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Dans les quartiers populaires de Gironde, une campagne pour convaincre du danger RN

Les candidats en lice pour les législatives, en particulier ceux du Nouveau Front populaire tentent de convaincre les habitants des quartier sensibles, où l’abstention mais aussi le vote Bardella ont été élevés aux européennes. Ils espèrent les sensibiliser à la menace que représente le RN pour les droit sociaux et les personnes d’origine étrangère. Reportage à Bordeaux et Libourne.

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Dans les quartiers populaires de Gironde, une campagne pour convaincre du danger RN

Elle peine à se rappeler de son nom, mais se souvient de ses « Tik Tok ». D’origine nigériane, cette habitante du Grand Parc a voté pour la première fois, à 46 ans, pour l’extrême droite. C’était il y a deux semaines, pour les élections européennes, et sa voix est allée à Jordan Bardella. Parce qu’il « parle bien » et qu’il « faut remettre de l’ordre » :

« Je crois que le parti a évolué, sur le racisme notamment. C’est plus comme avant. Je travaille dans la restauration, c’est parfois dur. Je suis pour donner plus à ceux qui bossent et moins à ceux qui ne font rien. »

Quelques mètres plus loin, sur la place du centre commercial Europe, trois jeunes militants du Nouveau Front Populaire se retrouvent. Tracts à la main, ils écument la première circonscription depuis le début de cette campagne éclair.

Parmi eux, Aymeric, 25 ans. « L’enjeu aujourd’hui est de convaincre les abstentionnistes » (plus de 57% au Grand Parc), décrit ce doctorant en informatique et militant d’EELV. Direction cours de Luze, à la résidence Montesquieu. 10 étages, deux appartements par palier. Majoritairement des retraités, parfois réticents à engager la conversation.

Porte-à-porte cours de Luze Photo : VB/Rue89 Bordeaux

« Relire les livres d’histoire »

Au neuvième, une porte s’ouvre. « Je ne regarde pas les débats, ça me fait monter la tension pour rien », expose une retraitée âgée de 76 ans :

« Je suis née après la guerre. Quand j’entends des jeunes dire qu’on pourrait tenter l’extrême droite, on a déjà essayé en fait. Il faut relire les livres d’Histoire. Je me bats contre ceux qui vont s’abstenir car, en face, ils ne vont pas s’abstenir. »

« Je ne vous le cache pas, je suis indécise », décrit une autre résidente de l’immeuble, qui accueille les militants chez elle :

« J’ai la pression de mes enfants, qui sont franchement à gauche. Sur le Whatsapp familial, ça n’arrête pas depuis deux semaines. C’est sûr, je vais voter contre le RN. Depuis 2017, je vote pour Macron. Pourquoi pas la gauche cette fois, mais par exemple je suis contre la retraite à 60 ans. J’aime bien Gluscksmann mais pas Mélenchon. »

« Je n’y crois plus »

La figure du leader LFI revient souvent dans les échanges. Avec réticence ou enthousiasme. Au bureau de vote de l’école Jean-Monnet, aux Aubiers, c’est la liste de Manon Aubry qui est arrivée en tête aux élections européennes, autour de 40%, devant Jordan Bardella. Le candidat du RN y a dépassé les 20%, tout comme dans certains bureaux de vote du Grand Parc.

« Caricaturer le Nouveau Front Populaire comme un bloc de l’extrême, c’est mal comprendre le vote des citoyens pour LFI », tempère Céline Papin, élue à la mairie de Bordeaux et investie par le Nouveau Front Populaire dans la première circonscription.

Ce jeudi 27 juin, à quatre jours du vote, une cinquantaine de militants du Nouveau Front Populaire investissent le quartier nord de Bordeaux. Nicolas Thierry, député sortant de la deuxième circonscription, et Marie Toussaint, tout juste réélue eurodéputée, sont venus prêter main forte. La députée européenne, qui a grandi dans la cité, alerte du « danger » du vote RN pour les classes populaires :

« Si le RN passe dans les quartiers, il y aura encore plus de rejet et de discrimination. Ça va être galère sur galère. Seuls la gauche et le Nouveau Front Populaire promeuvent un réinvestissement des solidarités et un rétablissement des services publics. »

Le Nouveau Front Populaire en opération tractage aux Aubiers Photo : VB/Rue89 Bordeaux

Dans le quartier, beaucoup d’habitants croisés n’ont pas le droit de vote. Alors les plus âgés enjoignent les jeunes, parfois des primo-votants, d’aller voter. « L’enjeu, c’est de remettre de la démocratie et de mobiliser », résume Céline Papin :

