« Massacre », « génocide », « épuration ethnique »… les mots chocs ne sont plus retenus pour qualifier l’interminable riposte d’Israël à l’attaque du Hamas le 7 octobre et sa prise d’otages de 250 Israéliens. Après plus de 200 jours de frappes et de combats acharnés au sol qui ont laissé une grande partie de la bande de Gaza en ruines, des voix s’élèvent ailleurs qu’au sein des milieux et associations habituellement pro-palestiniens.
Alors qu’une offensive terrestre se prépare contre Rafah, à la frontière avec l’Egypte, où s’entassent 1,4 million de personnes sur les 2,3 millions de Gazaouis, de nombreuses mobilisations de protestations s’annoncent en France. A l’instar des universités américaines, Sciences Po Poitiers et Paris sont occupées depuis jeudi 25 avril. Bordeaux se prépare à une action menée par le tout jeune collectif Sciences Palestine.
Stopper le partenariat avec Ben Gourion
Sciences Palestine « s’est formé progressivement après le début de l’opération de massacre menée par Israël sur la bande de Gaza » explique l’étudiant. Les premières réunions se sont tenues en octobre et une assemblée générale a officialisé ses actions, notamment pour récolter des fonds, reversés à l’association France-Palestine Solidarité.
Après un groupe Messenger, un groupe WhatsApp a pris le relais et réunit aujourd’hui 125 étudiants « avec une majorité de Sciences Po mais aussi ouvert à d’autres ». Le 22 janvier, Sciences Palestine a lancé une pétition dans laquelle il est demandé à Sciences Po Bordeaux de mettre fin à un partenariat avec l’université israélienne de Ben Gourion du Neguev en place depuis 2007.
« Loin d’être isolée de la politique d’apartheid et raciste de l’État d’Israël envers le peuple Palestinien, cette université entretient des liens organiques avec l’armée israélienne à travers notamment des bourses réservées aux étudiants faisant leur service militaire, aux réservistes. »
« Plusieurs centaines de signatures » auraient été déjà récoltées, « sachant que nous sommes 1200 à l’IEP » précise Gwen.
« C’est une pétition pour les étudiants dans laquelle ils doivent renseigner quelques champs, comme le numéro étudiant, l’année universitaire… pour prouver qu’ils sont de Sciences Po. Il y aussi une pétition ouverte qui a elle aussi quelques centaines de signatures. Les deux seront présentées au conseil d’administration de juin et permettront à l’administration de reconnaître à la fois le soutien extérieur et à la fois celui des étudiants. »
« Educide, éducaricide, scholasticide »
Un autre mouvement national a également trouvé l’adhésion de militantes et militants bordelais : L’Education avec Gaza. Suite à un appel du General Union of Palestinian Teachers, syndicat palestinien d’enseignants, pour venir en aide au système éducation local « dévasté et ciblé », des enseignants français ont répondu.
Emilie, professeur de lettres classiques sur la métropole bordelaise et membre de l’association Education avec Gaza 33, dénonce « une destruction méthodique et délibérée d’un système éducatif ». Avec une trentaine de membres, « des enseignants de lycées et de collèges », ils organisent des rencontres pour « informer [face] à un déficit d’information et notamment sur le droit à l’éducation complètement bafoué à l’heure actuelle à Gaza ».
« Plus de 600 000 enfants sont privés du droit à l’éducation depuis le 7 octobre. Il y a une volonté délibérée de détruire ce système éducatif par la mort d’élèves, d’étudiants, d’enseignants. […] Fin mars, un rapport de l’ONU indique que 80% des écoles de Gaza ont été touchées par des bombardements et 212 d’entre elles ont été directement visées. »
Dans un texte diffusé par l’association, on peut lire :
« La Société Britannique d’Etudes du Moyen-Orient parle d’éducide, le rapporteur spécial des Nations-Unies, Balakrishnan Rajagopal, parle d’éducaricide, un collectif enseignant qui regroupe des antennes britannique, canadienne, sud-africaine parle de scholasticide : éducide, éducaricide, scholasticide, tous ces termes désignent la volonté délibérée d’anéantir le système éducatif palestinien. »
« Eradiquer l’histoire, éradiquer le savoir »
« Plus de 200 sites culturels et historiques ont été partiellement ou totalement détruits. Il s’agit de mosquées, comme celle d’Al-Omari, construite au VIIe siècle, il s’agit d’églises, comme l’église byzantine de Jabaliya, il s’agit de monastères, il s’agit de palais, il s’agit de bains ottomans, il s’agit de musées… On pourrait ajouter à cette longue liste la destruction des bibliothèques… », poursuit le texte.
Lors d’une rencontre à la Halle des Douves qui s’est tenue le 5 avril, Emilie dénonçait la destruction de « 4000 d’histoire mondiale » :
« On se souvient des réactions après la destruction du site de Palmyre en Syrie par Daech. Pour Gaza, règne un silence total ! […] Eradiquer l’histoire, éradiquer le savoir, éradiquer la culture, éradiquer l’identité palestinienne, ça nous semble témoigner d’une projet génocidaire », conclut-elle.
