Dans le salon d’un immeuble cossu aux abords du Parc Bordeaux, où elle occupe une chambre d’hôte, Maria-Luisa Macellaro La Franca fixe deux tableaux de l’artiste bordelais Jofo :
« Ils représentent les pénates, des divinités romaines protectrices de la maison » explique-t-elle, comme un écho à ses origines.
La cheffe d’orchestre et compositrice italienne s’est installée à Bordeaux en 2006, séduite par le cadre de vie qu’offre la capitale girondine. Depuis, elle n’a plus jamais plié bagage, avec l’Italie comme racines et la Gironde dans son cœur.
De Palerme à la scène internationale
Maria-Luisa est née en Sicile en 1980. Issue d’une famille modeste, sa première rencontre avec la musique a lieu, à l’âge de 6 ans, grâce à un clavier offert par son oncle à Noël. Les premiers cours suivent, la passion se développe, accompagnée par sa sœur Alessandra qui deviendra elle aussi musicienne.
Rapidement, se révèle chez la jeune pianiste un talent inné pour la musique : elle remporte son premier prix en compétition à l’âge de 11 ans et enchaine, dans la foulée avec des tournées solistes. Elle entre au conservatoire Vincenzo Bellini de Palerme pour étudier la composition et la direction d’orchestre .
À l’école comme dans son parcours musical, l’enfant prodige rafle les meilleures notes et appréciations. « Pas une question d’ego » précise-t-elle, mais plutôt l’assurance d’obtenir des bourses d’études lui permettant de concrétiser ses rêves. Une quête de l’excellence qui masque une construction personnelle difficile.
« J’étais un enfant modèle, je n’avais aucun souci avec l’école ou mes parents, mais avec les autres, c’était une catastrophe. Une période très dure psychologiquement, j’étais isolée, je subissais du harcèlement… Ensuite, c’était difficile pour une femme dans ce milieu très masculin. J’ai été moquée parce que je dirigeais des orchestres composés exclusivement d’hommes : à ce moment la Sicile avait 40 ans de retard sur la France sur le patriarcat et la place des femmes. »
En 2000, à l’âge de 20 ans, Maria-Luisa obtient son diplôme au conservatoire Vincenzo-Bellini de Palerme avec mention. Elle saisit l’opportunité pour quitter son île natale : ce sera la Suisse, où elle décroche une bourse pour étudier à la prestigieuse Zurich Musik Hochschule.
Elle y passera 5 ans, « le temps de construire une nouvelle vie » et rencontrer « les meilleurs enseignants du monde ». Elle y obtient son Konzertdiplom en jazz, musique de chambre et musique ancienne, toujours avec les honneurs.
Une touche à Bordeaux
Pianiste virtuose, la jeune musicienne compile les récompenses dans des concours de prestige – notamment le Grand Prix IBLA 2000 New York et le Elsy Mayer Stiftung Zurich 2003 – tout en se produisant sur la scène internationale, de la Halle du Conservatoire supérieur de Düsseldorf au Centre culturel Collado-Villalba à Madrid, en passant par le Grand Théâtre d’Osaka au Japon.
Au pays des Helvètes, Maria-Luisa tombe amoureuse d’un musicien bordelais d’origine argentine avec qui elle étudie et travaille. En 2006, après une première tournée organisée en Gironde et la découverte de Bordeaux, la cheffe d’orchestre jette son dévolu sur la ville et décroche un premier poste à l’école de musique de Talence.
« J’ai eu un véritable coup de foudre pour Bordeaux, c’était comme une évidence. L’émulsion culturelle, la Garonne, l’architecture, l’Histoire… J’ai un amour passionnel pour cette ville et pour la région du Médoc. Alors j’ai fait mes valises et je suis venue m’installer, c’est comme ça que l’aventure a commencé. Depuis, ma maison c’est ici, je ne pars que pour donner des concerts. »
Depuis presque une vingtaine d’années, Maria-Luisa Macellaro la Franca fait partie intégrante de la scène culturelle locale, à travers une pléthore de projets artistiques : elle est cheffe principale de l’Orchestre Atelier Unisson ACME de Bordeaux depuis 2015, anime l’émission Viva la Classica sur la radio R.I.G FM, donne régulièrement des conférences sur l’histoire de l’art et de la musique…
La cheffe d’orchestre et compositrice est également à l’origine du festival Autour du Piano et de la Harpe et de Nuits d’Été qui prend place chaque année dans les vestiges du Palais Gallien. La dernière édition s’est déroulé les 5 et 5 juillet derniers, en mettant à l’honneur le compositeur bordelais Pierre Rode.
