J-2 avant le second tour des élections législatives. Alors que le camp de la majorité présidentielle est en mauvaise posture face à la percée du RN, les candidats macronistes diabolisent la gauche, érigeant la figure de Jean-Luc Mélenchon comme grand repoussoir. Dénigrement, mensonge, matraquage médiatique… cette campagne électorale éclair « rend inaudible toute réflexion sur le fond », analyse un papier de Reporterre, à l’heure d’un « retournement sémantique orwellien ». Et la Gironde n’échappe pas à ce paradigme, où les coups bas sont permis.
« Pacte avec le diable » à Bordeaux Nord
Dans la première circonscription (Bordeaux nord, Bruges, Le Bouscat), le député sortant Thomas Cazenave caracole en tête du premier tour avec 38,31% des suffrages. Il ne distance que de 4 petits points et 3000 voix son adversaire du Nouveau Front populaire, Céline Papin, adjointe écologiste au maire de Bordeaux et élue métropolitaine.
Le ministre délégué aux Comptes publics « oublie » toutefois dans ses tracts l’étiquette verte de sa rivale, préférant parler de candidate investie par la France insoumise. Sur France 3, dans un débat télévisé opposant le ministre sortant et Céline Papin, Thomas Cazenave accuse son adversaire d’avoir « pactisé » avec LFI :
« Comment vous ne pouvez pas reconnaître que derrière la France Insoumise ça a été la brutalisation du débat public ? »
Il parle des « outrances de LFI, les outrances de leurs représentants, les outrances de Jean-Luc Mélenchon qui n’a pas renoncé à obtenir le poste de Premier ministre ». Thomas Cazenave souligne tout de même la « course à l’échalote des propositions démagogiques » pour le RN :
« Il faut défendre cette voie de la modération à l’Assemblée, et nous on leur (aux électeurs) offre la possibilité de ne pas soit choisir la gauche qui s’est alliée à Jean-Luc Mélenchon, soit le Rassemblement national. »
Les municipales en ligne de mire
L’ancien candidat à la mairie de Bordeaux joue gros : une défaite hypothèquerait sa légitimité à représenter la droite unie aux prochaines municipales. Une victoire le propulserait comme candidat le plus légitime.
Il sera en tous les cas redevable à la droite métropolitaine : Patrick Bobet, maire (Les Républicains) du Bouscat et ancien président de Bordeaux Métropole, n’a pas mégoté son soutien au ministre, qui peut aussi compter sur le soutien de Nicolas Florian. L’ancien maire (LR) de Bordeaux, lui aussi désireux de reconquérir le palais Rohan, s’est fendu d’un tweet critiquant une « candidate #NouveauFrontPoplulaire alliée à une extrême gauche dont les outrances empoisonnent notre vie parlementaire depuis 2 ans ».
Autre soutien : Béatrice Pomarel, candidate centriste et médaille en chocolat du premier tour, que Thomas Cazenave a remercié, sur X, d’avoir appelé à voter pour lui au second tour. L’enjeu pour le député sortant : faire le plein dans les parties a priori les plus favorables pour lui (Caudéran, Le Bouscat) pour prévenir une remontada de Céline Papin, qui peut s’appuyer sur les suffrages des quartiers populaires.
Wokisme et abaya à Mérignac et Saint-Médard
La sixième circonscription (Mérignac, Saint-Médard-en-Jalles) est un fief historique du PS. Elle n’a connu qu’une intermittence à droite, après la vague bleue de 1993, avant de basculer aux mains de la majorité présidentielle en 2017.
Le député Renaissance sortant, Éric Poulliat, crédité de 32,78% des suffrages, entend conserver son siège au Palais Bourbon. Il lui faut pour cela repasser devant Marie Récalde, la candidate socialiste investie par le Nouveau Front Populaire, qui réunit au premier tour 35,24%, soit moins de 2000 voix de plus.
Cette dernière, adjointe à Mérignac et vice-présidente de la métropole bordelaise a déjà été élue, de 2012 à 2017, sous l’étiquette PS. À l’époque, le co-directeur de campagne de Marie Récalde n’était autre que… Éric Poulliat.
Le peu d’écart entre les anciens collègues semble pousser le député sortant à faire des appels du pied à l’électorat du candidat RN, Jimmy Bourlieux. Ce dernier a glané 27,07% des suffrages, le plaçant en ballotage défavorable, 4500 voix derrière Eric Poulliat.
Relents d’extrême droite
Dans un tract, ce dernier déroule un discours aux relents d’extrême droite. Il n’hésite pas à mettre en avant ses propositions en termes de sécurité, assurant « combattre les activistes d’ultra gauche et les écologistes violents », « combattre le communautarisme et le wokisme » ou encore « soutenir l’armement des polices municipales et la vidéoprotection ».
