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L’expulsion du campement du quai Deschamps approuvée par la justice, les associations étudient un recours

Le tribunal administratif a donné raison à la Ville de Bordeaux et ordonne à la soixantaine de sans-abri de quitter le terrain sous quinze jours. Lors d’un rassemblement organisé ce vendredi devant la mairie, les associations ont annoncé l’étude d’un pourvoi en cassation.

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L’expulsion du campement du quai Deschamps approuvée par la justice, les associations étudient un recours
Campement quai Deschamps

La décision est tombée ce jeudi 3 octobre : le tribunal ordonne « aux occupants sans droit ni titre installés sur l’espace vert arboré situé quai Deschamps entre le pont de chemin de fer Saint-Jean et le Pont de pierre, de quitter les lieux sans délai, sous 15 jours, faute de quoi il sera procédé à leur expulsion, au besoin avec le concours de la force publique ».

La juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux donne raison à la mairie et rejette les arguments de deux des occupants et de l’association La Maraude du cœur qui contestaient la requête.

Lors de l’audience qui s’est tenue le 30 septembre, la Ville, par la voix de son avocate, Maître Pauline Platel, a affirmé que, sur ce campement installé en novembre 2020, « la situation s’aggravait », exposant les personnes qui y vivent et les riverains à plusieurs risques – « crues et inondations », « conditions d’hygiène dégradées », « atteinte à la salubrité et la sécurité publiques ».

« Aucune autorisation à cette installation »

Estelle Morizot, fondatrice de La Maraude du Cœur, a insisté sur la nécessité de trouver des solutions pérennes et affirmé que « les diagnostics [étaient] en cours ». Son conseil, Maître Bruno Bouyer, a renvoyé la mairie à ses engagements auprès des associations, dont elle s’était rapprochée, et avait « installé l’accès à l’eau et les toilettes sèches », avant de « nier le travail social sous la pression des riverains ».

Le tribunal considère que malgré cet accompagnement initial de la mairie « dans un contexte de crise sanitaire », « il résulte de l’instruction qu’aucun accord, ni aucune autorisation n’a été consentie à cette installation, et aucune disposition législative ou réglementaire ne fait non plus peser sur la commune une obligation de relocalisation ou de relogement des personnes sans-abris ».

Ainsi, « la mesure d’expulsion sollicitée par la commune de Bordeaux ne se heurte à aucune contestation sérieuse ».

Des « incidents graves »

Pour la juge la situation s’est bel et bien « dégradée avec l’augmentation du nombre de personnes accueillies ». Elle détaille :

« Cette installation qui devait être provisoire et ne concernait que quatorze personnes en novembre 2020, a perduré et a attiré de plus en plus de personnes en état de précarité, ce qui crée désormais, du fait de la cohabitation de nombreux publics en difficulté, des tensions tant à l’intérieur de l’aire d’accueil, entre occupants, qu’à ses abords et avec les riverains des immeubles d’habitation de ce tout nouveau quartier. »

La décision se fonde sur les « incidents graves [qui] ont été signalés dont un homicide entre occupants du campement« .

« Cette occupation fait également obstacle à l’utilisation normale des espaces verts destinés à la promenade et les équipements du parc des Angéliques secteur Deschamps, et l’augmentation du nombre d’occupants génère des nuisances de plus en plus insoutenables pour les habitants de ce quartier en plein essor… », peut-on lire dans sa décision.

Un recours à l’étude

A son annonce, les associations ont appelé à un rassemblement ce vendredi 4 octobre à 17h30 place Pey-Berland. Dans un communiqué de presse, elles ironisent sur l’événement Unisol, où « la ville de Bordeaux célèbre les solidarités, en grande pompe et à grand renfort de communication ».

« Ce campement n’est pas vraiment comme les autres » déclarent Estelle Morizot et Cécilia Fonseca (Les Gratuits Gironde Solidarité). Elles précisent que, après l’installation du campement de « manière concertée avec la ville de Bordeaux », « un long travail de mise en confiance » avait été entrepris avec les occupants « que cette soudaine procédure administrative d’expulsion, met à mal ».

« Des solutions beaucoup plus pérennes, en dur, pour une mise à l’abri beaucoup plus satisfaisante avaient été promises, dans le cadre d’un travail en commun de l’Etat, la municipalité, la métropole et des associations, mais elles ne sont malheureusement jamais arrivées. Nous déplorons de constater que trois longues années n’ont pas suffi… »

« Un couteau dans le dos »

« A ce jour, à peine 10% d’entre eux se sont vu proposer une solution d’hébergement, et le réel diagnostic des situations n’a commencé qu’en mars 2024 », poursuivent les deux signataires. Le 1er octobre, Harmonie Lecerf, adjointe aux Solidarités à la mairie de Bordeaux, affirmait à Rue89 Bordeaux qu’une « quinzaine » de solutions avaient été proposées.

« C’est un travail inédit, soulignait l’élue. Nous avons réussi à convaincre l’État à faire de la résorption sur ce campement, alors que le dispositif est réservé aux bidonvilles. […] Nous avons fait une proposition, la semaine dernière, pour l’hiver, d’un nouveau dispositif d’ouverture dans des locaux de la mairie pour 15 à 20 personnes. »

Au centre, Estelle Morizot et Cécilia Fonseca, entourées de la conseillère municipale Myriam Eckert et de Maître Bruno Bouyer Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Le rassemblement de ce vendredi a permis aux militantes associatives de donner leur chronologie des événements. Elles accusent la mairie « d’un coup de couteau dans le dos ». Alors que cette dernière préparait une nouvelle réunion avec les associations prévue le 27 septembre « pour bosser sur les accompagnements » et « la résorption du campement », « elle fait envoyer des convocations aux occupants au tribunal début juillet ».

« Si je n’avais pas demandé un renvoi à la première audience du 23 septembre, l’expulsion aurait été ordonnée avant la réunion. C’est de l’hypocrisie », fustige Maître Bruno Bouyer, présent au rassemblement.

Recours

En réponse aux déclarations, la mairie a fait savoir par écrit que « la demande d’expulsion n’était pas soudaine ». Elle ajoute que c’était « une étape supplémentaire dans une procédure de résorption annoncée en amont par les services de la Ville et du CCAS aux occupants eux-mêmes et aux associations ».

« Cette décision est concomitante aux demandes des associations elles-mêmes car la gestion du site était devenue difficile, notamment en raison des inondations liées aux grandes marées en mars dernier et à l’augmentation du nombre d’occupants qui ne correspondait plus au dispositif initial. Le travail s’est réalisé avec les services de l’Etat compétents en matière de résorption et avec l’ensemble des associations concernées (la DDETS). »

Totalement à l’opposé des explications des associations, la mairie affirme que « les occupants et les associations ont été informés par les services du CCAS tout au long du processus ». Elle soutient par ailleurs qu’ « un projet d’accueil et d’hébergement pour les personnes les plus éloignées des dispositifs actuels de prise en charge d’urgence est en préparation », porté par la Ville de Bordeaux en lien avec l’Etat.

Ce vendredi, Maître Bruno Bouyer a annoncé qu’ « un pourvoi en cassation est à l’étude » pour savoir « si les conditions du référé sont justifiées ».

« C’est une procédure couteuse et l’association n’a pas les moyens de la prendre en charge. Nous attendons de savoir si une aide juridictionnelle sera accordée. Nous avons 15 jours. »


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