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Un jeune néo-aquitain expulsé en Côte d’Ivoire malgré les risques de rupture de soins 

Le jeune homme de 22 ans passé par le centre de rétention administrative de Bordeaux a été renvoyé en Côte d’Ivoire sur demande de la Préfecture de la Vienne le 14 mai, contre l’avis de la commission d’expulsion. Il suit en effet un lourd traitement pour des problèmes psychiatriques et n’a plus d’attache dans son pays d’origine, ce qui le met gravement en danger.

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Un jeune néo-aquitain expulsé en Côte d’Ivoire malgré les risques de rupture de soins 
Junior Ake, expulsé le 14 mai sur décision de la préfecture de la Vienne.

Junior Ake est arrivé en France à l’âge de 15 ans. Il avait quitté la Côté d’Ivoire avec son grand-frère et sa petite sœur pour rejoindre sa mère via une procédure de regroupement familial. Il résidait depuis à l’Isle-Jourdain, dans la Vienne. Il a pu terminer sa scolarité en France et passer un CAP employé de commerce.

Un avis défavorable à l’expulsion

Incarcéré en début d’année pour du vol avec violence sans ITT et port d’arme blanche au centre pénitentiaire de Poitiers Vivonne, il s’est vu notifié à sa sortie un arrêté d’expulsion.

« Il y a une procédure d’expulsion qui a été engagée par la préfecture de la Vienne suite à l’incarcération de monsieur Ake, détaille son avocat, Maître Morgan Bescou. Cette procédure a conduit à la réunion de la commission d’expulsion du département de la Vienne qui a émis un avis défavorable à l’expulsion en raison de l’importance des attaches familiales du jeune homme en France et de ses problèmes de santé très importants. »

La commission d’expulsion, qui est composée de deux magistrats de l’ordre judiciaire et d’un magistrat de l’ordre administratif, ne rend qu’un avis consultatif. La préfecture choisit de ne pas le suivre et décide de placer Junior Ake en rétention administrative. Il est alors emmené au CRA de Lyon, par manque de place dans un centre plus proche.

Un « joli » dossier judiciaire

Son avocat conteste l’arrêté d’expulsion par une requête en référé suspension. Ce jugement en urgence suspend temporairement la décision administrative, car on estime du côté du juge qu’il y a un doute suffisant sur la légalité de la décision d’expulsion. Junior Ake est alors remis en liberté par la préfecture de la Vienne, qui l’assigne à résidence.

Le jeune homme respecte parfaitement son assignation à résidence et poursuit ses soins. Les passages à l’actes qu’on lui reproche sont survenus avant que sa maladie ne soit diagnostiquée, alors qu’il n’avait que 19 ans.

« C’était des actes de rébellions, pas des affaires de meurtre, de viol ou de trafic de stupéfiants, assure Morgan Bescou. Mais on est sur un cumul en peu de temps de petites infractions qui sont exclusivement liées à la maladie psychiatrique pour laquelle il a un traitement, qui a mis du temps à être stabilisé et qui l’est aujourd’hui avec une injection retard ».

Ce mode de traitement n’est utilisé qu’en dernier recours et consiste en une injection tous les 28 jours, censée calmer ses troubles du comportements. « C’est vraiment un mode ultime de traitement qui n’est pas disponible dans son pays d’origine », insiste son avocat.

Sollicitée, la préfecture de la Vienne évoque un jeune homme « très défavorablement connu des services de la police et de la justice » :

« En raison de la menace grave à l’ordre public qu’il représentait, il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire national. Cette mesure confirmée par le tribunal administratif de Lyon a été prise après l’avis du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) indiquant que l’état de santé de M. Ake nécessitait une prise en charge médicale mais que, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pouvait y bénéficier d’un traitement approprié et son état de santé pouvait lui permettre de voyager sans risque vers son pays d’origine. »

Son titre de séjour en attente

Durant le temps où il est assigné à résidence, Junior Ake reçoit un SMS lui indiquant que son titre de séjour est prêt. Il prend rendez-vous le 7 mai pour aller le récupérer. Mais entre-temps, un jugement du tribunal administratif de Lyon rejette la requête en référé suspension « de manière assez invraisemblable », selon maître Bescou :

« Il estime qu’on n’apporte pas la preuve qu’il serait dépourvu de toute attache familiale dans son pays d’origine, et considère que les faits qui lui sont reprochés sont suffisamment graves parce que répétés sur une courte période. L’incidence de la maladie psychiatrique n’est pas prise en compte. »

Le rejet de la requête se fonde sur un avis rendu par l’OFII, selon lequel le jeune homme pourrait parfaitement être pris en charge dans son pays d’origine, et que la preuve n’est pas établie que les soins ne peuvent pas être de même qualité ou de même efficacité en étant substitué par autre chose que l’injection retard. 

« C’est vraiment malhonnête de la part du tribunal, parce que si on en est à l’injection retard c’est que le reste n’a pas fonctionné », s’indigne l’avocat.

Seul en Côte d’Ivoire

Fin avril, alors qu’il se rend en gendarmerie pour signer dans le cadre de son assignation à résidence, Junior Ake est emmené à l’aéroport. Il n’était pas prévenu et n’avait aucun bagage. Arrivé à Bordeaux, il est placé en rétention administrative.

Rien n’y fait, pas même la mention du rendez-vous donné pour la remise de son titre de séjour ou le certificat médical rédigé par son médecin confirmant qu’on ne peut pas du tout substituer l’injection retard par un autre traitement. Le 14 mai au matin, il est de nouveau emmené à l’aéroport, mais cette fois-ci en direction d’Abidjan.

Rosalie Dorat, sa mère, avait pris soin de faire envoyer de l’argent à son nom, juste assez pour une nuit d’hôtel. Les dernières nouvelles de son fils datent 16 mai ; son fils lui écrit qu’il est à la rue, qu’il n’a plus d’argent, qu’il ne sait pas où dormir. Il n’a pas de famille à Abidjan, où il est livré à lui-même. La mère de famille ne peut refouler ses inquiétudes concernant son état de santé :

« Avant d’être expulsé ils lui ont fait son injection mais c’était il y a une semaine je crois. Il n’a pas de quoi assurer son traitement, il n’a même pas de quoi dormir. Quel médecin il va aller voir ? Quelle démarche il va faire pour pouvoir se soigner ? Je ne peux rien faire, je n’ai que mes larmes pour pleurer. »

L’arrêté d’expulsion est exécutoire, il n’est pas possible de le faire revenir. Selon la Cimade, « cette expulsion dans un pays où il est isolé, entraine un arrêt brutal de ses soins et met sa vie en danger ». L’avocat a de nouveau tenté un référé de suspension devant la Cour administrative d’appel de Lyon ; il a été transmis pour observation à la préfecture de la Vienne et la famille est dans l’attente d’un retour.


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