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« Freinage d’urgence contre les LGV du Sud-Ouest » : une mobilisation festive malgré la pression policière

À Lerm-et-Musset et en Gironde, le week-end de mobilisation initiée par la coordination LGV Non Merci et des Soulèvements de la Terre s’est déroulé dans une ambiance festive, émaillée par quelques moments de tension avec les forces de l’ordre, et une perquisition dimanche. Le rassemblement a réuni près de 1500 participants selon les organisateurs, entre 800 et 1000 selon la préfecture.

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« Freinage d’urgence contre les LGV du Sud-Ouest » : une mobilisation festive malgré la pression policière
Les manifestants qui ont participé à l’action « Giga Kapla » à Lerm-et-Musset, le 12 octobre 2024.

Ils sont près d’un millier de militants, venus des quatre coins du pays pour rallier Lerm-et-Musset, petite bourgade girondine située dans la vallée du Ciron. Dans le viseur de la mobilisation : le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) et la création de ses deux lignes de train à grande vitesse (LGV) pour rallier Bordeaux à Toulouse et à Dax.

« C’est un projet qui concerne 5 départements, 2 régions, qui veut ravager près de 5000 hectares de terres agricoles, de forêts, de zones humides, au détriment de tout un territoire. Cela va fragmenter des paysages, fracturer des écosystèmes, menacer plus de 200 espèces protégées… On parle ici de 8 zones Natura 2000 qui doivent être traversées par 327 kilomètres de lignes et la construction de 454 ouvrages d’art », explique Léonie, membre de la coordination LGV non merci interrogée par Rue89 Bordeaux.

Elle poursuit en déplorant les conditions de mise en œuvre du projet :

« C’est une bétonisation énorme car les sols de la région sont gorgés d’eau, pour un projet qui va concerner une minorité de personnes : les TGV ne représentent que 6% des trajets en train, les trajets du quotidien ne seront pas concernés. »

Sur place à Lerm-et-Musset, un important dispositif policier est présent depuis le vendredi 11 octobre alors que les manifestants affluent sur un terrain organisé en campement.

Le lendemain, au petit matin, un hélicoptère de la gendarmerie survole la zone, tandis que les forces de l’ordre contrôlent la quasi totalité des véhicules entrant sur la commune. Côté manifestants, on tente d’éviter les patrouilles avec une plateforme de signalement participative, « Infotraflic ».

Plusieurs élus sont venus sur place pour marquer leur soutien à la mobilisation, notamment Loïc Prud’homme, député LFI de la 3e circonscription de Gironde.

Dur réveil

Philippe Barbedienne, président de la Sepanso Gironde et opposant au projet, a prêté une parcelle de deux hectares qui sert aux manifestants de point central à leur mobilisation. Parking, cantine, garderie, stands associatifs, tentes et toilettes… « Je suis solidaire de ces jeunes qui défendent leur avenir », souligne-t-il face à la presse, alors que les militants s’activent pour préparer la journée d’action.

Au matin, beaucoup affichent une mine fatiguée. « Ils nous ont réveillé cette nuit vers quatre heures avec un hélico, projecteur et sirène », confie Titi (prénom modifié sur demande), présent au camping depuis la veille. Une information confirmée par plusieurs vidéos transmises à Rue89 Bordeaux. Côté anti-LGV, on évoque « une volonté de dissuader et d’épuiser les manifestants avant la journée d’action ».

La préfecture explique quant à elle qu’il s’agissait d’une « mission de reconnaissance » avec activation d’une sirène « en réaction aux lumières pointées sur l’aéronef pour se faire identifier », suivie de « tirs » de mortiers contre lui. L’appareil aurait réagi en « prenant immédiatement de la hauteur pour se mettre en sécurité, pour un survol total de la zone qui a duré 25 minutes ». Une enquête a été ouverture suite à cet incident.

Vidéo transmise à la rédaction (DR)

« On va passer en force »

Samedi matin, 11h, sous le chapiteau principal du campement, les participants assistent à un briefing collectif pour se répartir sur les multiples actions prévues tout au long de la journée.

« Aujourd’hui n’aura pas lieu une manifestation classique mais un fourmillement d’activités, dont nous vous invitons à vous saisir. Les principes du jeu : autonomie, initiatives bienvenues, dans les respect du territoire et des personnes. Le consensus d’action c’est pas de feu, et pas d’offensive contre les personnes. L’ambiance : ludique et festive ! » détaille une des organisatrices.

Les manifestants sont invités à choisir « leur mode de jeu » : seul, en équipe, en mobilité ou sur le camp… Chaque initiative dispose de son point de rendez-vous et de son horaire de départ : si chacun peut aussi lancer sa propre action, le « consensus de la mobilisation doit être respecté » rappellent les organisateurs.

Dernière mise au point de sécurité sur une pratique locale : la chasse à la palombe, dont la saison est ouverte. Les chasseurs locaux, aussi opposés à la LGV, « doivent être respectés, même si chacun ici à sa propre opinion sur le sujet ».

Fin du brief, la foule se met en branle sur les différents points de rendez-vous. Drapeau vert, violet, bleu ou blanc : chaque cortège est invité à partir sur un horaire précis, en fonction du but visé. Pour Rue89 Bordeaux, direction la bannière verte : la mobilisation suivie sera celle du « Giga Kapla ».

