On pourrait presque parler d’une obsession. « Quand je fais des brocantes, dès qu’il y a un bouquin sur le vin je l’achète direct ! » Les accords de guitare de Gustavo Cerati en fond, Mauro Ceballos pointe du doigt fièrement les six tomes épais, allant de Bordeaux Antique à Bordeaux au XVIIIe siècle, qui trônent dans sa bibliothèque. Sa passion a conduit aujourd’hui ce féru d’histoire à illustrer ses lectures dans des bandes-dessinées colorées au vin rouge.
Une enfance à Santiago
Mauro Ceballos est né au Chili en octobre 1982. Il grandit à Santiago au sein d’une famille de quatre enfants. C’est sa mère qui l’initie très tôt au dessin :
« Elle nous achetait le matériel et elle nous incitait à dessiner. Pour elle, c’était comme un entrainement, c’était même obligatoire », se remémore-t-il.
Mais pas pour en faire une carrière : sa mère médecin et son père chef d’entreprise « voulaient des architectes, des avocats, des ingénieurs ». Au final, comme un pied de nez à ces préceptes, son frère jumeau, Alexis Ceballos, et lui sont tous les deux devenus artistes.
De ses 5 ans à ses 18 ans, il suit un cursus chez les jésuites. Il intègre par la suite l’école d’art ARCOS à Santiago. Un programme avec l’IUT Montaigne de Bordeaux le conduit en 2003 en France, le temps d’une année. Cet échange est pour lui une nécessité, l’occasion de changer d’air.
« On venait de sortir de la dictature de Pinochet quelques années auparavant, les grands artistes de l’époque avaient pour la plupart été tués ou exilés à l’étranger donc il n’y avait pas tellement de place pour l’art. »
Parenthèse musicale
Loin de se consacrer seulement à ses études cette année-là, Mauro Ceballos, batteur confirmé, crée un groupe avec des compatriotes sud-américains résidant à Bordeaux : Guaka.
« En langue quechua, c’est le trésor caché des ancêtres, explique-t-il tout sourire. Avant on s’appelait les Guacamayos, ça voulait dire les aras. Après on a raccourci et on a trouvé cette traduction là qui était beaucoup plus mystique et beaucoup plus cool. »
Une fois ses études achevées, ils s’envolent pour l’Argentine. Un bref séjour d’un mois dans ce pays en proie à une crise économique, et les sollicitations récurrentes de ses amis musiciens restés en France vont le convaincre de revenir dans la région bordelaise. C’est ici qu’il fonde son premier couple qui voit naître Eva, aujourd’hui 10 ans.
Au cours de ses 10 années d’activité, Guaka produit cinq albums et sillonne les cinq continents à l’occasion de ses tournées. Le groupe passe de 13 membres à seulement trois. Ils partagent la scène avec Shaka Ponk, Noir Désir, Mano Negra et bien d’autres. Dans leurs morceaux, ils donnent à entendre un son très rock, aux influences latines assumées, « à fond dans l’esprit contestataire, très révolutionnaires, très à gauche, super anarchistes et punk ».
Un travail sur la couleur
Pour le dernier album de Guaka, Made in Bordeaux, sorti en 2015, l’artiste chilien dessine la pochette. Histoire de pousser la référence encore plus loin, l’un de ses amis lui suggère de peindre avec du vin. Il ne le savait pas encore à ce moment-là, mais de cette idée atypique il en tirera une certaine renommée.
« J’ai commencé à faire des tests, avec différents papiers d’abord, puis j’ai travaillé les gammes de couleurs avec différents cépages et différentes appellations. »
Mauro Cabellos développe cette nouvelle technique. Il réalise quelques expositions pour tâter le terrain et s’assurer que le public est réceptif. Plus tard, son divorce vient chambouler son quotidien. Isidore Krapo, figure bien connue de la scène artistique bordelaise, décide alors de lui tendre la main.
