Le dernier des Mohicans ». Suite et fin de notre série d’idées cadeaux, « un bouquin du coin sous le sapin ».

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« L’ombre des Lumières », l’éblouissant coup du maître de jeu Ayroles
L’Ombre des Lumières, tome 1 : L’Ennemi du genre humain (Éditions Delcourt)

Alain Ayroles est joueur. Vous avez aimé le twist final des Indes fourbes ? Vous adorerez l’entrée en matière de L’ombre des Lumières, la nouvelle BD du scénariste bordelais. Car L’ennemi du genre humain, titre du premier tome de cette trilogie, balade littéralement le lecteur entre différentes périodes et points de vues sur le récit, relaté par des lettres que s’échangent ses personnages.

Relation épistolaire

Après une préface évoquant la découverte d’un complot royaliste orchestré pendant la Révolution par un « aristocrate dépravé, le ci-devant chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur », l’intrigue s’ouvre sur la cour entreprise 50 ans plus tôt par ce dernier à Eunice de Clairefont, jeune femme savante et mariée, davantage attirée par le baron de la Tournerie.

Les jeux de séduction et l’ambition démesurée de son anti-héros – « une sorte de Valmont, avec une pointe de Sade et de Casanova, un archétype du libertin manipulateur du XVIIIe siècle », selon Alain Ayroles -, s’avèreront destructeurs, comme dans les Liaisons dangereuses. Le scénariste bordelais s’inspire ouvertement du chef d’œuvre de Choderlos de Laclos, notamment pour son style épistolaire, rarement vu en BD.

« Cela fait partie des défis formels que je m’amuse à me donner à chaque nouveau livre, ça me stimule, confie-t-il. Sur Les Indes fourbes c’était la construction à tiroirs et l’intrigue à rebondissements, pour Les Chimères de Vénus, le découpage graphique. Fonder L’ombre des Lumières sur cette correspondance m’a aidé à débloquer ce vieux projet, que j’ai depuis 20 ans mais que je n’arrivais pas à mettre en forme. »

Raconter des histoires

Né en 1968 dans le Lot, Alain Ayroles s’est forgé son talent de conteur à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême.

« On s’était trouvé une passion commune pour le jeu de rôle et cela a été très formateur, en naviguant dans plusieurs univers, de la fantasy au cape et épée. J’aimais bien raconter des histoires et quand je me retrouvais maître de jeu, je pouvais les tester en live, essuyer des bides cuisants et voir quand ça frémissait. Garulfo et De cape et de crocs sont nées sur ce terreau. »

Si Alain Ayroles pensait au départ pouvoir dessiner ses histoires, c’est finalement avec ses complices Bruno Maïorana et Jean-Luc Masbou, rencontrés à Angoulême, qu’il a réalisé ces premières BD. Pour L’ombre des Lumières, Richard Guérineau, le créateur bordelais du Chant des Stryges, partage l’affiche avec le scénariste.

Lorsqu’on le rencontre au Café des Arts, cours Victor-Hugo, où l’auteur a l’habitude de retrouver ses collègues dessinateurs, il attend justement le dessinateur pour parler de la couverture du tome deux, prévu pour septembre 2024.

« J’ai allumé l’étincelle d’intérêt dans son œil en lui parlant d’une histoire entre Les Liaisons dangereuses et Le Dernier des Mohicans, sourit Alain Ayroles. Une collision entre deux univers a priori éloignés mais proches historiquement. C’est un contraste très savoureux et plaisant à mettre en scène. »

Enjeux contemporains

La bande dessinée rebondit ainsi des intrigues de salons à une course poursuite dans la forêt canadienne, en passant par d’émoustillantes scènes de sexe. Le tout servi par des dialogues châtiés comme il se doit pour l’époque, de l’humour, et une grande précision documentaire.

« Je suis passionné d’Histoire, et j’essaie de comprendre la période sur laquelle je travaille à travers des essais et des productions littéraire de l’époque, explique Alain Ayroles. D’une part cela va contribuer à la crédibilité du récit et aider le lecteur à rentrer dedans. D’autre part, la situer dans une période historique donnée et de pouvoir la découvrir, c’est exotique, c’est une façon de m’évader et une évasion que je propose au lecteur. »

Pour les besoins des Chimères de Vénus, le scénariste a par exemple embarqué sa petite famille – il est père de deux enfants – au musée du scaphandre à Espalion, afin de se documenter sur les premiers équipements inventés au XIXe siècle par un Aveyronnais.

De 20000 lieues sous les mers de Jules Verne, Alain Ayroles est passé à Lahontan, dont la reproduction des pensées du chef indien Huron Kandiaronk contre la religion et les inégalités en Europe, a fortement influencé les philosophes des Lumières. À commencer par Rousseau, qu’on croisera bientôt dans le tome 2. Bref, en plus de le divertir, le scénariste essaie de faire réfléchir ses lecteurs.

« Le recul qu’offre l’Histoire permet de parler d’enjeux contemporains. Aux Temps modernes, la société était très inégalitaire et on voit qu’aujourd’hui les écarts ont plutôt tendance à s’accroitre. De même, on assiste à un retour de l’obscurantisme, alors qu’on croyait acquises depuis le XVIIIe les victoires de la science et raison. »

Son prochain projet, La terre verte, évoquera, lui, la colonie Viking au Groenland, à la fin du Moyen-Âge. « Un sujet abordé par Jared Diamond dans Effondrement, et qui montre l’incapacité d’une société à la destruction de son environnement », poursuit l’auteur.

« Grands noms de la BD »

Ce mix de culture et de divertissement place dans le Bordelais « dans les pas de grands noms de la BD comme René Goscinny ou Jean Van Hamme », estimait à l’AFP Jean-Philippe Lefèvre, ancien présentateur de l’émission Un monde de bulles sur la chaîne Public Sénat.

« Il fait vraiment partie des dix scénaristes qui ont cette capacité à parler au grand public en le respectant », selon ce spécialiste cité dans un portrait récent d’Alain Ayroles.

Parmi ses références, le Bordelais cite Roger Lécureux (Rahan), Greg (Achille Talon), Alan Moore (V pour Vendetta) et bien sûr Goscinny, qui « arriver à placer des gags sans oublier de raconter une véritable histoire ».

Alain Ayroles commence en effet à jouer dans la cour des très grands. Après les 250000 exemplaires vendus des Indes fourbes, un phénomène dans le monde de la BD, L’ennemi du genre humain a été tiré à 100000 exemplaires. Mais le scénariste, qui a cofondé en 2007 un groupement des auteurs de BD au sein du Syndicat national des auteurs et compositeurs (Snac), garde la tête sur les épaules :

« J’ai été le premier surpris par le succès des Indes fourbes, dû aussi au dessin somptueux et très attractif de Juanjo Guarnido. Cela met la pression pour la suite mais me donne aussi un grand luxe : du temps pour travailler, car je ne suis pas un scénariste rapide, je refais systématiquement mes storyboards. Je ne suis donc pas très prolifique, mais je peux quand même vivre de mon art, quand des collègues doivent produire vite pour s’en sortir et s’épuisent. »

Le maître de jeu sera en tous cas très attendu au tournant de sa trilogie.


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