En attendant un cessez-le-feu, Education avec Gaza 33 publie et affiche « les portraits des enseignants qui ont perdu la vie ». S’ils appellent au boycott des produits HP (Hewlett-Packard) dans les établissements scolaires, les enseignants ont choisi de ne pas évoquer cette guerre dans le cadre de leurs cours :
« On ne s’est pas positionnés sur cet aspect-là. Nos collègues irlandais l’ont fait avec le lancement d’une action : Let’s Talk About Palestine. Après, il y a des collègues qui, nécessairement, parlent du conflit israélo-palestinien, puisque cela fait partie des programmes d’histoire… »
Education avec Gaza se projette sur l’après à travers « plusieurs domaines dans lesquels il pourrait être nécessaire d’intervenir, comme la reconstruction ». En attendant, ses enseignants prévoient ce samedi 4 mai, un rassemblement devant le rectorat de Bordeaux où une installation de sensibilisation est prévue, signée par Lynda et Mirna.
Des chaussures, des peluches et des cœurs
Lynda et Mirna ont à plusieurs reprises marqué les esprits avec des installations visuelles. Samedi 17 février, elles sont intervenues sur le miroir d’eau vers 10 h. Sans aucune annonce ni introduction, elles ont posé 400 paires de chaussures d’enfants sur les jonctions des dalles noires du miroir d’eau, à sec pour la saison.
« Des passants, pour certains des touristes, ont vite compris l’esprit et nous ont proposé de nous aider, raconte Lynda. Ils l’ont fait, nous avons discuté, nous avons expliqué et échangé autour de ce qui se passe. L’ambiance était pacifique et joyeuse. Des enfants avaient la possibilité de faire des dessins avec des feuilles et des crayons de couleur. En fin de journée, vers 19h, nous avons tout rangé et nous sommes reparties. »
Lynda a une cinquantaine d’années, Mirna, la trentaine. Elles se sont rencontrées lors d’une manifestation en soutien au peuple palestinien. Après le 7 octobre, « on a réfléchi à comment sensibiliser à ce drame autrement ». Inspirées par des actions vues sur les réseaux sociaux, « en Irlande et dans d’autres pays », elles ont choisi ces mises en scène « accompagnées de rencontre et de dialogue ».
Une deuxième action a consisté à disposer des peluches, toujours sur le miroir d’eau, le samedi 30 mars. Le 20 avril place Gambetta à Bordeaux, « on a piqué un millier de cœurs aux couleurs de la Palestine ». Les deux citoyennes bordelaises affirment ne dépendre d’aucun parti politique, ni même d’une association.
« On finance avec nos moyens, poursuit Lynda. On ne tient pas une comptabilité mais chaque action peut revenir à une centaine d’euros. On a acheté les chaussures sur le Bon coin, chez Emmaüs, et certaines sur Geeve, ou récupérées des amis et de la famille. On paye les copies, les scotchs, les ballons… »
Un cessez-le-feu pour libérer les otages israéliens
Loin des manifestations et des cortèges que les associations pro-palestiniennes mettent en place chaque week-end, ces nouvelles formes de sensibilisation, que ce soit une action visuelle ou une rencontre thématique, prennent de l’ampleur et misent surtout sur le débat.
« Depuis la Palestine, tous les mouvements sont vus. Même si vous avez quatre personnes qui lèvent un drapeau palestinien, ils sont au courant et ils sont touchés, a justifié le chirurgien Christophe Oberlin, de retour de Gaza, lors d’une conférence le 22 avril à l’Athénée municipal à Bordeaux. Le soutien est extrêmement important, et les réseaux sociaux le rendent possible. Ils savent maintenant que le monde entier les regarde. La bataille se déroule ici. »
Et même si les actions de Lynda et Mirna ne font pas le buzz sur les réseaux sociaux, même si « on ne porte pas de keffieh (écharpe palestinienne) », les deux citoyennes veulent « informer » :
« On a un panneau sur les victimes, surtout les enfants. On fait ça et on se met en retrait. Les gens sont très touchés. Il y a des larmes et ça éveille beaucoup d’émotions. On rencontre des personnes intéressantes. Les gens viennent, disent merci, et nous embrassent. »
Des mobilisations qui ne font pas de mécontents ? « Une fois » reconnaît Lynda, « une personne nous a reproché de ne pas parler des otages israéliens ».
« Libérer les otages, oui, mais en réalité, il n’y a que par un cessez-le-feu qu’on va y arriver », estime Gwen, qui se dit « étonné » du bon accueil de ces initiatives à Sciences-Po Bordeaux. « Demander la libération des otages en faisant la guerre, ça n’aboutira pas. Je rappelle qu’Israël en a tué trois lors d’une opération militaire à Gaza. »
A noter que la semaine dernière, le collectif Collages féministes Bordeaux a signé une action dans le cadre de la campagne #StopArmingIsrael (Arrêter d’armer Israël).
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