« Parfois, on a des questions sur les modalités du vote. On rappelle qu’il n’y a pas besoin de la carte d’électeur par exemple ou on redonne les adresses des bureaux de vote. »

« On est en sécurité nulle part »

Au bas d’une tour, la candidate engage la conversation avec une mère célibataire. Elle habite Ginko mais confie souvent sa fille de 6 ans à ses parents qui vivent aux Aubiers. « C’est peut-être raciste ce que je vais dire, mais tout le monde vient ici, dans d’autres pays ce n’est pas comme ça » :

« J’ai attendu 4 ans avant de pouvoir obtenir un studio. Maintenant dans mon immeuble, il y a des drogués, des gens qui ont des bracelets électroniques. On n’est en sécurité nulle part. Que ça soit la droite ou la gauche, peu importe. On finit par apprendre qu’un tel est corrompu, qu’un autre passe au tribunal bientôt. Je n’y crois plus. »

Un désintérêt, voire un dégoût, de la classe politique, que Céline Papin dit « comprendre » :

« Il y a bien sûr des politiques qui commettent ce type d’actes, mais parmi les élus locaux, c’est marginal. Il faut peut-être mieux faire comprendre le rôle des élus locaux à la population. Certains pensent qu’on gagne beaucoup sans rien faire. »

Au Grand Parc, la semaine du premier tour des législatives anticipées Photo : VB/Rue89 Bordeaux

Une fois l’échange avec l’habitante terminée, une militante du Nouveau Front Populaire s’empresse de noter son numéro de téléphone. Dimanche, elle lui enverra un message pour aller voter. Chaque voix compte :

« Dès qu’un habitant me parle de l’extrême droite, je leur dit la réalité. Qu’il s’agit d’un vote contre les femmes et les étrangers, que c’est un parti anti-social, qui a voté contre l’augmentation du SMIC. »

« On en a marre »

C’est avec ces mêmes arguments que le même jour, à quelques dizaines kilomètres de là, les militants du Nouveau Front populaire abordent un petit groupe assis aux pieds d’un immeuble de la résidence Peyronneau, à Libourne. « Nous, c’est Bardella », préviennent aussitôt ces habitants, des hommes et des femmes d’âge mûr, et blancs. « On vous offrira des mouchoirs dimanche », rigole l’un d’eux, coupe mulet et t-shirt Johnny Hallyday.

Mais l’information sur le refus du groupe RN de faire passer le salaire minimum à 1500€ net, en juillet 2022, interpelle une des dames présentes. Elle accepte alors un tract exposant les propositions de l’union de la gauche qui y sont marquées, tout en expliquant avoir été agressée une fois « par un Tunisien », car elle portait un débardeur trop décolleté.

Un peu plus loin, deux retraitées installées sur des fauteuils dans le parc de cette résidence de plus de 200 logements sociaux – gérée par Gironde Habitant, c’est l’une des cités les plus pauvres du libourbais. L’une d’elle râle aussi contre les incivilités :

« La boite aux lettres de mon fils a été cassée et ses colis volés ; des dizaines de gars viennent avec 30 voitures, les pétards et la musique à fond, on se serait cru en boite de nuit, j’ai dû appeler les gendarmes ; des clodos dorment dans les voitures… On en a marre, et pourtant on est pas racistes, si tout le monde se tient bien. »

Binationaux

D’ailleurs, assure-t-elle, elle ne votera « pas pour Bardella et Le Pen » – même si elle l’a déjà fait en 2022, pour sanctionner Macron. La dame refuse d’indiquer quel sera son choix à Pascal Bourgois, représentant écologiste pour le Nouveau Front populaire dans cette 10e circonscription. Elle lui explique en revanche qu’elle appréciait l’ancien sénateur du coin, Gérard César (UMP, décédé en mai dernier), ou qu’elle a connu Gilbert Mitterrand, l’ancien maire de Libourne. « J’ai son soutien », souligne le candidat.

Dans le parc de la cité Peyronneau, qui compte plus de 200 logements à Libourne Photo : SB/Rue89 Bordeaux

Puis, celui-ci va à la rencontre de quatre femmes, pour certaines d’origine maghrébine, qui discutent devant leur bâtiment. Il leur explique se « battre contre l’extrême-droite, pour arrêter Le Pen qui veut s’en prendre à la binationalité ». L’accueil est chaleureux.

« C’est important de prendre le temps de nous expliquer », estime ainsi Merim, 24 ans, étudiante à Bordeaux et en vacances chez ses parents libournais.