« Il m’a dit “tu viens chez moi, à l’atelier, t’arrête la musique parce que ça sert à rien et tu reviens à ton métier parce que tu as du talent pour ça”. Il me faisait venir du lundi au samedi, de 9h à 19h et c’était comme à l’ancienne : il y avait le maître et l’apprenti », raconte l’artiste.
Le chef coloriste pousse son protégé à se pencher sur le travail de la couleur, des conseils qu’il applique encore aujourd’hui. Parmi ses autres influences, il cite Picasso et les dessinateur de bandes dessinées Jean Giraud et Alejandro Jodorowsky.
De deux années de résidence de Mauro Ceballos à son atelier, le maître des lieux Isidore Krapo se remémore un « garçon très généreux » :
« Moi je ne suis pas du tout pédagogue ou professeur, même si je suis professionnel depuis longtemps, mais mine de rien il captait très rapidement les moindres petites anecdotes que je pouvais sortir pendant que j’étais en train de peindre. C’est vraiment jubilatoire de l’avoir comme compagnon », ajoute Isidore Krapo.
Di Vin Sang
Comment l’idée d’un livre arrive-t-elle sur la table ? « Pour les enfants », assure Mauro Cabellos. Sa fille Eva, et sa petite dernière Victoria, née d’une seconde union, sont toutes les deux bercées par les cultures chilienne et française.
« Mes filles vont devoir êtres fières de leur multiculturalité, mais comment leur expliquer ça ? Il fallait absolument trouver l’équilibre et c’est à se moment-là que j’ai commencé à me plonger dans l’histoire entre ces deux pays. »
Au fil de ses recherche, l’artiste découvre des liens qui remontent à 1850. À cette époque, « les Chiliens étaient les meilleurs clients de la ville de Bordeaux », s’amuse-t-il. Des riches propriétaires traversent l’Atlantique pour venir acheter des cépages bordelais et ainsi les ramener au Chili. Un commerce qui lie à jamais les deux pays, et que Mauro Ceballos choisi d’illustrer dans une bande dessinée.
C’est au vigneron Olivier Cazenave, rencontré en 2015 lors d’une exposition sur la propriété de ce dernier, au château de Bel, qu’il expose l’idée de réaliser cette BD avec des dessins colorés au vin rouge. « Moi je vais perdre un an de boulot, et toi un carton de vin » lui dit-il pour le convaincre. Banco !
Il sort son livre en 2018, en auto-édition. En même temps, il fait réaliser un film d’animation avec les planches de la BD et le présente lors d’un ciné-concert au Krakatoa en décembre 2019. Une tournée d’une vingtaine de dates est prévue, vite abandonnée en raison de la pandémie de Covid. À ce jour, Di Vin Sang s’est vendu à 5 500 exemplaires.
Contes et légendes du bordelais
Décidé à garder le contrôle sur sa technique de dessin au vin rouge, Mauro Ceballos a fait déposer un brevet. Il travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau projet qui devrait voir le jour en septembre.
« C’est une amie mexicaine qui m’a ramené ça, explique-t-il, tirant de son bureau une toute petit BD toute déchirée tenant dans la paume de la main. Ce sont des petits livres pas chers du tout, ça devait coûter 10 centimes à peine, qui se vendaient au Mexique dans les années 1970. »
Il n’en faut pas plus pour piquer au vif le dessinateur, qui ressort alors de sa bibliothèque un ouvrage de contes et légendes du vignoble bordelais. Au nombre de douze dans le recueil, il va d’abord commencer par en adapter un, celui de La montagne des Graves, et devrait le présenter en septembre au domaine le Trébuchet, qui finance le projet. De quoi occuper pendant quelques temps l’esprit débordant de Mauro Ceballos.
En attendant il continue de peindre. Il expose en ce moment quelques unes de ses œuvres au Resto Chilien, rue Elie-Gintrac, jusqu’en septembre prochain. Il travaille ponctuellement sur d’autres projets, comme celui de la façade de la mairie de Bordeaux, parée de la devise Liberté Egalité Fraternité.
Chargement des commentaires…