Ce dernier opus d’Alain-Julien Rudefoucauld n’est pas le moins étrange de ceux qu’il a écrits. Il nous a habitués, tant au théâtre que dans ses romans, à bousculer les codes pour mieux affronter les défis de notre temps.
Dans la Colonie migratoire, il décrit un monde concentrationnaire qui en rappelle d’autres, sauf que l’existence des prisonniers dont on ignore d’où ils viennent ni qui ils sont exactement y est soumise à des règles qui échappent à toute logique sous la férule implacable des Surveillants, eux-mêmes soumis à des Sentinelles qui obéissent aux Capitaines – jeu de piste cruel pour parvenir à se nourrir, soumission aux désirs et aux caprices de leurs tortionnaires. De toute manière, ils sont voués à la mort et ils sont continûment remplacés par de nouveaux arrivants.
Le camp semble n’offrir aucune possibilité de s’échapper, les limites en sont protégées par des rayons mystérieux qui viennent de l’extérieur et qui pulvérisent ceux qui s’en approchent imprudemment. Au- dehors règnent, on s’en doute, les Autres qui sont les grands organisateurs de cet ordre arbitraire ou de ce désordre, pourrait-on tout aussi bien dire.
Guère d’issue possible
Dans ce camp, un héros, Eisenover, puisqu’il en faut bien un, tente de s’enfuir – ce n’est pas simple pour lui ni pour le lecteur qui s’efforce de le suivre. Le monde dans lequel il parvient échappe à tout ce que nous pouvons connaître, les êtres qui le peuplent n’ont rien d’humain que ce soit la Maîtresse aux pouvoirs multiples ou ses esclaves comme Gardenoir, masse géante et informe.
Mais, Eisenover, sa femme Eisenlove et ses enfants, l’abominable Eisenjunior et sa sœur sont-ils plus humains que les Autres ? Il leur est poussé, d’une partie à l’autre du livre, plumes et duvets qui en font de bien étranges créatures qui ne nous avaient semblé pour un temps familières que parce qu’elles portaient un patronyme yankee.
Ce qui leur adviendra n’est guère réjouissant. On laissera le lecteur le découvrir. Il n’y a guère d’issue possible, là comme ici.
L’écriture de Rudefoucauld ne s’encombre pas de fioritures, il faut qu’elle soit crûment efficace pour décrire l’innommable ; ce n’est pas le lieu où la poésie pourrait encore trouver place. Le seul sentiment encore humain est l’amour entre Eisenover et Eisenlove, mais sur quoi peut-il bien déboucher ? Pas la moindre trace d’espoir, en tout cas, mais la mort pour le plus grand plaisir des Autres.
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