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Yerim Sy, de la nuit bordelaise au grand air de la campagne, de Dakar à l’Entre-deux-Mers

À 65 ans, le baroudeur des nuits bordelaises a quitté la ville pour La Sauve, commune dans laquelle il est à la tête d’un restaurant. Originaire du Sénégal, Yerim Sy a tenu pendant une vingtaine d’années le Chuchumbe puis le Wato Sita, fréquentés par tout Bordeaux. Deuxième portrait de notre série d’été 2024, « Du monde en Gironde ».

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Yerim Sy, de la nuit bordelaise au grand air de la campagne, de Dakar à l’Entre-deux-Mers
Yerim Sy, dans son restaurant L’Aiguillage à La Sauve

De loin, on entend déjà son rire. Son éternel panama sur la tête, Yerim Sy accueille et place les clients aux tables. Le décor a, lui, quelque peu changé.

Le chant des oiseaux et le vent dans les arbres ont remplacé le tapage des soirées et l’ivresse moite des comptoirs. Celui que l’on surnomme parfois le « seigneur de la nuit bordelaise » (une qualification réfutée par l’intéressé), s’est mis au vert. Depuis un an, Yerim Sy s’est installé à La Sauve, vers Créon, où il gère un restaurant d’une quarantaine de couverts, L’Aiguillage, en lieu et place de l’ancienne gare.

Il le reconnaît, avant de répondre à un appel à manifestation d’intérêt de la mairie, Yerim Sy ne savait pas placer La Sauve sur une carte. L’urbain vit désormais à l’étage de l’ancienne gare :

« J’ai fait le tour à Bordeaux. Je découvre un autre monde, moi qui vient de loin. »

De la psychiatrie aux bars

Sur ses racines sénégalaises justement, il en dit peu. Une part de réserve chez l’homme charismatique, liée à « une culture et une éducation sûrement ». Yerim Sy est issu d’une « grande famille », originaire de Dakar. Sa mère est institutrice, « l’une des premières d’Afrique en pleine période coloniale ». Son père a, lui aussi, été instituteur puis préfet de région. « Je suis arrivé en France dans les années 80, à l’âge de 25 ans », rembobine-t-il.

À Bordeaux, où il a des « attaches », Yerim Sy suit des études en sciences sociales et en psychologie. Il arrête sa maîtrise pour rejoindre la psychiatrie, appelé par l’hôpital Charles-Perrens où il travaille comme infirmier pendant 7 ans. Une période « extraordinairement intéressante », qui lui a permis de « relativiser beaucoup de choses » :

« Nous sommes tous, quelque part, vulnérable par rapport à la sensibilité de la vie. Personne n’est à l’abri d’une désorganisation psychique. »

Lorsqu’il ouvre son premier établissement, le Chuchumbe, rue Causserouge, il lui arrive ainsi de croiser d’anciens patients :

« Je savais qui ne pouvait pas boire à cause des traitements. Finalement, les deux milieux ne sont pas si éloignés. En psychiatrie comme dans mes bars, je parlais à tout le monde, aux jeunes comme aux vieux. »

« Réunir toutes les classes sociales »

Dans ses établissements, où il tutoie journalistes et politiques de tous bords, Yerim Sy tient à souligner l’absence de videurs aux entrées :

« Je pense qu’on peut arriver à discuter et à ne pas créer des rapports de force dès la porte. Je n’aime pas la verticalité dans les rapports humains. Ma grande satisfaction, c’est d’être parvenu à réunir toutes les classes sociales : l’architecte, le médecin, l’ingénieur, le journaliste, l’ouvrier… Tout le monde respectait tout le monde. J’ai imposé cette situation alors même que la classe bordelaise n’est pas évidente à gérer, parfois fermée. »

De la politique, Yerim Sy aurait pu en faire. En 2020, il est approché par Pierre Hurmic pour figurer sur sa liste :

« Je m’intéresse à la politique, mais j’ai toujours refusé d’en faire partie. Parce que je suis dans un boulot où je dois accepter tout le monde. Tu ne peux pas diviser ce que tu es en train de multiplier. »

« Prestance d’un roi »

Yerim Sy a créé ses premiers bars-restaurants avec son ancienne compagne, Marie-Hélène Marrocq. Pendant 25 ans, le couple tiendra le Chuchumbe à Saint-Michel, puis le Wato Sita, rue des Piliers-de-Tutelle.

« C’est quelqu’un de merveilleux dans la communication, moi j’avais le nez dans la comptabilité, la gestion, les courses, les réparations quotidiennes… Je voulais que les choses se passent bien. Lui était plus tourné vers l’extérieur », se souvient Marie-Hélène Marrocq.

Quand on demande à une amie des tenanciers de se remémorer « l’époque », c’est aussi l’image qui lui reste :

« Yerim ? La prestance d’un roi, à la voix haute, qui dominait la foule mais qui savait accueillir, mettre les gens à l’aise. Marie-Hélène, plus discrète, plus observatrice aussi, avait selon moi un rôle de cheffe d’orchestre. »

Bordeaux découvrit la salsa et le mojito

La première rencontre a lieu en 1987 à l’Aztecal, rue du Pas-Saint-Georges, l’établissement tenu par Marie-Hélène Marrocq. « Yerim était un client », raconte cette dernière :

« En 1994, nous avons ouvert le Chuchumbe, le premier bar à salsa de Bordeaux. C’était aussi l’année du premier Tempo Latino à Vic-Fezensac. Personne ne connaissait la salsa à l’époque et savait encore moins la danser. Nous avions une Vénézuélienne et une Cubaine qui donnaient des cours deux fois par semaine. Bordeaux a appris à danser la salsa là-bas. Nous avons aussi été les premiers à servir du mojito. »

Le Chuchumbe ferme en 2001. Un an plus tard, le Wato Sita prend le relai. « Une atmosphère particulière, où la musique, d’Africando à Youssou N’Dour, emplissait l’espace. On avait du mal à se faire entendre, les paroles se chevauchaient, le rhum et les fameux mojitos rendaient tout ce monde bavard », décrit la même amie :

« Malgré le bruit et la liesse générale, le sentiment d’être à l’abri. Pas de crainte pour une fille seule, pas d’agressivité dans les échanges. Un curieux mélange de gens de tout âge, de toute origine géographique ou sociale, un mélange d’énergies. Au Chuchumbé, au début des années 2000, je me souviens de l’importance donnée à la réflexion politique, on était alors dans un contexte d’élections au Sénégal. Alors qu’à cette époque-là, il me semble, la politique avait quelque peu disparu des lieux publics. »

Bascule

Yerim Sy a délégué la gérance du Wato Sita, désormais situé cours de la Marne depuis 2017, mais retourne chaque début de semaine dans la capitale girondine. Et, à l’écouter, le monde de la nuit a bien changé :

« Il y a peu j’étais dans un restaurant, dont le patron est aussi directeur d’une école de gestion. Il n’est pas allé saluer les tables. On assiste à une forme de professionnalisation du milieu qui me rend triste. Les liens conviviaux ont été coupés. Il y a eu une bascule et un déséquilibre depuis le Covid. C’est ce repli sur soi qui m’a fait arrêter. »

À La Sauve, sur les voies ferrées, le long de la piste cyclable Roger-Lapébie, des bénévoles de l’association Le Train de La Sauve s’affairent à restaurer d’anciens wagons. Bientôt, ces derniers pourront loger des voyageurs le temps d’une halte dans l’Entre-deux-Mers. Yerim Sy, lui, n’est pas encore prêt à faire une pause.


#du monde en Gironde

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