« Giga Kapla »

À l’entrée du camp de base, un cortège de plusieurs centaines de manifestants s’élance à travers les bois de la vallée du Ciron, destination inconnue. Certains transportent d’imposantes pièces de bois. Une enceinte portative crache une playlist éclectique : Diam’s, Dean Martin, Jul, ou Ray Charles remixé à la sauce hard techno… L’ambiance, festive, semble pallier la fatigue.

Après deux heures de marche en pleine forêt et la construction d’un ponton de fortune pour enjamber la rivière du Ciron, la ribambelle de militants atteint son but : un site situé à quelques centaines de mètres du tracé de la future LGV. Sur place, la présence policière est discrète, tandis que démarre la construction d’une structure en bois « pour matérialiser l’attachement à ce territoire ».

Construction de la structure en bois près du tracé de la future LGV près de Lerm-et-Musset, le 12 octobre 2024 Photo : SC/Rue89 Bordeaux

De l’autre côté du rassemblement, une quarantaine de manifestants vêtus de noir font face à une patrouille de gendarmerie. La tension monte. Des jets de projectiles visent les trois gendarmes qui répliquent avec des grenades lacrymogènes.

Surpris par un vent contraire qui ramènent les gaz vers eux, les forces de l’ordre débarrassent à la hâte leur véhicule, embourbé dans le sable, avant d’être évacués par des pompiers présents à proximité. Les manifestants se ruent alors sur le véhicule, qui fait les frais de leur colère : les vitres sont brisées, la carrosserie recouverte de tags… Et du matériel est pillé, notamment des équipements de maintien de l’ordre.

Les organisateurs, pendant ce temps, appellent au calme par mégaphone, en raison de « la présence de familles dans le cortège ». La scène aura duré une vingtaine de minutes, « aucun des gendarmes n’a été blessé », selon la préfecture.

Le véhicule de gendarmerie dégradé par une partie des manifestants Photo : SC/Rue89 Bordeaux

En fin d’après-midi, la construction en bois est achevée par les « bâtisseurs » après plusieurs heures de travaux. Une tour de garde se dévoile, sur laquelle est déployée une banderole siglée du slogan « No TAV (NDLR : la LGV Lyon-Turin), No LGV ». Après la lecture d’un discours et une pose collective pour immortaliser le moment, le cortège se remet en route pour le campement principal.

Actions multiples

La journée du 12 octobre aura été ponctuée d’une multitude d’actions aux abords de Lerm-et-Musset, mais aussi ailleurs en Gironde. À Bordeaux notamment, où une vélorution a parcouru la ville en faisant des haltes devant les entreprises parties prenantes du projet de LGV, jusqu’à envahir la gare Saint-Jean. La préfecture indique avoir évincé « une quinzaine de manifestants qui participaient à la velorution (100 participants) sans aucun perturbation du fonctionnement de la gare ».

Des dégradations ont également visé plusieurs entreprises qui collaborent directement ou indirectement au projet : LGV Non Merci mentionne des actions menées contre Artelia, Lafarge, Ineo, Iris Conseil, Segat, ainsi que contre le projet Euratlantique.

À Lerm-et-Musset, la mobilisation s’est achevée par une série de concerts le samedi soir, suivie d’une assemblée collective le dimanche matin pour revenir sur les actions menées durant le week-end.

« Les prises de  paroles successives des différents collectifs anti-LGV implantés tout au long du tracé entre le Pays Basque, Bordeaux et Toulouse ont montré toute la richesse de la composition du mouvement. Elles ont dénoncé ensemble le coût social, financier et écologique aberrant d’un projet qui a reçu plus de 90% d’avis défavorables lors de l’enquête publique », détaille le communiqué du collectif LGV non merci, le 13 octobre 2024.

Perquisition

Ce dimanche 13 octobre en fin de journée, une perquisition menée par la gendarmerie s’est déroulée sur le campement principal de Lerm-et-Musset. Contactés, les organisateurs du rassemblement expliquent « êtres choqués de cette incursion alors que le week-end se terminait dans une ambiance festive ».

À l’issue de ces deux jours de mobilisation en Gironde, la préfecture indique que les forces de l’ordre ont procédé au total à 3 interpellations, contrôlé plus de 4500 véhicules et 5900 personnes et saisi « 500 objets dont 2 fusils de chasse, 2 arbalètes une cinquantaine d’armes blanches et de nombreux artifices ».

« Les quelque 300 contestataires radicaux présents sur le rassemblement n’ont pas pu passer à l’action grâce à l’efficacité des forces de sécurité intérieure », s’est félicité la préfecture dans un communiqué, tout en condamnant « les actes violents commis à l’encontre des forces de l’ordre et de secours ».

« A l’instar de la lutte voisine contre l’A69 ou de celle cousine et massive contre la LGV Lyon Turin, la résistance prend aujourd’hui un écho national », s’est pour sa part réjouie LGV Non Merci, remerciant au passage « toute la population de Lerm-et-Musset majoritairement opposée au projet, qui s’est retrouvée du jour au lendemain peuplée de forces de l’ordre ».

« Et ce pour une manifestation non interdite sur cette commune (elle était interdite sur les communes autour de Bordeaux seulement) avec un campement situé sur une propriété privée et appelé de ses voeux par le propriétaire. Cet élu et responsable associatif dit préférer avoir « des manifestants pendant trois jours dans [son] jardin, qu’une LGV pour la vie ».


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