Après Requiem de Mozart, l’Opéra de Bordeaux signe une production « Zéro achat » avec La Bohème de Puccini, mise en scène par Emmanuelle Bastet. Ce deuxième exercice du genre est cependant bien plus ambitieux : le quatrième opéra du compositeur italien se déroule sur quatre tableaux.
« 90 costumes et chaussures, plus les accessoires et les décors, le coût aurait été de 115 000 € s’il fallait tout acheter, détaille Emmanuel Hondré, le directeur de l’Opéra de Bordeaux. Il y a tout de même des éléments de sécurité obligatoires comme la quincaillerie et la peinture, ce qui vaut 10 000 €. […] La masse salariale est, quant à elle, à peu près identique. Le zéro achat est moins cher mais plus long en fabrication parce qu’on défait et refait. On a échelonné ce travail sans que ça représente un coût. »
Des économies qui s’élèvent in fine à 105 000 €, sur un budget total que la direction de l’Opéra n’a pas précisé.
Cohérence avec l’œuvre
Le choix du sujet n’est pas anodin pour un tel cahier des charges.
« Dans le Requiem de Mozart, il y avait la question d’une seconde vie. Ici, il est question d’un milieu précaire chez les personnages de La Bohème. […] Le style de l’épure ne doit pas pour autant être systématisé, on peut aussi répondre à des décors assez fastueux », poursuit Emmanuel Hondré.
« La proposition de mettre en scène La Bohème avec la contrainte du zéro achat nous a semblé d’une cohérence totale au regard du sujet même de l’œuvre et a immédiatement fait sens », abonde Emmanuelle Bastet. L’opéra de Puccini, d’après le roman d’Henri Murger, Scènes de la vie de bohème, et son adaptation théâtrale La Vie de bohème, évoque le Paris des années 1830 et la jeunesse trépidante de ses artistes et intellectuels, ainsi que la fragilité d’un milieu ouvrier frappé par une incurable tuberculose.
« Mais la limite de l’exercice aurait été l’accumulation sur le plateau d’éléments de récupération, un amoncellement d’objets hétéroclites, un foisonnement scénographique. Nous avons fait le choix au contraire du minimalisme et de l’épure. Evoquer la pauvreté, traduire le manque par la crudité du vide : une chaise cassée, quelques livres éparpillés, un frigo désespérément fermé. Un monde du dénuement donc, mais sans misérabilisme car traversé sans cesse par des envolées poétiques », écrit Emmanuelle Bastet.
« Un projet tel qu’on le voulait »
Ainsi il a fallu « une douzaine de productions lyriques réformées pour nourrir La Bohème, soit en décor, soit en accessoires ». Les plaques du plancher des Contes d’Hoffmann et de Mârouf, savetier du Caire ont servi au sol. Les chariots de La Périchole et des Dialogues des Carmélites ont permis de construire un bar. Et des costumes de Casse-Noisette.
« Ce qui est intéressant à souligner, c’est qu’on n’a pas voulu faire une visite des stocks et prendre ce qu’on veut pour adapter la mise en scène, explique Emmanuelle Bastet. On a vraiment imaginé un projet avec Tim Northam, le scénographe, tel qu’on le voulait. C’est ensuite les équipes du bureau d’étude qui ont fait des choix parmi les éléments à récupérer et retravailler. »
Minimaliste et légère pour l’évocation de la mansarde où vivent les quatre artistes (premier acte), colorée et festive pour l’ambiance populaire chez Momus (deuxième acte), terrible et froide pour révéler le secret d’une maladie (troisième acte), et enfin triste et grave face à la mort de Mimi (quatrième acte), la mise en scène manie le zéro achat avec subtilité laissant souvent la lumière de François Thouret mettre les ultimes retouches.
Dans ce décor où Paris est le symbole d’une culture en ébullition, d’un art de vivre libre et insouciant, et d’une réalité ouvrière, le réemploi contribue à rendre l’atmosphère étrangement nostalgique et familière.
Poésie et fougue
Bien plus qu’un simple décor pittoresque, La Bohème d’Emmanuelle Bastet restitue toute la poésie d’un amour impossible entre Rodolphe et Mimi, ainsi que la futilité d’une vie nocturne parisienne. Si le ténor mexicain Arturo Chacón-Cruz flotte parfois dans son costume de Rodolfo, l’émouvante soprano arménienne Juliana Grigoryan donne à Mimi de quoi faire fondre le cœur du public.
Autour des deux amoureux, Thomas Dolié en Marcello, Timothée Varon en Schaunard, et Goderdzi Janelidze en Colline incarnent leurs rôles avec juste ce qu’il faut de sens de la fête et de l’amitié. Et que dire de la Soprano Francesca Pia Vitale dont la fraîcheur apporte à l’excentricité de Musetta une fougue étincelante.
Dans la fosse, Roberto González-Monjas mène à la baguette un Orchestre national de Bordeaux Aquitaine très bien inspiré, particulièrement en phase avec le Chœur de l’opéra au café Momus et les joyeux enfants de la Jeune Académie vocale d’Aquitaine.
Zéro achat est de retour pour la saison prochaine avec une œuvre qui sera annoncée ce mois de juin et coproduite avec le Théâtre National de l’Opéra-Comique et l’Opéra de Limoges.
Jusqu’au 28 avril. Plus d’infos sur le site de l’Opéra de Bordeaux.
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