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André Guérin, résistant du groupe des postiers fusillé à Souge, pour avoir servi « la cause de la Libération Nationale »

Ce dimanche 27 octobre aura lieu la commémoration des 256 fusillés de Souge. Rue89 Bordeaux dresse le portrait de l’un d’eux : André Guérin, membre d’un groupe très actif de la Résistance, celui des postiers.

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André Guérin, résistant du groupe des postiers fusillé à Souge, pour avoir servi « la cause de la Libération Nationale »
André Guérin

André Guérin a été fusillé le 30 avril 1942 à l’âge de 36 ans au camp de Souge. Il est tombé avec quatre autres résistants du groupe Bouvart, appelé le groupe des postiers, bien qu’il ne l’était pas lui-même. Les cinq hommes ont été condamnés à mort par le tribunal allemand FK 529 de Bordeaux et exécutés « par mesure expiatoire », sous les ordres de la Kommandantur, à la suite de l’attentat du 16 avril 1942 contre un train de permissionnaires allemands près de Caen.

François Boucherie (28 ans), Claude Bouvart (25 ans), Cléments Corbière (28 ans), Jean Monède dit Roger (30 ans) et André Guérin étaient chargés de diffuser des journaux et des tracts de la Résistance à partir de la plaque tournante qu’était la gare Saint-Jean.

D’Égliseneuve-d’Entraigues à Bègles

André Guérin est né le 22 juin 1905 à Égliseneuve-d’Entraigues (Puy-de-Dôme) dans une famille modeste – son père Joseph était ouvrier journalier, sa mère Marguerite Musseau sans profession. Après une courte scolarité, il exerce le métier de chauffeur et se marie en 1929 avec Jeanne-Marcelle Perrat.

Le couple s’installe en 1934 à Bègles où André trouve du travail grâce à son frère Jean. Il est vernisseur au tampon à la fabrique de meubles Harribey au quartier la Médoquine à Talence. Le couple a trois enfants : deux garçons et une fille.

Aux côtés de son frère, il s’encarte au Parti communiste français et participe à toutes les réunions et rassemblements contre les ligues fascistes. Il est arrêté en 1934 au cours d’une manifestation contre le colonel François de La Roque, symbole du fascisme à la française pour la gauche à l’époque, et emprisonné 4 mois.

Chez Harribey, il rejoint la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) et se lie avec Vincent Gonzales, ancien volontaire de la guerre d’Espagne habitant également à Bègles. En 1939, avec le ralentissement de l’activité de l’entreprise, André Guérin et Vincent Gonzales sont embauchés à la Société nationale des constructions aéronautiques du Sud-Ouest (SNCASO), rue Ferdinand-Buisson à Bègles.

Piégé à Talence

Avec la débâcle de juin 1940 face aux forces d’Hitler et la mainmise des Allemands sur toutes les infrastructures utiles à la production, les deux militants sont licenciés. Dès cette année, ils participent à l’action clandestine contre l’occupant et rejoignent les premiers groupes de postiers de l’Organisation spéciale (OS).

Celle-ci envoie André Guérin, repéré par les Allemands et menacé, à Labouheyre (Landes) où la direction du Parti communiste répartit ses responsables girondins. Pour assurer la subsistance de sa famille, il travaille dans les scieries.

Le dimanche 1er février 1942, André Guérin doit se rendre à Talence, au lieu-dit la Croix de Leysotte, pour retrouver François Boucherie qui coordonne la liaison avec les postiers. Mais ce dernier a été interpellé la veille par les Allemands sur dénonciation et se rend au rendez-vous avec la police. André Guérin est arrêté par Pierre Napoléon Poinsot, commissaire de la police spéciale à la tête de la Section des affaires politiques (SAP), un des organisateurs majeurs de la traque des communistes.

Lors de la perquisition à son domicile, André Guérin pousse le commissaire Poinsot au sol et l’enferme dans une chambre. En s’enfuyant, il est blessé par un tir du policier en faction, et, bien qu’il poursuive sa course, le résistant chute quand son voisin collabo lui fait un croche-patte. Il est repris et incarcéré au Fort du Hâ.

Individu « extrêmement dangereux »

Ses compagnons de cellule témoigneront des interrogatoires très durs qu’il subit tous les deux ou trois jours. Sa notice individuelle le qualifie d’ « extrêmement dangereux ». Le commissaire Poinsot n’en tire rien et explique au préfet :

« Guérin s’est cantonné dans un système de défense qui répond en tous points aux directives données par le Parti communiste… Tous les efforts tentés en vue de persuader Guérin qu’il était de son intérêt de dire la vérité sont restés vains. »

Pierre Poinsot ne lâche pas son prisonnier, mène son enquête et interroge de nombreux témoins. Le 16 mars 1942, il auditionne un surnommé Marcel, employé à la SNCF et demeurant à Bègles. Celui-ci avait tenu un débit de boisson jusqu’en juillet 1941 :

« J’avais comme clients de passage les deux frères Guérin (André dont vous me montrez la photo et le borgne [Jean ?]) et je les connais bien comme militants communistes. André, avant la guerre, vendait La Gironde et L’Humanité. Dans ses propos, il se montrait très agressif. Il formait équipe avec deux ou trois autres auxquels il donnait des directives ce qui semble indiquer qu’il avait une responsabilité. »

Pas d’allocation pour l’épouse Guérin

Pendant ce temps, Vincent Gonzales cherche à récupérer le revolver d’André Guérin que les Allemands n’ont pas découvert lors de la perquisition. L’appartement est surveillé et il ne peut s’y rendre. C’est Jean qui profite d’une visite à la famille pour le récupérer et le remettre au résistant espagnol, qui s’en servira pour abattre un soldat allemand quelques jours plus tard.

