« Ce n’est pas facile d’apprendre ça pendant la maraude de Noël, ça nous a fait un choc », rapporte Estelle Morizot, fondatrice de l’association bordelaise La Maraude du cœur. Une sans-abri a été retrouvée sans vie dans la nuit du 23 au 24 décembre 2023, sur le parking du Lidl de Bacalan, à Bordeaux. Venue de Pologne il y a une dizaine d’années, elle s’appelait Justyna Koral et était née le 13 mars 1986.
« Je l’avais rencontrée au tout début quand elle est arrivée à Bordeaux. Je lui ai donné des cours d’éducation canine au CEID (centre d’étude et d’information sur les drogues). Depuis deux ans, on la voyait moins mais on avait des nouvelles par les autres maraudes », témoigne Estelle Morizot.
La spirale des addictions
Comme souvent dans le milieu de la rue, « on se fréquente sans trop se connaître » rapporte une sans-abri qui a croisé le chemin de Justyna Koral. Elle poursuit :
« Elle vivait seule depuis un certain temps sous une tente avec son chien derrière Décathlon Lac. Elle avait des problèmes d’addictions à la drogue et à l’alcool, mais tentait régulièrement de s’en sortir. Apparemment, sans jamais réussir. »
« Un cocktail de médicaments et d’alcool » est probablement à l’origine de son décès, selon un militant associatif qui intervient auprès des sans-abri. Estelle Morizot ajoute :
« Elle avait de gros problèmes de santé et, comme le dit une amie à elle, “elle a tellement souffert que [avec sa mort] elle ne souffre plus”. »
De nombreux témoignages affirment par ailleurs que Justyna Koral se rendait régulièrement à la cathédrale Saint-André à Pey-Berland ou à l’église Notre-Dame. « Mais elle n’en parlait pas trop » dit l’un. « Elle était peut-être croyante » dit l’autre. « Je crois qu’elle aidait à la paroisse » ajoute un troisième.
Retrouver une famille
« Elle avait un rapport de confiance avec tout le monde ici, précise Jean-Clément Guez, recteur de la cathédrale Saint-André. Elle faisait partie de la communauté, pas forcément par foi, mais pour les liens qu’elle avait avec chacun. Elle voulait faire partie du groupe, et elle a essayé d’arrêter la drogue et l’alcool à plusieurs reprises. »
Selon Père Jean-Clément Guez, « Justyna a suivi son compagnon Thomas à Bordeaux qui fuyait une peine de prison en Pologne ». Celui-ci, condamné pour des violences sur l’espace public, a été incarcéré à Bordeaux.
« Elle a laissé derrière elle un adolescent de 14 ans, confié à sa grand-mère, poursuit le recteur. On s’était mobilisé pour lui payer un billet car elle avait le désir de le retrouver, lui et sa famille, quand Thomas est allé en prison à Bordeaux. On ne sait pas si elle l’a fait. »
Les témoignages de ceux qui l’ont croisée évoquent sa « détresse depuis qu’elle s’est retrouvée seule » sans son compagnon. « Elle dormait avec Droomla [son chien] mais ne se sentait pas en sécurité. »
Un office en sa mémoire
À l’église Notre-Dame, le curé de la paroisse, Jean-Laurent Martin, attendait encore la confirmation par les services de police de l’identité administrative de la personne – Justyna Koral ne portait pas de papiers et, contactée par mail, la police n’a pas encore répondu à nos questions. Le prêtre annonce toutefois sa volonté d’organiser un office en sa mémoire.
« Elle venait faire la manche devant la porte mais elle avait une relation avec tous les paroissiens et faisait partie de notre famille. »
De son côté la Préfecture signale qu’elle « n’était pas connue du service Immigration Intégration » et rappelle que « la Pologne faisant partie de l’Union Européenne, leurs ressortissants ne sont pas obligés d’avoir un titre de séjour ». Les services précisent toutefois :
« La personne décédée avait été hébergée en 2018 à la Halte de Nuit. Depuis 2018, elle n’a pas rappelé le 115. Elle était suivie par une structure spécialisée en santé. »
Justyna Koral est la deuxième femme sans-abri décédée à Bordeaux en ce dernier trimestre de 2023. La première, retrouvée sans vie impasse Caillabet le 30 novembre, n’a toujours pas été formellement identifiée. Selon nos calculs (notamment sur la base des chiffres du Collectif Les morts de la rue arrêtés au mois d’août), la Gironde a connu l’année passée onze décès, dont huit à Bordeaux.
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