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Menacé d’expulsion, le président de la mosquée de Pessac défend son soutien à la Palestine devant le tribunal

Abdourahmane Ridouane était ce vendredi 31 mai devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, entendu par une Commission départementale d’expulsion des étrangers (COMEX). Il est dans le viseur de la Préfecture, qui l’accuse d’apologie du terrorisme. Il invoque la liberté d’expression.

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Menacé d’expulsion, le président de la mosquée de Pessac défend son soutien à la Palestine devant le tribunal
Abdourahmane Ridouane et son avocat Sefen Guez Guez, à la sortie de l’audience

À peine une vingtaine de places assises dans la salle d’audience. À l’extérieur des centaines de soutiens, priés par les policiers de patienter dans la salle des pas perdus. Aux cris de « Viva Palestine », Abdourahmane Ridouane fait son entrée dans le tribunal.

Ce vendredi 31 mai, le président de la mosquée de Pessac était convoqué devant une Commission départementale d’expulsion des étrangers (COMEX), composée de magistrats et de représentants de la Préfecture. Cette dernière doit rendre un avis, favorable ou défavorable, sur la procédure d’expulsion prononcée le 2 mai dernier. L’avis n’est que consultatif, la décision finale revient au Préfet de la Gironde. Abdourahmane Ridouane risque l’expulsion vers le Niger, son pays d’origine.

Esprit critique

L’audience s’ouvre par une synthèse de la requête de la Préfecture. Les griefs de l’État à l’encontre d’Abdourahmane Ridouane se concentrent sur ses positions « anti-républicaines » et sur la « diffusion de publications antisémites et haineuses contre Israël sous couvert de soutien au peuple palestinien ».

La Préfecture estime que le comportement du président de la mosquée Al-Farouk est « de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État et constitutif d’actes de provocation à la haine envers la communauté juive ».

Abdourahmane Ridouane a la parole en premier. « J’avais besoin de ce moment », débute celui qui est dans le viseur de la justice depuis plusieurs années :

« Je n’ai jamais eu l’occasion de pouvoir parler en toute sérénité. Je ne me reconnais pas dans la description de quelqu’un qui fait l’apologie du terrorisme. Ce que j’exprime, c’est ma liberté d’expression face à la violence des inégalités que je connais depuis le Niger. Depuis l’Afrique, je suis passionné par les textes de Voltaire, de Rousseau et de Montesquieu. Malgré un héritage colonial douloureux, j’ai grandi dans la critique. »

Camus et Ramadan

Abdourahmane Ridouane arrive en France en 1991. C’est sur le campus de Talence, où il étudie, qu’il rejoint l’Association des musulmans de France. À Saige-Formanoir, où il vit, il fonde l’Association des musulmans de Pessac et initie des dialogues inter-religieux. Ses « premières critiques », il les adresse aux gouvernement nigérien. Il le reconnaît, quand il écrit, il n’y « va pas avec le dos de la cuillère ». Une posture qu’il maintient face aux magistrats dans la salle d’audience :

« J’estime savoir qui sont les victimes et qui sont les bourreaux. Certains mots doivent être des cris d’alarme. »

Il cite Albert Camus, qui, en 1944, écrivait : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Il fait l’éloge de Tariq Ramadan (soupçonné de viols commis entre 2009 et 2016 sur quatre femmes et récemment acquitté dans l’une de ces affaires), l’homme qui lui a fait « aimer la laïcité ». Il aime « l’artiste » Dieudonné (condamné une trentaine de fois, notamment pour des propos négationnistes), tout en disant « condamner » ses positions antisémites.

Sur les accusations d’antisémitisme justement, il convoque le film documentaire Shoah de Claude Lanzmann, faisant un parallèle entre les victimes déportées et la mémoire de l’esclavage :

« J’ai eu l’impression que c’était mes ancêtres. Dans mes écrits, je cite aussi souvent le journaliste juif israélien Gideon Levy, du quotidien Haaretz. »

De l’importance des mots

Marine Lacroix, vice-présidente du tribunal judiciaire de Bordeaux et présidente de l’audience, l’interroge sur la portée de ses publications relayées sur les réseaux sociaux :

« Vous avez une certaine audience, vous savez qu’il y a un impact derrière, qu’il y a des interprétations. Tout le monde n’a pas votre bagage intellectuel. »

« J’aime nourrir le débat, même de façon provocante », lui répond Abdourahmane Ridouane. Dans une publication Facebook, il fait part, en France, d’une « croisade contre les musulmans ». Dans une autre, il cite des sourates évoquant la mort en martyr.

« Pourquoi utilisez-vous un vocabulaire guerrier ? Pourquoi vouloir rester dans un État que vous jugez si désobligeant ? », le questionne la présidente. Selon le président de la mosquée de Pessac, il ne s’agit que d’une rhétorique qui répond à une autre :

« Le gouvernement utilise le même vocabulaire en parlant de l’islamisation ou de la charia dans les quartiers. Les mots sont devenus radioactifs. J’ai envie de rester, car ma voix est plus audible ici. »

Dans sa requête, la Préfecture reproche également à Abdourahmane Ridouane ses positions « pro Hamas », qu’il présente comme un « mouvement de résistance ». L’un des assesseurs lit une phrase d’un de ses posts Facebook : « Israël, colonavirus qui infecte le sang du peuple palestinien ».

« Je suis immunisé contre l’antisémitisme », assure Abdourahmane Ridouane, avant de dénoncer un « deux poids deux mesures » :

« Philippe Val, l’ancien directeur de Charlie Hebdo, a récemment déclaré qu’il avait le droit d’être islamophobe. »

« Acharnement »

L’avocat d’Abdourahmane Ridouane, Maître Sefen Guez Guez, tient à replacer la procédure d’expulsion de son client dans un contexte, celui de la lutte contre le terrorisme qui « court-circuite le judiciaire ». « Je suis en colère, on ne retient que les éléments à charge » :

« L’intégralité des citations visées ne sont plus en ligne, mais elles sont restées dans les archives de la Préfecture. Le ministre de l’Intérieur veut refaire le match, alors que mon client est dans son collimateur depuis 2015. Les visites domiciliaires n’ont rien donné. En 2022, c’est la mosquée de Pessac qu’on voulait fermer. Il y a un acharnement et une mauvaise foi patente qui irriguent ce dossier. »

Sur l’avis de la COMEX, l’avocat fonde peu d’espoir. « Peu importe la décision, la Préfecture s’assoira dessus » :

« Est-ce qu’un fidèle de la mosquée a été impliqué dans un acte terroriste ? Jamais. Ceux qui le soutiennent n’ont jamais eu la lecture de la Préfecture [des propos de Ridouane, NDLR]. Sinon, ils seraient rouges de honte. »

La COMEX a jusqu’au 22 juin pour rendre son avis, qui sera communiqué par voie postale à Abdourahmane Ridouane. En attendant, ce dernier ne peut se déplacer en dehors de Pessac. Ce vendredi, le tribunal administratif, saisi en référé, a rejeté la suspension de son assignation à résidence.


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