Jean Guérin est arrêté à son tour le 1er avril 1942. Dans la cellule 52 du Fort du Hâ, il retrouve des résistants du Front national des étudiants de Bordeaux rattaché à l’OS. Parmi eux Claude Meyroune, arrêté à Bordeaux le 6 janvier 1942. Cet étudiant en médecine rapporte à Jean le calvaire de son frère qui subissait des interrogatoires éprouvants tous les deux jours.

Jeanne-Marcelle Perrat, l’épouse de Jean Guérin, est démunie et se retrouve sans ressources. Le préfet de la Gironde, Maurice Sabatier, lui refuse l’allocation prévue par décret du 27 février 1940 pour les familles des internés politiques, « votre mari n’étant pas interné mais poursuivi et incarcéré pour infraction au décret portant sur la dissolution des organisations communistes ». Elle ne cessera d’élever ses enfants le mieux possible et de rendre toutes les semaines visite à son mari au Fort du Hâ. Vincent Bordas, descendant de la famille, rapporte :

« A l’âge de 10 ans, ma grand-mère [la fille d’André Guérin, NDLR] accompagnait sa mère pour récupérer son linge souillé par le sang et le pus, le laver et le ramener propre à la visite suivante. Elles ne pouvaient qu’imaginer ce qui lui arrivait. »

Un message dans le linge

Le 30 avril 1942, Jeanne-Marcelle Perrat emporte le linge sans voir son mari. En préparant la lessive, elle découvre dans la doublure du col de la chemise une missive écrite de la main d’André Guérin l’enjoignant de regagner la zone libre pour éviter la déportation. Ce sera le dernier mot que lui adressera son époux. Elle apprendra le 8 mai, soit huit jours après l’exécution, qu’il a été fusillé.

Celle qui attendait la sortie du père de ses enfants est effondrée. Elle en veut même à son mari de lui avoir réservé ce sort. Âgée d’une trentaine d’années, elle quitte la zone occupée à pied avec deux de ses enfants, un garçon et une fille, respectivement âgé de 13 et 11 ans, le petit de 5 ans est laissé à la famille. Elle traverse la ligne de démarcation, à Casteljaloux, dans la zone libre.

« On ne sait pas grand chose de son trajet entre Bordeaux et Casteljaloux, mais elle arrive malade avec de la fièvre, raconte Vincent Bordas. A la pharmacie, elle propose sa bague de mariage, pourtant en or, pour payer les médicaments, on refuse de les lui donner. Elle est recueillie avec les enfants dans un couvent mais erre longtemps dans la commune avant de refaire sa vie. »

Jean Guérin n’est pas sur le registre des fusillés au camp de Souge. Peu d’informations sont disponibles pour retracer son parcours. Claude Meyroune va quant à lui passer trois ans en déportation, catégorie Nacht und Nebel (Nuit et brouillard) et sera libéré le 23 mai 1945 par la 7e armée américaine (Seventh United States Army) à Bayreuth, une ville Allemande.

« Digne des plus hauts éloges »

Claude Meyroune, né le 24 avril 1923 à Strasbourg, témoigne à la mairie de Gentilly (Val-de-Marne), le 3 avril 1951, dans le cadre de certification des résistants de guerre. Il relate, en tant qu’ancien responsable de groupe étudiant Francs-tireurs et partisans français (FTPF) du secteur de Bordeaux, homologué par la Commission nationale des grades des Forces françaises de l’intérieur (FFI) :

« Ancien déporté politique du 6 Janvier I942 au 23 mai 1945 en France aux prisons du Fort du Hâ et de Fresnes, puis en Allemagne aux camps de Henzert, Diez Kahn, Francfort/Main, Bayrut, certifie sur l’honneur que Guérin André, né le 22 Juin 1905, faisait partie d’un groupe F.T.P.F. des postiers du secteur de Bordeaux qui agissait en coordination avec mon groupe depuis janvier I941. Il a été arrêté pour son activité résistante le 2 février 1942 à Bègles à la suite d’une dénonciation. Le policier Sabes de la Brigade Poinsot de Bordeaux tira plusieurs coups de feu sur Guérin qui tentait de s’enfuir. Livré à la Police allemande, maltraité avec une rare violence par Poinsot et les Allemands, il eut une attitude courageuse et digne des plus hauts éloges. »

Une rue à Bègles porte le nom d’André Guérin pour rendre hommage au résistant « fusillé à Souges le 30 Avril 1942 ayant servi avec honneur et fidélité la cause de la Libération Nationale ».


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