Pour cet ancien du parti socialiste, auquel il avait adhéré en 2005 avant de le quitter en 2016, c’est un virage à 90° pour tenter de rallier les électeurs de son adversaire d’extrême droite. Contacté par Rue89 Bordeaux, il n’a pas souhaité commenter, en raison « des papiers à charge contre la Macronie » dans nos colonnes, mais assume tout de même son tract.
Dans un tweet récemment posté, Éric Poulliat érige une liste des « magouilles et méthodes d’extrême gauche de [ses] opposants ».
« Ahurissant et choquant pour un député macroniste de réutiliser l’argumentaire RN », commente Stéphane Delpeyrat, suppléant de Marie Récalde, qui déplore un « niveau politique affligeant » :
« C’est clairement un rapprochement plus qu’à droite, inquiétant pour ce type de candidat. D’ailleurs dans la campagne il n’y a plus de référence au président de la République, Emmanuel Macron a disparu de tout. »
« Il perd pied », abonde Marie Récalde :
« Je continue la campagne, sans me préoccuper des calomnies et des vilenies. Ça n’est pas au niveau de l’enjeu historique du moment, avec le RN aux portes du pouvoir », conclut la candidate.
Un « torchon » à Pessac
Dans la septième circonscription (Pessac, Cestas, Gradignan), la députée sortante Bérangère Couillard se trouve également dans un position délicate : elle accuse un retard de 5 points et plus de 3000 voix sur Sébastien Saint-Pasteur, son adversaire socialiste du Nouveau Front Populaire. La candidate RN, Clémence Naveys-Dumas, tout juste 18 ans, pointe à la troisième place avec 22,43% des voix récoltées au premier tour.
L’ancienne secrétaire d’État, puis ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, mène sa campagne dans le sillage de ses camarades de la majorité. Lors d’un débat sur le plateau de France 3 Nouvelle-Aquitaine, où pointait la chaise vide de la candidate RN qui a refusé de débattre, Sébastien Saint-Pasteur a dénoncé le « torchon » distribué par le camp macroniste dans les boîtes aux lettres des électeurs.
« Tract vérité »
Sur ce dernier, pas une ligne sur l’extrême droite, mais la diabolisation d’un « bloc d’extrême gauche mené par LFI ». Un verso entier est, lui, consacré au mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Bérangère Couillard s’est défendu d’un « tract vérité », taclant une union de la gauche qui « s’est faite en contrepartie de circonscriptions » :
« Le programme [du NFP], c’est celui de Jean-Luc Mélenchon en 2022 avec deux mesures en moins ».
« Les rares espaces où l’on pourrait avoir des débats de fond sont cannibalisés par des stigmatisations et des caricatures qui ne poussent pas le débat vers le haut », déplore Sébastien Saint-Pasteur auprès de Rue89 Bordeaux :
« Je suis au PS, élu au Département auprès de Jean-Luc Gleyze. Me faire passer pour les membres de la LFI les plus outranciers, je pense que ça jouera en sa défaveur tellement c’est grossier. Ce genre de caricature est une forme d’insulte à l’intelligence des électeurs. »
Ceux-ci trancheront dimanche.
« Rendez-vous au tribunal » au sud de Bordeaux
Ici, dans la 3e circonscription (Bordeaux sud, Bègles, Talence, Villenave d’Ornon), le match est plus ou moins déjà plié. Avec 49,83% des suffrages recueillis au 1er tour, Loïc Prud’homme, le député LFI sortant, est déjà quasiment assuré de conserver son siège à l’issue du scrutin le 7 juillet.
Ariane Ary, la candidate de la majorité présidentielle, accuse un retard de 12 points (plus de 13000 voix d’écart) qui semble difficile à combler tandis que pour le RN, Maryvonne Bastères traîne la patte avec 19,56% des voix.
Le 2 juillet, Fabien Robert a publié un tweet dans lequel il interpelle le candidat du NFP. A l’instar de Bérangère Couillard, le conseiller régional et secrétaire général adjoint du Modem dénonce une « campagne de cyberharcèlement » à l’encontre d’Ariane Ary :
« En seulement 48h, votre principale adversaire Ariane Ary a fait l’objet d’un déchaînement de haine et d’insultes sur les réseaux sociaux de la part de plus de 300 comptes qui militent clairement pour le Nouveau Front populaire. »
Le résultat d’une campagne orchestrée par certains réseaux nationaux proches de l’union de la gauche, pour pousser les candidats républicains les moins bien placés dans les triangulaires à se désister. Loïc Prud’homme n’a pas tardé à réagir en déposant une plainte pour diffamation au lendemain de l’accusation portée par Fabien Robert. « Rendez-vous au tribunal », a t-il écrit sur X en publiant un communiqué de presse :
« Le débat politique est abîmé depuis des mois par les pratiques de personnes qui prétendent donner des leçons de démocratie à la terre entière. »
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