« Trop atypique »
Quand on lui demande ses références musicales, elle cite Ennio Morricone, Ludovic Einaudi, Chopin la musique folklorique yiddish et sicilienne… « Plus dans la musique du peuple que dans la musique bourgeoise », comme elle tient à le souligner. Une approche singulière qui se prolonge jusque dans sa démarche artistique et le lien qu’elle tisse avec son public, à rebours des conventions.
« Je n’ai pas d’agent qui m’assiste pour trouver des dates et s’occuper de mes projets. Dans le milieu, on me juge souvent “trop atypique”. De cette faiblesse j’ai voulu en faire une force, alors je joue comme une artiste atypique ! Lors de mes représentations, je fais souvent participer le public, ce qui ne se fait pas du tout habituellement. Tout le monde est au même niveau, riche ou pauvre, connu ou inconnu, pour moi il n’y a pas de séparation entre le public et l’artiste. »
Dans ses œuvres et ses prises de position, on retrouve une trame tissée d’humanisme et de profondeur historique. Une sensibilité qui puise sa source dans une histoire familiale à l’heure de la Seconde Guerre mondiale. Son grand-père, Salvatore, avait des origines juives. Après s’être porté volontaire dans l’armée, il est arrêté en 1941 puis déporté à d’Auschwitz-Birkenau.
« Mon grand-père a survécu grâce à l’amitié qui le lia à un SS allemand qui s’appelait Fritz qu’il l’appelait “l’amico Fritz”. Il était obligé de faire des choses inhumaines, mais par contre, il lui a sauvé la vie. En revenant, il a compris que ses amis n’avaient pas survécu, ce fut source de beaucoup de culpabilité d’être parvenu, lui, à s’en sortir. »
Shoah et mafia
De cette douloureuse histoire familiale, Maria-Luisa en tire une œuvre, Emes Symphonie, en hommage aux victimes de la Shoah. Avec sept mouvements pour solistes, chœur et orchestre accompagnés par des textes en français, latin et yiddish, sa création est distinguée par le Prix du Conseil général de Gironde.
L’histoire de sa terre, meurtrie par les exactions commises par la mafia, lui inspire Cantate pour la mort de Falcone et Borsellino, deux juges anti-mafia assassinés en 1992 par des membres de la Cosa Nostra. Pour cette œuvre, elle reçoit notamment le prix « Envie d’agir » en 2009 et le prix « Ambassadrice de la culture dans le monde » discerné par l’Italie en 2012… et les menaces la veille d’une représentation à Palerme.
En résidence artistique à Talence, cheffe du chœur Chantenoës de Pessac, elle est également artiste invitée à l’Opéra de Bordeaux depuis dix ans où elle se produira le mardi 8 octobre avec l’œuvre Granados Cano de les estrelles : un concerto pour piano, orgue et chœur sous la direction de Salvatore Caputo. Une représentation précédée de deux concerts le 13 et 21 septembre avec l’Orchestre Symphonique Unisson de Talence, à l’Église de La Brède et l’Église de Saint-Macaire.
En parallèle de ses tournées internationales, Maria-Luisa Macellaro la Franca s’implique dans le tissu associatif local. Elle participe notamment à des distributions alimentaires avec l’association « Les Gratuit Gironde Solidarité » et s’engage bénévolement auprès des réfugiés de guerre en demande d’asile politique.
Dans les prochaines années, tout en continuant de faire vivre la scène culturelle girondine, elle souhaite parvenir à créer un espace artistique à Bordeaux en toute indépendance.
« J’aimerais pouvoir acheter un lieu pour l’investir de manière permanente, d’en faire un point d’ancrage artistique où je pourrais diriger mon orchestre, créer une saison artistique de manière complètement indépendante avec une programmation éclectique… C’est mon rêve absolu, il faut que je puisse trouver des solutions sur le plan économique pour qu’il se réalise. »
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