Si la jeune femme, de nationalité italienne, trouve « compliquée la situation politique actuelle », elle se dit sensible aux propositions de la gauche sur le SMIC, l’âge de la retraite et le défi climatique… Mais elle n’a pas le droit de vote, comme beaucoup d’habitants des quartiers populaires, d’origine étrangère, et que les militants encouragent à convaincre leur entourage de voter.

Piqure de rappel

« La majorité des gens sont contents qu’on vienne les voir, qu’on parle avec eux », pense Pascal Bourgois. Près de 200 personnes l’aident dans sa campagne, ce qui est selon eux la plus grosse force militante dans cette circonscription tenue par le député de majorité présidentielle Florent Boudié, mais que convoite Sandrine Chadourne, du Rassemblement national. Elle avait perdu de peu en 2022, et Jordan Bardella a fait plus de 38% aux européennes.

« On ne les voit jamais sur le terrain, il leur suffit de mettre Bardella sur les affiches », soupire Philippe Geminel, co-secrétaire du groupe local des écologistes. Aussi, le porte à porte est déterminant, en particulier à Libourne, qui rassemble la moitié des voix de la circonscription, et dans ses quartiers populaires, qui s’abstiennent davantage.

« On rencontre beaucoup d’indécis, pas fermés à la discussion, mais aussi des gens perdus. Ils sont dans l’ensemble très loin de la politique, et je les comprends car elle a été très dévaluée. »

« Cette dissolution, ça fait une piqure de rappel à tout le monde », juge Maeva, 34 ans, infirmière et maman solo.

« Ce qui se passe me rend triste. J’ai deux petites métisses, et mes propres parents votent extrême droite. Je sais qu’ils adorent les enfants, et que dans le fond ils ne sont pas racistes. mais ils ont une petite retraite après avoir bossé toute leur vie, et ils regardent beaucoup la télé, et ont très peur de l’insécurité et des immigrés. »

Circonscription à double visage

La sécurité, ou le sentiment d’insécurité, est un thème « souvent abordé » par les habitants rencontrés par Thomas Cazenave, ministre en campagne dans la 1ere circonscription de Bordeaux, celle que tente de lui ravir Céline Papin. Sur le marché de la place Saint-Martial, il échange avec une riveraine, récemment victime d’une agression dans le quartier, cours Saint-Louis. « La sécurité n’est pas un sujet tabou, ni de droite ni de gauche », répond le candidat :

« Bordeaux a changé, la réponse doit être plus forte. Il faut plus de policiers municipaux et de vidéosurveillance. Il faut une antenne de la réactivité et de l’ultraproximité, montrer qu’on ne lâche rien dans l’espace public. Au Grand Parc, par exemple, on m’a demandé pourquoi il n’y a pas de poste de police municipale. »

En 2022, Thomas Cazenave a été largement élu au second tour face à Catherine Cestari, remportant 59% des suffrages. Mais cette année, aux Européennes, les listes de gauche ont recueilli près de 38% dans sa circonscription, quand Valérie Hayer n’a pas dépassé les 20%. « Non, ce n’est pas un poids d’être le candidat de la majorité présidentielle », affirme t-il :

« Ce n’est pas aussi clivé. Les gens parlent plus de la situation locale que nationale. »

Thomas Cazenave, venu tracter place Saint-Martial Photo : VB/Rue89 Bordeaux

Du Bouscat à Caudéran aux Chartrons, en passant par Bacalan, le Grand Parc et les Aubiers, la première circonscription présente une sociologie multiple, à la fois bourgeoise et populaire. « Il y a des quartiers où c’est plus difficile », reconnaît Thomas Cazenave :

« Lors des municipales, j’avais participé à un match de foot aux Aubiers. Comme l’espace public n’est pas toujours accueillant, les gens ne restent pas, il faut trouver des endroits où discuter. Nous avons fait le marché à Bacalan, la place de l’Europe au Grand Parc et les 20 ans du centre social dans le même quartier. Il y a aussi la difficulté de rentrer dans les grands ensembles, qui sont moins accessibles. »

Côté Nouveau Front populaire, ce problème ne semble pas insurmontable : en se faisant ouvrir aux interphones, leurs militants affirment avoir tapé à la majorité des portes du Grand Parc ou de la cité Peyronneau à Libourne. Sachant qu’on estime à une voix gagnée sur 14 personnes rencontrées lors porte à porte, ils espèrent avoir ainsi fait un peu pencher la balance.


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